Son cas a nécessité deux enquêtes administratives qui ont coûté plus de 50 000 $ aux contribuables. Son dossier médical a fait l’objet d’une violation de confidentialité suffisamment sérieuse pour que le commissaire à la protection de la vie privée s’en mêle. Et sa paye s’est embourbée dans les défaillances du système Phénix.

Plus de cinq ans après avoir porté plainte pour harcèlement psychologique contre l’un de ses superviseurs, Marco Bernier, officier de la Garde côtière canadienne du bureau de Québec, se dit au bord du gouffre financier. En arrêt de travail depuis des mois, l’homme de 53 ans n’est visiblement pas sorti de l’auberge. Sa cause ne sera pas entendue avant plusieurs mois par la Commission des relations du travail.

Le détail de son cas est contenu dans plus de 3000 pages de rapports et de courriels entre fonctionnaires, qu’il a obtenus d’Ottawa grâce à la Loi sur l’accès à l’information et transmis en partie à La Presse.

L’employé fait partie d’un groupe d’officiers qui ont été aux premières loges d’une réorganisation controversée des Services de communication et de trafic maritime de la Garde côtière, qui répondent aux appels radio d’urgence d’embarcations. La fusion du bureau de Montréal avec celui de Québec, en 2014, avait été minée par la « frustration, le cynisme, le sarcasme, le découragement, la fatigue et l’insécurité », lit-on dans un rapport du Bureau de la résolution des conflits de Pêches et Océans Canada, basé sur des entrevues avec 22 employés du service.

Ces derniers ont rapporté de « grandes inquiétudes par rapport à l’absence de planification » de la réorganisation des deux bureaux, ajoute le document obtenu par M. Bernier grâce à la Loi sur l’accès à l’information.

Dans la foulée de cette réorganisation, M. Bernier s’était retrouvé sous les ordres d’un patron avec qui il avait eu maille à partir quelques années plus tôt, lors de sa formation pour devenir contrôleur maritime au début des années 2000.

« Une question de mauvaise gestion »

Les choses ont vite tourné au vinaigre. M. Bernier est parti en congé de maladie avec un diagnostic médical d’anxiété généralisée, et a porté plainte pour harcèlement contre ce patron. La direction des ressources humaines de Pêches et Océans Canada a retenu 5 des 16 allégations de harcèlement faites par l’officier ; toutes celles concernant des faits antérieurs à 2013 ont cependant été jugées hors délai, selon un document du Ministère obtenu par M. Bernier. L’enquêteur a ultimement conclu que le conflit était dû à « une question de mauvaise gestion et non [à] une cause de harcèlement ».

Avec l’assentiment de son médecin, l’employé a fini par reprendre le travail de façon progressive, cette fois sous les ordres d’une autre personne. Mais son ancien superviseur, qui avait été muté temporairement à Montréal, est revenu dans le décor.

[Les fonctionnaires de Pêches et Océans Canada] ont fait foirer trois tentatives de retour au travail. Ils l’ont installé dans un service juste à côté du mien, séparé par un paravent.

Marco Bernier

M. Bernier, qui s’est de nouveau retrouvé en arrêt de travail, s’est alors vu proposer des mutations à Iqaluit (au Nunavut), à Sydney (en Nouvelle-Écosse) ou aux Escoumins. « Je considère que la suggestion d’aller travailler à Iqaluit est une forme de harcèlement pour une personne en arrêt de travail et que l’on veut isoler plutôt que de solutionner son problème », a écrit son médecin, le Dr Jean Roy, à la gestionnaire de M. Bernier.

L’employé a rencontré la commissaire de la Garde côtière, Jody Thomas, en 2015, pour lui demander d’intervenir dans son dossier. Dans un premier protocole de retour au travail négocié avec Mme Thomas, Pêches et Océans Canada disait « reconnaît[re] que du harcèlement en milieu de travail a eu lieu ». Ce protocole n’a cependant jamais été entériné.

Jugeant néanmoins que la première enquête pour harcèlement « n’avait pas été bien menée et qu’une nouvelle enquête serait de rigueur », le Ministère a mandaté en 2016 une firme spécialisée, Samson & Associés, pour reprendre le processus.

Cette nouvelle enquête a coûté 35 211,09 $ en frais professionnels, plus 1765 $ de frais de déplacement et d’envois postaux, indiquent des factures obtenues en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. La première enquête, qui avait impliqué huit témoins, avait quant à elle coûté 21 000 $.

« Je suis convaincu que mon dossier a coûté facilement 500 000 $ [en tout] et plus au gouvernement jusqu’à maintenant », soutient M. Bernier, qui a porté ses griefs devant plusieurs instances, dont la Commission des lésions professionnelles et la Commission canadienne des droits de la personne.

Pendant des mois, à cause des défaillances du système Phénix, il a continué à recevoir sa paye habituelle même s’il était en arrêt de travail, ce qui représente une somme d’environ 75 000 $. « Mon syndicat me disait que c’est un problème positif. Mais ça m’a causé plus de trouble qu’autre chose et je m’en suis souvent plaint. Ça n’est pas passé comme une lettre à la poste avec la compagnie d’assurance », explique-t-il. 

Violation de confidentialité

Après avoir obtenu son dossier grâce à la Loi sur l’accès à l’information en 2016, M. Bernier s’est rendu compte que des notes cliniques et médicales de sa psychologue et de son médecin avaient été diffusées par de hauts fonctionnaires. « Ils disaient que je mentais à ma psychologue, que mon médecin était incompétent », déplore-t-il.

Le Commissariat à la protection de la vie privée a conclu, près de deux ans après qu’il eut porté plainte, que deux cas de divulgation d’informations personnelles avaient eu lieu dans son dossier. « Bien que nous jugeons que votre plainte est fondée, nous sommes satisfaits des mesures prises par le [Ministère] dans ce dossier », conclut la directrice Sue Lajoie.

M. Bernier et le Ministère ont finalement tenté une médiation, en mai dernier, mais celle-ci a échoué.

Pêches et Océans Canada a refusé de commenter le dossier, invoquant la Loi sur la protection des renseignements personnels. « De telles situations comportent leur lot de complexité et Pêches et Océans Canada a à cœur de consacrer le temps et les ressources nécessaires à la résolution de telles situations et dans la plus grande impartialité », a indiqué la porte-parole du Ministère, Carole Saindon, dans un courriel.

Le bureau de Rémi Massé, député fédéral d’Avignon–La Mitis–Matane–Matapédia, où habite aujourd’hui M. Bernier, a communiqué avec le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, Jonathan Wilkinson, pour s’assurer que le dossier progresse. « On veut au moins s’assurer que le bureau du ministre soit au fait du dossier et puisse faire les actions nécessaires pour que ça se règle de la façon la plus humaine possible », dit l’attaché politique René-Jean St-Pierre.

Le dossier doit se retrouver devant la Commission des relations du travail, mais il est actuellement en attente d’une date d’audience, ce qui risque de repousser la décision de plusieurs mois. Pêches et Océans Canada dit n’avoir aucun contrôle sur cet échéancier. « Je ne sais pas si je vais pouvoir survivre jusque-là, dit M. Bernier. Ma mère est morte récemment et je n’ai même pas d’argent pour son enterrement. Ma situation est désespérée, j’ai déjà perdu mon condo, et je devrai déclarer faillite si les choses ne bougent pas plus rapidement. Il faut que cette histoire ait une finalité – positive ou négative – pour que je puisse commencer à guérir. »