Pourquoi fermer bars, restos, mais aussi bibliothèques, théâtres, cinémas, musées ?

Y’a comme un peu de confusion dans l’air…

C’est pour « envoyer un message fort », comme le dit la Santé publique de Montréal ? Ou c’est pour fermer les lieux d’éclosion, comme le dit le gouvernement ?

J’ai le goût de dire « les trois ».

La troisième raison, un peu plate, étant que ça va mal, ça va surtout plus mal que partout ailleurs au Canada, et qu’on ne sait plus trop sur quel piton appuyer, quelle manette bouger, quel camion de pompiers démarrer.

C’est pas la faute à la semaine de relâche, cette fois-ci, mesdames et messieurs, n’est-ce pas ?

En ce qui concerne les bars « intérieurs », la question, dès le mois de juillet, était plutôt : pourquoi les rouvrir ?

Ne nous étonnons pas d’avoir, encore une fois, le pire bilan au Canada. On partait de plus loin que tout le reste du pays, et on a ouvert plus vite que tout le monde.

Bon ou mauvais, c’était un choix.

Résultat ? Comme par hasard, chaque jour, on a déploré au Québec (8,5 millions de personnes) un bilan net plus lourd que l’Ontario (14,6 millions de personnes). En termes relatifs, par personne, c’est donc à peu près deux ou trois fois pire ici.

C’est ça qui est ça, comme on dit…

Bon, ben là, qu’est-ce que c’est qu’on fait, qu’est-ce que c’est qu’on ouvre, qu’est-ce que c’est qu’on ferme, monsieur Arruda ?!

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On n’est pas les seuls, comme vous savez. Les mêmes difficiles arbitrages se présentent partout. Les mêmes déchirantes décisions se prennent. Les mêmes protestations sur le caractère arbitraire des mesures émergent. Vu que la même inévitable improvisation a lieu.

Mardi, le gouvernement britannique a passé la journée à se contredire pour expliquer les règles de réunions dans le nord-est de l’Angleterre… C’est six de deux familles avec trois pichets, ou quatre d’une adresse avec un animal de compagnie… Voyez le genre.

Sauf que, comme disait mardi le chef intérimaire du Parti québécois Pascal Bérubé, « pour créer de l’adhésion, il faut partager l’information ».

Et tant le premier ministre Legault que le DArruda nous ont dit qu’il n’y a pas de critères écrits objectifs sur lesquels ils se fondent. Il y a une « discussion permanente ».

On comprend ça. On construit un sous-marin dans le creux de la piscine. OK.

N’empêche, comment voulez-vous que les directions de musées, de théâtres, de cinémas, de bibliothèques réagissent si on les ferme sans explication convaincante ou cohérente ?

Ce n’est peut-être pas exagéré de dire que le milieu culturel paie le prix du déconfinement hâtif des bars.

Mais même les bars et restos… Mardi, la Dre Mylène Drouin, directrice de santé publique de Montréal, a dit en substance qu’on n’a identifié aucune éclosion dans ces lieux – on serait bien chanceux, car les bars en général ont été identifiés comme des lieux de contagion un peu partout. Leur fermeture est donc essentiellement pour envoyer un message psychologique fort aux Québécois. Pour faire comprendre la gravité de la situation.

C’est un objectif légitime de santé publique, envoyer un message.

Mais plus tard dans la journée, le premier ministre Legault a dit qu’on a fermé théâtres, cinémas, musées, bibliothèques pour une autre raison. Le critère, a-t-il dit, est celui du « contact prolongé ».

Et ici on touche à un sujet délicat, controversé, presque tabou : le mode de transmission du coronavirus.

* * *

Officiellement, si l’on se tient à deux mètres, qu’on se lave les mains et qu’on met un masque dans les endroits où la distanciation est impossible, on évite les contagions.

Mais on sait maintenant depuis plusieurs mois que le virus se transmet aussi par « aérosols ». Ça veut dire que si une personne infectée passe assez de temps dans un endroit clos, le virus peut continuer à se répandre même après son départ.

La semaine dernière, les Centers for Disease Control and Prevention, autorité suprême de santé publique aux États-Unis, ont publié sur leur site que la COVID-19 se transmet par aérosols. Trois jours plus tard, le texte a été supprimé. Les autorités ont dit qu’il s’agissait d’un brouillon non encore approuvé.

C’est loin d’être un détail, puisque toutes les directives de santé publique devraient être remises en question sur cette base. Ça veut dire que si une personne infectée, même sans symptômes, sans tousser et sans crier, reste suffisamment longtemps dans un espace clos, des gens bien plus loin que deux mètres peuvent être infectés.

Ça veut dire qu’en plus de la distance, il faut contrôler l’aération, la ventilation, garder des masques beaucoup plus.

Au cours de l’été, plusieurs chercheurs ont demandé à l’Organisation mondiale de la santé de déclarer l’importance de ce mode de transmission, qui est toujours en sourdine, pour ne pas dire minimisé officiellement. Plusieurs cas ont été étudiés, dont celui d’un autobus en Chine où une seule personne en a infecté une cinquantaine.

À ce qu’on peut lire, il n’y a plus de doute que le virus se transmet potentiellement par aérosols. Le débat se poursuit sur l’importance de ce mode de transmission.

Tant que ça demeure une controverse scientifique, c’est hautement politique. (Des scientifiques disent plutôt que tant que ça demeure politique, la science passe en deuxième, mais bon.) C’est-à-dire qu’il revient aux autorités politiques de tracer la ligne en cas de doute.

Peut-être, donc, que le gouvernement prend la bonne et douloureuse décision de santé publique en fermant toutes ces institutions culturelles qui semblent parfaitement inoffensives, bien gérées, propres et rigoureuses.

Le hic ici, encore une fois, c’est qu’on n’est pas bien certains de comprendre les motifs qui président à ces décisions.

Thérapie de choc ? Prophylactique ? Ou aveu de réouverture estivale précipitée ?

J’oserais dire qu’ils n’ont pas l’air bien certains eux-mêmes…

On est en droit d’obtenir de meilleurs données, arguments, explications.

(Et vous avez encore quelques heures pour aller voir l’exposition qui fait la rétrospective de l’ami Chapleau, au musée McCord. La thérapie par le rire, c’est conseillé aussi.)