C’est quand il ne se passait rien qu’on pouvait mesurer le grand art de Ron Fournier.

Tard le soir. Un mercredi de février pas de hockey. Un camionneur appelle pour parler du gardien de but. Mais Ron veut savoir il est où, le camionneur. Ce qu’il transporte. Où il s’en va comme ça, un mercredi à - 25.

PHOTO SIMON GIROUX, ARCHIVES LA PRESSE

L’animateur de radio Ron Fournier (photographié en avril 2017) a annoncé sa retraite de Cogeco mardi.

Il pouvait se mettre à chanter. À jaser de son oncle. À donner des conseils alimentaires. Et bien sûr à parler des « p’tits bébés », c’est-à-dire les joueurs de hockey. Aucun mépris athlétique dans l’expression ; simplement le regard amusé d’un homme qui en a vu d’autres, qui a connu les ancêtres, ceux d’avant les millions, des hommes qui parfois avaient deux jobs entre les saisons de hockey pour joindre les deux bouts.

Pas pour dire que le sport n’était pas important. Ron Fournier connaît son sujet à fond, connaît son monde, se tient à jour, appelle partout dans la Ligue nationale de hockey, ne raconte jamais de balivernes. Faut pas se fier : sous ses dehors cabotins, c’est un homme rigoureux, très, très informé, qui travaille ses trucs.

C’est juste qu’avant d’être un ancien arbitre et un commentateur de hockey, c’était un fabuleux homme de radio. Pas « avant », pardon, après. C’est ce qui est épatant. Après avoir été un des rares Québécois à l’époque à officier dans cette ligue, après s’être mué en analyste, il est devenu un homme de radio, et de nos grands.

Une voix dans la nuit. Une voix chaude dans la nuit froide. Une voix comme au coin du feu, comme un plancher qui craque. Approchez-vous, ma gang de tabaslak, je vais vous raconter de quoi…

Enlevez tout le placotage, tout ce qu’on peut dire sur la façon de faire les trios dans une équipe de hockey, sur la manière de faire des passes, sur la valeur des pénalités, et qu’est-ce qui reste ?

Une voix qui nous raconte des histoires.

Une voix qu’on aurait dite d’un autre temps, de tous les temps, une voix des mille et une nuits. Comme une histoire à ne pas finir, à ne pas aller se coucher.

Souvent une voix pour rire aux éclats, des fois pour s’émouvoir, parfois pour se fâcher. Se fâcher à propos de presque rien, mais se fâcher d’aplomb. Ça sert à ça aussi, le sport : à faire circuler une colère sans conséquence. C’est très thérapeutique, c’est consolateur, même.

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Chez Ron Fournier, il y avait dans certains flashes quelque chose du vieux Québec de nos pères et de nos grands-pères.

Il était un perron d’église à lui tout seul, occupé à rapailler, mine de rien, tous les gens seuls, un par un, comme s’il écumait les campagnes rang par rang pour prendre des nouvelles et en donner.

Voix noire, voix durcie, d’écorce et de cordage… Voix des beaux airs anciens, dont on s’ennuie en ville, comme chantait le vieux Vigneault.

Mais… les silences…

Longs, longs silences, de Ron Fournier !

J’ai beau chercher, je ne me souviens de personne dans ce métier qui ait aussi bien maîtrisé l’art subtil et périlleux des silences radiophoniques.

Le silence est un art qui ne consiste pas à cesser de parler. C’est au contraire une manière d’appuyer sur ce qui vient d’être dit… et d’attirer l’attention sur la gravité de ce qui va suivre… Ça parle tellement, un silence !

Un silence à la radio, c’est le pied levé du funambule… On cesse de respirer…

Trois heures et demie en direct tous les soirs, souvent seul, pendant 30 ans, c’est un long fil de fer. C’est beaucoup de mots. Beaucoup de gens qui appellent « Ron » ou « mon Ron », et chaque fois, lui, toujours chaleureux mais jamais familier, répond en vouvoyant.

Quand ils disaient des niaiseries, il les congédiait assez vite, ou démantibulait l’argument comme dans un cours de logique. Jamais de condescendance, jamais de complaisance.

Et je me dis qu’en ayant l’air de parler de hockey dans la nuit noire, c’est d’un peuple qu’il parlait, c’est un peuple qu’il rassemblait, à la fin.

Avec sa retraite de Cogeco annoncée mardi, ce n’est pas exagéré de dire qu’une des voix du Québec vient de se taire.

Longue vie à vous, monsieur Fournier.