Ainsi donc, l’éducation antiraciste obligatoire, une campagne nationale de sensibilisation et des mesures pour accroître l’exemplarité du gouvernement font partie des recommandations du Groupe d’action contre le racisme (GACR) dévoilées lundi. Un plan d’action qui, sans réinventer la roue, promet que, pour une fois, elle ne tournera pas à vide…

L’avenir nous dira si ce rapport se retrouvera au cimetière bien rempli des plans d’action… sans action. Même si le GACR refuse de reconnaître noir sur blanc les causes profondes des inégalités raciales, son rapport contient un certain nombre d’intentions louables, notamment pour mettre un terme au racisme dans l’accès à l’emploi et interdire formellement le profilage racial déguisé en interpellations policières aléatoires.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le Groupe d’action a été créé le 15 juin dans la foulée de la mort de l’Américain George Floyd, à la source d'une manifestation contre le racisme à Montréal deux semaines plus tôt.

En restera-t-on encore une fois aux bonnes intentions ? Tout dépendra de la volonté politique et du sérieux des mesures de reddition de comptes qui suivront.

Mais ce que l’on sait déjà, c’est qu’en matière de lutte contre le racisme et la discrimination, les paroles d’un premier ministre et l’exemplarité de son gouvernement ont plus de poids que n’importe quelle campagne de sensibilisation antiraciste.

On a beaucoup parlé ces derniers temps de la controverse autour de la liste de lecture du premier ministre François Legault. Même si je ne souscris pas à la lecture mathieu-bockiste du monde, je fais partie de ceux qui n’étaient pas d’accord avec la décision malheureuse (finalement révoquée) de l’Association des libraires du Québec de retirer cette liste des réseaux sociaux.

Dans le vacarme entraîné par cette controverse, je regrette que l’on ait beaucoup moins discuté de la vision de la société esquissée par le premier ministre lors de sa participation à l’initiative Lire en chœur. En parlant du livre de Mathieu Bock-Côté qui faisait partie de sa liste de suggestions, François Legault a expliqué qu’il était l’incarnation d’un débat que l’on vit au Québec et ailleurs entre « ceux qui sont pour la diversité et l’égalité des cultures, et les nationalistes québécois qui se donnent le droit de défendre nos valeurs comme la laïcité ».

Et il a ajouté : « Pendant longtemps, au Québec, on a eu les fédéralistes et les souverainistes, et là, on a vraiment ceux qui sont pour la diversité et le multiculturalisme et ceux qui défendent le nationalisme en disant que les francophones québécois sont une minorité en Amérique du Nord, qui doivent faire des efforts pour défendre leurs valeurs. »

Nombreux sont pourtant les Québécois – j’en suis ! – qui ne se reconnaissent dans aucun de ces deux camps. Car pourquoi faudrait-il choisir entre la défense de la diversité et de l’égalité et celle de l’identité québécoise et de nos valeurs communes ?

En quoi ces idéaux s’opposent-ils ? L’égalité n’est-elle pas aussi une valeur chère à notre société ? Pourquoi ne pourrait-on pas être à la fois pour la défense de la langue française et pour une société inclusive ? Pour la laïcité et pour l’égalité ? En quoi est-ce antinomique ?

En entrevue aux Francs-tireurs, François Legault expliquait sa vive aversion pour le concept de « racisme systémique » en s’appuyant encore sur cette opposition. Il a répété que, pour lui, il s’agit d’un concept importé des États-Unis qui ne colle pas à notre histoire et est « dangereux ». À ses yeux, le racisme est essentiellement un problème individuel. Et toute évocation du caractère systémique de la discrimination serait une accusation contre le Québec tout entier.

Pourtant, lorsqu’on parle des problèmes systémiques de la DPJ, personne n’accuse le Québec tout entier d’être anti-enfants. Lorsqu’on parle des problèmes systémiques dans les CHSLD, personne n’accuse le Québec tout entier d’être contre les personnes âgées. Et lorsqu’on a parlé de discrimination systémique fondée sur le sexe dans l’article 1 de La loi sur l’équité salariale adoptée il y a près de 25 ans, il n’y a pas eu de hauts cris non plus de gens qui y auraient vu un procès d’un Québec sexiste ou misogyne.

Dans les trois cas, le fait de tenir compte de la dimension systémique du problème n’est pas une accusation ou une forme d’autoflagellation. Cela permet au contraire de poser les bons diagnostics et de trouver les bons remèdes.

Le Groupe d’action sur le racisme a plutôt décidé de faire tout un plan d’action sur le racisme sans aborder de front l’aspect systémique du problème, le jugeant trop controversé. Sans parler de « racisme systémique », une expression qui ne fait pas l’unanimité parmi les experts (*), il aurait pu à tout le moins, par souci d’être rassembleur, parler de « discrimination systémique » en usant de pédagogie pour expliquer, études à l’appui, de quoi il s’agit. Pour rappeler que cela ne veut absolument pas dire que « le » Québec est raciste.

> (Re)lisez la chronique de Paul Journet « Tentative de démêlage collectif »

Mais finalement… non. Tout en recommandant de « mieux informer » les Québécois sur la réalité du racisme, le gouvernement choisit lui-même d’en occulter un pan important.

On pourrait y voir un tour de force, comme Georges Perec qui a écrit tout un roman sans la lettre « e »… Ou une occasion ratée de prêcher par l’exemple en rassemblant tous les Québécois, peu importe leurs origines, dans la lutte contre le racisme.