Katia Tripod cuisinait à la maison, le 16 octobre dernier, lorsqu’elle a entendu le directeur général de la Sûreté du Québec (SQ) relevé provisoirement de ses fonctions, Martin Prud’homme, raconter son histoire et réagir à sa possible destitution à la radio.

« Pour moi, c’était le jour de la marmotte. J’écoutais la voix d’un homme qui n’avait pas la voix de mon mari, mais qui racontait la même histoire, à quelques détails et exceptions près. Mais le processus, la manière dont il a été suspendu, la façon dont il a été traité, comme un criminel, sans savoir ce qui lui arrivait, c’était la même chose », dit-elle.

Depuis 11 ans, la directrice des ressources humaines dans une entreprise partage sa vie avec Tonino Bianco, ancien enquêteur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) impliqué notamment dans la lutte contre la mafia.

En juin 2013, il a été suspendu sans traitement à la suite d’allégations qui ont émané d’une enquête de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans laquelle il y a eu de l’écoute électronique, et dont les détails n’ont jamais été connus.

Ce qui est déjà sorti dans les médias, c’est qu’on a reproché à Bianco d’avoir eu des communications avec une source codée avec laquelle il ne devait pas communiquer, car elle aurait été désactivée, selon le SPVM.

Après avoir été laissé dans le noir durant un peu plus d’un an, Bianco a signé un règlement confidentiel avec son employeur en juillet 2014. Il aurait souhaité poursuivre sa carrière, mais il avait le choix : c’était soit la retraite obligatoire, soit rien, un peu comme ce qui a été proposé à Martin Prud’homme, selon les dires de ce dernier.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Prud’homme, ex-directeur général de la Sûreté du Québec

Sept ans plus tard, Bianco ne sait toujours pas ce qu’on lui reproche. Sa conjointe déplore qu’il n’ait jamais eu la chance de s’expliquer et qu’il reste toujours un nuage gris au-dessus de la tête de son mari.

Plus le même homme

« Le jour où on l’a suspendu, mon mari n’est jamais rentré à la maison. Ce n’était plus le même homme, et il a fallu faire avec. On a fait appel à un psy, tous les deux. On a dû passer à travers, ce n’était pas gagné, c’était très lourd. Il y a des moments où j’ai même pensé qu’on n’y arriverait pas », dit Mme Tripod.

« Il était dans un état de torpeur, quasi incapable de faire quoi que ce soit, car il ne comprenait pas. Il pédalait dans les : “Je ne comprends pas, ça va s’arrêter, je ne comprends pas ! Je vais me réveiller.” »

Lorsqu’on reçoit un gros choc, pour passer à travers les différentes étapes, il faut pouvoir fermer des boucles ! Mais là, ils ne vous laissent pas les fermer. Ils ne disent rien et vous tiennent en haleine.

Katia Tripod, femme de l’ancien enquêteur du SPVM Tonino Bianco

« C’est kafkaïen. On frappe à ta porte, on t’arrête, tu ne sais pas pourquoi, et ce, jusqu’à la fin. Il y a probablement des gens plus fragiles qui ne tiendraient pas », croit-elle.

Elle avait accouché quatre mois plus tôt. Du jour au lendemain, le ménage a perdu environ 4000 $ net par mois.

Mme Tripod a dû mettre son congé de maternité en veilleuse et retourner travailler. Au travail, on la regardait d’un autre œil et on lui posait des questions. Même les membres de la famille s’interrogeaient.

Le chat qui joue avec la souris

Selon un décompte rapide, depuis 2013, il est arrivé au moins une douzaine de fois que des policiers du SPVM et de la SQ soient relevés provisoirement de leurs fonctions à la suite d’allégations criminelles – et que cela ait fait les manchettes – sans qu’ils soient accusés de quoi que ce soit.

La Loi sur la police prévoit qu’aussitôt qu’un policier fait l’objet d’allégations criminelles, le ministère de la Sécurité publique en est avisé. Au SPVM, au plus fort de la crise qui a éclaboussé les affaires internes en 2017, les noms de policiers relevés ont été aussitôt dévoilés publiquement. Dans la foulée de l’enquête Serment du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) sur les fuites à l’Unité permanente anticorruption (UPAC), les noms d’autres policiers ont été publiés, outre celui de Martin Prud’homme.

Lors de son entrevue avec La Presse, le 16 octobre, Martin Prud’homme a dénoncé cette façon de faire et raconté qu’il était arrivé que des allégations criminelles contre des policiers lui soient acheminées. Chaque fois, il les faisait d’abord corroborer, mais finalement, elles n’étaient pas toujours fondées.

Mme Tripod dénonce elle aussi cette façon de procéder.

Cela fait 25 ans que je fais des ressources humaines, je n’ai jamais vu un processus comme ça. Je n’ai jamais vu qu’on pouvait suspendre quelqu’un comme ça sans lui dire pourquoi.

Katia Tripod, femme de l’ancien enquêteur du SPVM Tonino Bianco

« Clairement, tout ce système d’allégations devrait être revu. Pour moi, c’est le chat qui joue avec la souris pendant un petit moment, sans lui dire à quel moment il va la bouffer ! Pour moi, il y a un côté sadique dans le fait de mettre quelqu’un à pied sans lui dire pourquoi », affirme Mme Tripod, qui a longtemps hésité avant de faire part publiquement de son expérience.

« Je ne le fais pas pour moi. Ce système autorisé fait ça à des familles, et Dieu sait combien ont peut-être plus mal fini que la nôtre. Non. On ne traite pas les gens comme ça », conclut-elle

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.