Le 10 avril 2020, la Dre Louise Dumas-Beaudoin est retrouvée morte au milieu de ses chats. Elle venait de passer 10 jours avec René Dupont, son collègue du jury de l’opération Julep, devenu son amant. Dupont était allé se réfugier chez elle le soir où Maxime Tétrault a été assassiné chez lui, à sa place. Que cache ce groupe de jurés corrompus ?

« Bigras, mon hostie de tata ! »

Avec ses gros doigts boudinés, Mario Malatesta se retenait de ne pas réduire en miettes le combiné du seul téléphone public du quartier. De toute sa carrière de flic pourri jusqu’à la moelle, il n’avait jamais eu affaire à un criminel aussi imbécile que Bob « Big » Bigras. Pendant des années, il n’avait pas cessé de protester contre son ascension dans l’organisation, sauf que Bigras était le frère du numéro deux de la section la plus forte des motards. Reconnu pour sa loyauté indéfectible, c’est sûr, mais épais de même, ça faisait douter du sens même de la famille — et il comprenait pourtant ça, la famille. La sienne, liée très discrètement à la mafia dont elle ne voulait rien savoir, avait mis les bouchées doubles pour qu’il mène une vie irréprochable. Mais son oncle Massimo, très haut placé, et qu’il admirait depuis l’enfance, l’avait poussé à devenir commandant afin d’avoir une taupe bien formée au sein des forces policières. Ce n’est pas avec son fond de pension du SPVM qu’il allait vivre sa retraite dorée, mettons. Et certainement pas Bigras qui allait lui scraper cette retraite cinq ans avant la fin de sa « carrière ».

« Quessé qui se passe, encore ? tonna Bigras, déjà sur la défensive.

– À quoi ça sert de t’avoir sauvé le cul pendant l’affaire Julep si c’est pour que tu défasses toute après, mon moron ?

– Mais j’ai fait ce que vous m’avez demandé !

– Tu t’es lancé avec tes gars dans une vague de suicides de jurés, mais c’est le kid qui devait disparaître !

– Mais yé mort, aussi !

– Imagine-toi donc que non. On s’est fait avoir. C’est pas le bon qui a été tué, un autre gars qui a rien à voir, mais qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Dupont a été prévenu je sais pas par qui, mais il savait qu’on allait l’abattre pendant sa réunion Zoom. Pis ça aurait été juste parfait pour faire peur aux autres qui auraient fermé leurs yeules.

– Scuse, je t’entends mal. »

À bout de nerfs, Mario Malatesta arracha le masque qu’il avait sur le visage. Il n’avait pas envie d’expliquer à cet abruti les découvertes de l’enquête de Bombardier. Mais lui, la taupe parfaite, comprenait très bien qu’il y avait une taupe chez Bigras, à Vancouver. Et il avait sous-estimé ce p’tit crisse de Dupont. La soupe était plus que chaude, elle était brûlée. Il avait comme principe de ne pas toucher aux policiers. Rien de pire pour avoir des problèmes. Couler des informations, lancer de mauvaises pistes, faire diversion, prévenir l’organisation, faire capoter une affaire, en laisser passer une ou deux pour calmer le jeu, il savait faire tout ça. Mais si Dupont devait le balancer à Bombardier et que celui-ci se rapprochait un peu trop de sa double vie au sein de la police, il n’aurait pas le choix, même s’il l’aimait bien. La famille avant tout. Et la faute à ce cave de Bigras.

Ce n’était pas possible. Pas Malatesta. Un vertige lancinant s’emparait de Bombardier, qui voyait presque sa vie défiler devant ses yeux. Le commandant était arrivé au poste 35 il y a une dizaine d’années. Un homme apprécié de tous, qui avait une bonne écoute, et ne faisait jamais de vagues. Mais c’est pendant l’opération Julep qu’ils avaient fraternisé pour la première fois. Malatesta avait été son principal soutien après l’échec de l’affaire, il avait recueilli tous ses épanchements de policier frustré, lui avait remonté le moral et répété qu’il était un bon enquêteur. Il avait été un boss exemplaire.

« Tu devrais t’asseoir, Baptiste, dit Jones, pour la première fois compatissante envers son collègue, mais tout aussi ébranlée que lui.

– Si Dupont ne nous mène pas en bateau, tu te rends compte, Jones ?

– Oui, je m’en rends compte. »

Au vertige se substitua une colère sourde, à cette pensée que Malatesta puisse être un traître. Ça voudrait dire qu’il n’avait pas erré dans l’opération Julep, qu’il aurait été un héros et non un policier sur le déclin. Qu’il serait en ce moment en pleine possession de ses moyens.

« Baptiste », murmura Jones pour le sortir de sa torpeur.

Le regard un peu perdu que lui lança Bombardier inspira à la policière une vigueur nécessaire. Elle avait maintenant le couteau entre les dents.

« Ça te tente-tu de conclure l’enquête la plus importante de ta carrière, B. B. ? Moi, en tout cas, je ne veux pas passer à côté de ça. Je suis prête à tout pour y arriver. Et à me faire un nom. »

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