La Fédération des femmes du Québec est en crise. Encore.

PHOTO RYAN REMIORZ, LA PRESSE CANADIENNE

Gabrielle Bouchard, présidente de la Fédération des femmes du Québec

Cette fois, c’est un tweet inintelligible écrit mardi par sa présidente, Gabrielle Bouchard, qui a mis le feu aux poudres.

La machine médiatique s’est emballée. Des politiciens de toute allégeance se sont indignés. Un ministre a même remis en question le financement de la FFQ.

Devant ce nouveau dérapage, beaucoup de Québécoises se sont probablement demandé comment cet organisme pouvait encore prétendre les représenter.

Depuis quelques années, on a l’impression d’assister à la lente implosion de la FFQ. Les guerres intestines se succèdent. Se sentant bousculées ou trahies, des militantes de la première heure quittent le navire.

On a aussi l’impression que la FFQ a été noyautée par des extrémistes de gauche. La défense d’enjeux individuels a pris le pas sur les luttes collectives. Et la Québécoise moyenne a du mal à se reconnaître dans ces nouveaux combats.

C’était tellement mieux à l’époque de Françoise David, se dit-on. Elle, au moins, savait rallier les femmes. Toutes les femmes. La marche Du pain et des roses, qu’elle avait organisée en 1995 pour lutter contre la pauvreté, avait été un vrai tour de force.

Qu’en pense la principale intéressée ?

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Au bout du fil, Françoise David refuse d’abord de se prononcer. Présidente de la FFQ de 1994 à 2001, elle ne connaît pas Gabrielle Bouchard et n’a rien à dire sur sa plus récente bourde.

Cela dit, Françoise David estime que les provocations de l’actuelle présidente ne méritent pas qu’on cloue la FFQ tout entière au pilori. Elle croit également que les enjeux défendus par l’organisme sont loin d’être aussi insignifiants qu’on aime le prétendre. Ils sont difficiles, certes. Ils bousculent.

Mais tout ça n’a rien de nouveau.

« La fédération a été fondée en 1965, et je vous garantis que ce n’est pas la première crise », dit Françoise David. Au congrès de 1972, par exemple, des féministes de « l’aile radicale » avaient provoqué des remous en poussant la FFQ à approuver la revendication… du droit à l’avortement.

De nouvelles questions émergent, c’est normal. Au début, cela inquiète, cela trouble, cela bouleverse. Il ne faut pas s’imaginer que le mariage gai, cela a toujours été populaire.

Françoise David, ancienne présidente de la FFQ de 1994 à 2001

Pour sa part, Françoise David s’est penchée sur des enjeux relativement consensuels au cours de sa présidence. « Nos actions collectives étaient centrées sur la lutte contre la pauvreté des femmes. À l’époque, on sortait de deux récessions et il y avait beaucoup plus de gens pauvres au Québec. »

Désormais, le mouvement féministe se déchire sur la laïcité, sur les transgenres, sur la prostitution. Des enjeux autrement controversés, pour ne pas dire explosifs.

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À trop vouloir être de tous les combats, la FFQ n’est-elle pas en train de perdre le cap ?

Le féminisme « intersectionnel » qu’elle prône place les groupes marginalisés au centre de ses actions. Des femmes qui ont longtemps été exclues d’un mouvement porté par une majorité blanche relativement aisée.

Paradoxalement, le désir d’inclusion qui guide la FFQ semble plus que jamais la pousser dans les marges.

Auparavant, la FFQ luttait pour l’égalité des femmes. À présent, elle lutte pour l’égalité entre les femmes.

La nuance est importante. Parmi celles qui ont claqué la porte, plusieurs estiment que la FFQ n’a pas à défendre toutes les causes. Elle en a assez de celle des femmes.

« Je sais que pour certaines féministes, c’est l’un ou l’autre, dit Françoise David. Pour moi, c’est l’un et l’autre. »

Toutes ces luttes, dit-elle, n’ont pas à s’opposer.

« Que l’on soit attentif aux minorités, c’est une excellente chose. Après, il faut construire un tronc commun. En tenant compte de nos différences, il faut se rallier autour de luttes communes. Et on est capables de le faire. »

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Évidemment, il y a aussi la manière de lutter. Le ton.

Gabrielle Bouchard carbure à la provocation. Elle ne s’en cachait pas, en juin, après avoir écrit sur Twitter vouloir débattre de la « vasectomie obligatoire à 18 ans ».

C’était du sarcasme. Une façon de dire : voyez comme il serait odieux de remettre en question le droit des hommes à disposer de leurs corps. Alors pourquoi certains États se permettent-ils de restreindre le droit à l’avortement des Américaines ?

Le problème, c’est que l’ironie passe mal sur les réseaux sociaux. D’autant plus mal quand il faut se creuser les méninges pour déceler ladite ironie.

En juin, Gabrielle Bouchard a fait face à la tempête. Elle assumait ce qu’elle avait écrit. Même qu’elle s’en félicitait.

« S’il y a des gens qui ne comprennent pas, si on dérange, c’est bien, m’avait-elle dit. Aucune avancée n’a été faite, dans nos droits, sans que ce soit inconfortable. Si on a pu créer un moment où on a été collectivement inconfortables, on a réussi. »

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Quand Gabrielle Bouchard a déclaré, mardi, qu’elle venait d’apprendre à la dure que « les tweets et le sarcasme », ça n’allait pas bien ensemble, c’était des bobards.

Elle le savait trop bien ; c’était très précisément la stratégie qu’elle avait élaborée, des mois plus tôt, pour faire avancer ses causes.

Elle savait trop bien, en écrivant que « les relations de couple hétérosexuelles sont vraiment violentes » et qu’il faudrait envisager leur abolition, qu’elle allait enflammer la twittosphère.

C’était ce qu’elle voulait. Elle a été servie.

C’était le même sarcasme un peu informe qu’en juin. Une façon de critiquer l’approche abolitionniste face à la prostitution, si je comprends bien – encore que ni le message initial ni les explications subséquentes n’aient été très clairs à ce sujet.

Il faut le dire, ce tweet était incompréhensible. En plus d’être rédigé dans un français exécrable. Difficile de reprocher aux gens de le prendre au premier degré quand ils doivent déployer des trésors d’imagination pour comprendre un message de 140 caractères.

La violence envers les femmes ? Oubliez ça. Tout ce qu’on retiendra de cette affaire, c’est la provocation.

En matière de stratégies de communication, j’ai rarement vu pire.

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Gabrielle Bouchard a reconnu être allée trop loin. Elle a admis avoir été « extrêmement maladroite » et promis de tourner plusieurs fois les pouces, à l’avenir, avant de tweeter.

Mais il est peut-être trop tard.

Les appels à la démission se multiplient. Mais surtout, la FFQ s’est publiquement dissociée des propos de sa présidente.

C’est quand même important. Ce ne sont pas des choses qu’on voit souvent. Ce que j’en comprends, entre les lignes, c’est qu’il va y avoir de vrais débats. Ça va être très sain, je l’espère pour la Fédération, qui ne mérite pas de mourir.

Françoise David, ancienne présidente de la FFQ de 1994 à 2001

Pour le moment, ce danger semble écarté : le premier ministre François Legault a assuré mercredi qu’il n’était « pas question, parce qu’on n’aime pas une déclaration, de réviser le financement » de la FFQ.

L’avenir de Gabrielle Bouchard à sa tête, par contre, me semble aussi brouillé que l’un des tweets dont elle a le secret.