L’autre jour, je suis passé dans la salle. La salle de rédaction de La Presse, je veux dire. Ça faisait 10 mois que je n’y avais pas mis les pieds. C’était désert, pas un chat, ou presque. Ça m’a fait tout drôle de la voir comme ça, vide.

Il y avait Marc Thibodeau, il y avait Caroline Touzin et il y avait le rédacteur en chef Éric Trottier dans son bureau, que j’ai salué de loin.

Mais grosso modo, la salle était vide. La salle n’est jamais vide d’ordinaire, sauf la nuit. Ça m’a fait un petit pincement.

Le miracle, c’est que la salle est quand même là, métaphorique. Elle existe en distanciel, mais c’est l’essentiel : elle existe.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Trottier, éditeur adjoint de La Presse, en octobre 2018

À coups de Zoom, de textos, de courriels, d’appels, la salle vit encore. Nos artisans continuent à pondre des articles, des dossiers, des enquêtes, des photos et des chroniques avec le même brio que si nous travaillions côte à côte, comme dans le monde d’avant.

Nous continuons à collaborer, à nous pistonner, à nous aider, à nous défier entre nous. À nous rendre meilleurs, les uns et les autres.

Il m’est difficile d’expliquer à quel point la salle nous rend tous meilleurs. Il n’y a personne dans ce journal qui ne bénéficie pas de l’intelligence collective de la salle de rédaction de La Presse.

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La salle nous rend tous meilleurs, disais-je. Prenez une histoire que vous avez lue avec intérêt et colère, récemment, celle de cette Saoudienne réfugiée au Canada qui se cachait au Québec d’un ex-mari violent qui la recherchait partout dans le monde depuis des années…

Et qui l’a retrouvée avec l’aide d’une fonctionnaire du ministère de la Justice qui a agi en toute illégalité, selon une juge de la Cour supérieure.

(Re)lisez le dossier « Une fonctionnaire mêlée à une traque illégale »

Mon Dieu que cette histoire vous a scandalisés…

Cette histoire, c’est un exemple de la force de l’intelligence collective de la salle de rédaction de La Presse. C’est moi qui ai reçu la décision de la juge Dallaire d’une source qui jugeait que c’était important que ce scandale soit révélé. Mais le dossier qui a paru dans le journal est le fruit du travail combiné de Katia Gagnon, de Louis-Samuel Perron, de David Santerre et de Jean-François Bégin, sur plusieurs jours.

Tout le monde a apporté sa pierre à l’édifice. Vérifications, identification de détails importants, vulgarisation, recherche de jugements périphériques, etc. : la force de ce dossier-là, c’est que nous étions cinq à le façonner.

Et le résultat final fut mille fois meilleur que si j’avais travaillé dessus seul dans mon coin.

C’est comme ça des dizaines de fois par année, de mille et une façons : la salle nous rend meilleurs, individuellement. Et évidemment, ce que je constate à La Presse, c’est que plus les individus sont bons, meilleure est la salle, c’est comme un cercle vertueux…

Et meilleure est l’information que nous vous présentons, à vous, lecteurs, dans la tablette, sur le web, dans votre téléphone.

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Plus haut, j’ai écrit avoir salué de loin le rédacteur en chef de La Presse, Éric Trottier, lors de mon dernier passage dans la salle tristement vide. Il était là dans son bureau vitré du fond de la salle, tel un ours dans sa tanière…

Je l’ignorais, mais c’était la dernière fois que je voyais Éric en personne en tant que rédacteur en chef de La Presse. Éric a annoncé mercredi qu’il quittait le journal où il a fait ses débuts en 1990.

Il était directeur de l’information quand je suis entré à La Presse, il y a 14 ans. Je le lisais quand j’étais à l’université, quand Éric était un jeune loup aux dents longues, à poser des questions déplaisantes, à sortir des scoops sur toutes sortes d’enjeux et d’institutions…

Éric était brave comme journaliste et il l’a été comme boss : quand la police de Montréal a pris la décision stupide d’espionner des journalistes de La Presse, c’est lui qui nous a menés sans fléchir dans un combat qui s’est conclu par l’humiliation du SPVM, par une commission d’enquête publique, par la démission du chef de la police et par une loi fédérale protégeant désormais les relations entre les journalistes et leurs sources…

L’ours-boss devenait grizzly quand il s’agissait de défendre ses journalistes et l’info.

Éric m’a aussi protégé de moi-même de mille façons, comme il a protégé les journalistes de La Presse de mille manières. Il m’a poussé à devenir un meilleur journaliste. Il a incarné ma chance depuis 14 ans et notre chance à tous dans cette salle : travailler avec des gens qui nous rendent meilleurs. Et Éric a rendu ce journal meilleur.

Patron, ça me fait un pincement de te voir partir sans t’entendre faire un discours d’adieu au milieu de la salle, comme c’est la coutume. En distanciel, c’est pas pareil.

Merci pour tout, Éric.

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