« N’écris pas ça, là ! »

Claudine Roy vient de dire un gros mot au sujet de 2020.

Qui pourrait le lui reprocher ?

Hôtelière à Gaspé, figure de proue de la Grande Traversée de la Gaspésie – version en ski en hiver et à pied à l’automne –, membre de toutes sortes de conseils d’administration, dont Investissement Québec, et présidente de l’Association Restauration Québec (ARQ), la femme d’affaires a vécu 2020 sous toutes ses coutures.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

La femme d'affaires gaspésienne Claudine Roy a vécu une année 2020 intense, marquée notamment par l'arrivée massive des touristes en Gaspésie et l'arrêt des vols d'Air Canada dans la région.

Intense est le mot qui résume l’ensemble de l’œuvre.

Du vide total des restaurants pendant de trop longs mois au débordement hallucinant de touristes en juillet sur les plages de sa Gaspésie. En passant par les difficiles décisions d’annuler ses évènements chouchous.

« Et n’oublie pas de mentionner Air Canada qui a cessé les vols vers la Gaspésie », ajoute-t-elle. « Ça non plus, ça n’a pas été reposant. » Parce que dans ce dossier comme dans tous les autres, elle est partie se battre pour défendre sa région. Essayer de trouver, encore une fois, une bonne solution.

Pourtant, l’année avait bien commencé.

« J’étais venue à Montréal rencontrer des amies d’affaires et on se disait : ‟2020, une nouvelle décennie, ça va être capoté”. »

Janvier avait été doux, puis la Grande Traversée, qui se passe à la fin de février, avait réuni sa bande habituelle de quelque 300 skieurs, dont certains venus de Londres et de France, pour parcourir la Gaspésie.

« On avait skié le Barachois du Coin-du-Banc à zéro degré. »

C’était, dit-elle de cette randonnée sur la plage, entre Gaspé et Percé, « malade ». Mais malade positif. Juste fou. Le gros bonheur qui devait continuer en mars, car la Gaspésienne avait organisé un autre voyage de ski de fond, en Norvège. Sjusjøen, Lillehammer.

Un circuit de courses et un moment de gros bonheur avec toute une bande de copains qui devaient se terminer ensuite au Danemark, dans un grand resto de Copenhague.

Départ prévu le 13 mars.

« Mais le 10 mars en soirée, Christian, mon chum, me dit : ‟J’ai des doutes.” »

Ancien directeur de santé publique en Gaspésie pendant 20 ans, il voyait bien les signes se pointer et suivait le dossier corona depuis les débuts en Chine. « Il m’a dit : ‟Pas sûr qu’on parte.” »

« Moi, je n’étais tellement pas là, dit Claudine. Mes amis non plus. »

Tout le monde est convaincu que le voyage va de l’avant.

Puis le 12 mars, la Bourse s’effondre.

La Norvège ferme ses frontières.

Le monde vient de basculer.

J’étais déjà à Montréal pour prendre l’avion vers l’Europe, mais au lieu de la Norvège, je suis rentrée en Gaspésie.

Claudine Roy

Et là, elle a commencé à s’inquiéter pour son fils, étudiant au Royaume-Uni, asthmatique…

Quand le premier ministre a mis le Québec sur pause, Claudine Roy l’hôtelière et la présidente de l’ARQ s’est mise à travailler comme une folle. « Il fallait préparer la réouverture. » Parler aux différents ministères et organismes concernés. Établir des protocoles pour qu’en juin, ces établissements puissent rouvrir de façon sûre.

Il fallait penser aux aides pour les entreprises, parler aux politiques. « Toutes ces affaires-là, ça ne tombe pas du ciel. Des gens demandent, discutent, recommandent…

« Je ne voyais pas la lumière au bout du tunnel.

« J’en rêvais la nuit. »

Puis en juin, une bonne et une mauvaise nouvelle.

La mauvaise : Air Canada annonce qu’elle ne volera plus en Gaspésie. Claudine Roy trouve le tout inacceptable, mobilise les gens d’affaires, cherche une solution.

La bonne : la réouverture des restaurants.

Et pas qu’une petite réouverture. Bientôt, ce sera le début de l’arrivée massive de touristes en Gaspésie.

Juin, juillet, août : l’hôtel de Claudine Roy est plein. Ça cartonne. Les restaurants sont archipleins. C’est le festival de la file d’attente.

Mais les locaux se plaignent. Il est vrai qu’il manque d’infrastructures pour accueillir tous ces gens dans un contexte covidien. Des toilettes, notamment, des poubelles. On a tellement peur du virus que les autorités oublient les besoins évidents. Donc la densité de vacanciers est mal absorbée.

Le surplus de touristes jugés inélégants fait la manchette jusqu’à Montréal.

Claudine Roy essaie de calmer les Gaspésiens. Elle répète à tous : « Ce n’est pas en disant aux Québécois ‟ne venez pas, bande de salauds” qu’on va développer notre industrie touristique ! Et puis, ajoute-t-elle, tout le monde a fait une meilleure année que 2019. »

Et ce, malgré une autre difficulté : le manque de personnel.

La Prestation canadienne d’urgence, la PCU, permet d’être payé sans travailler. Plusieurs en profitent.

Claudine Roy ne trouve pas ça drôle. Par moments, elle manque à ce point d’employés qu’elle doit elle-même faire le ménage de ses chambres à l’hôtel. « C’était très difficile. »

En septembre, la vie semble mieux aller. La pêche au thon rouge a été bonne. Un nouvel élément intéressant pour faire venir les touristes. La grande traversée « bottines », où l’organisatrice troque ses skis de fond contre des bottes de marche, devrait bien avoir lieu…

Mais non.

Ça ne va pas du tout.

La deuxième vague commence. « Le 20 septembre, la baie des Chaleurs est tombée en zone rouge », raconte-t-elle. Il faut tout annuler. La décision lui brise le cœur. « Je pensais aux impacts financiers, à nos fournisseurs. »

Le gouvernement demande à nouveau la fermeture des restaurants. Les rondes de discussions sur l’aide financière reprennent.

En octobre, le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon annonce un programme pour aider les restaurateurs à payer leurs frais fixes.

Puis en novembre, la présidente de l’ARQ reprend la pression auprès du gouvernement pour des changements aux règles sur les permis d’alcool. Le but : permettre aux restaurateurs d’aller chercher plus de revenus sur leurs ventes de vin à emporter. Ça sera plus tard accepté et mis en vigueur en décembre.

Au même moment, son mandat à la tête de l’ARQ est renouvelé. « Je ne suis pas une lâcheuse. »

Mais elle doit prendre une autre décision crève-cœur : annuler la Grande Traversée de la Gaspésie, version 2021, et mettre le cap sur 2022.

« Regarde, le vaccin est là. Il y a de l’espoir dans l’air. On va se souhaiter un 2021 extraordinaire. »