Québec devrait abaisser la valeur limite d’exposition des travailleurs à l’amiante « dans les plus brefs délais » pour l’arrimer à la norme fédérale, qui est 10 fois plus sévère, recommande la commission d’enquête sur la gestion de l’amiante du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) dans un imposant rapport déposé vendredi. Les commissaires préconisent par ailleurs la mise sur pied d’un registre des bâtiments susceptibles d’en contenir, ainsi que d’un registre des travailleurs exposés.

« Même si la CNESST [Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail] est en processus de révision de ces valeurs depuis 2017, il n’y a encore aucun repositionnement. Dans ce contexte et considérant la toxicité de l’amiante, la valeur limite d’exposition des travailleurs devrait être abaissée à 0,1 fibre par centimètre cube (f/cm3) dans les plus brefs délais », écrivent les auteurs du rapport de 343 pages.

L’exposition à l’amiante peut entraîner le développement de cancers comme le mésothéliome de la plèvre ou des maladies comme l’amiantose.

Présidée par Joseph Zayed, la commission d’enquête lancée à l’automne 2019 visait à dresser un état des lieux sur la gestion de l’amiante et des résidus miniers au Québec.

Valorisation des résidus miniers

En 2018, le Canada a adopté un règlement qui interdit la vente, l’importation et l’utilisation d’amiante. Or, les résidus miniers en sont exclus, alors que 800 millions de tonnes de débris qui en contiennent sont accumulées dans les haldes d’anciens sites, à Thetford Mines, à Asbestos et au Nunavik. Les haldes sont des montagnes de résidus rocheux concassés qui contiennent divers autres métaux. Certaines entreprises souhaitent aujourd’hui les exploiter.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

De nombreuses haldes sont visibles dans la région de Thetford Mines.

« Cette valorisation doit cependant répondre à deux modalités incontournables. Il faut principalement s’assurer que les travaux d’excavation et de manutention des haldes n’entraînent aucun risque supplémentaire pour les travailleurs et la population. Il est également impératif que le procédé d’extraction utilisé entraîne la destruction totale des fibres d’amiante [...] », peut-on lire dans le rapport.

Révision du processus d’indemnisation

En parallèle, la commission d’enquête demande à la CNESST de réviser son processus d’indemnisation des travailleurs ou de leur succession.

« Il serait nécessaire que certaines modifications soient apportées à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour alléger ce processus [...]. Dans le cas précis du mésothéliome de la plèvre chez un travailleur exposé à l’amiante, il faudrait également que la présomption soit irréfragable, sachant que 80 % des cas de ce type de cancer sont liés à une exposition à l’amiante », écrivent-ils.

Tous les travailleurs susceptibles de se retrouver dans des environnements qui contiennent de l’amiante devraient désormais obtenir un permis après avoir suivi une formation obligatoire.

Réactions

L’Association des victimes de l’amiante du Québec (AVAQ) a accueilli les conclusions du rapport de manière positive. « On est très satisfaits avec cette recommandation, c’est sûr, mais nous, on va plus loin, en disant que d’ici cinq ans, on devrait rejoindre les quelques pays européens pour qui la norme est encore 10 fois moins, soit 0,01 f/cm», a expliqué Norman King, épidémiologiste et conseiller scientifique de l’AVAQ, en entrevue avec La Presse.

Établie à Asbestos, l’entreprise Alliance Magnésium a élaboré une technologie par électrolyse qui permet d’extraire le magnésium des haldes. La société a aussi réagi brièvement vendredi, tout en se laissant les prochains jours pour analyser les conséquences des recommandations du « volumineux rapport » sur ses activités.

« On a partagé notre expertise auprès du BAPE pour démontrer l’équation possible entre l’exploitation des résidus et la protection des travailleurs et de la population ainsi que le respect de l’environnement. Alliance Magnésium s’était même déjà donné [...] des seuils à respecter plus sévères que ce que les normes québécoises exigeaient », a indiqué Karine Vallières, directrice des communications et des affaires publiques, dans une déclaration écrite.