Les inondations exceptionnelles influencent la construction des maisons pendant de 20 à 30 ans, selon une nouvelle étude tchèque. Au-delà, les descendants des sinistrés oublient le drame et recommencent à s’installer plus près des cours d’eau.

Travail de moine

Vaclav Fanta, géographe à l’Université des sciences de la vie de Prague, a fait un travail de moine : il a colligé la distance entre les agglomérations et les cours d’eau principaux de la République tchèque depuis huit siècles, puis a comparé ces distances avec les huit plus grosses inondations durant cette période. « Par exemple, durant la deuxième moitié du XXe siècle, il n’y a pas eu d’inondation aussi exceptionnelle », explique l’auteur principal de l’étude publiée dans la revue Nature Communications. « Alors beaucoup de maisons ont été construites dans ces zones d’inondations une fois par siècle. En 1997 et en 2002, il y a eu deux grosses inondations, et les autorités ont interdit de reconstruire dans les zones inondées. » 

Mémoire intergénérationnelle

En moyenne, les zones inondées lors de ces huit crues exceptionnelles ont été désertées entre 20 et 30 ans, phénomène que M. Fanta appelle la « mémoire intergénérationnelle ». « C’est une mémoire qui transcende les individus qui ont perdu leur maison dans une inondation. Mais elle s’amenuise au fur et à mesure que les gens déménagent ou meurent. » Les crues exceptionnelles de la rivière Vltava à Prague, dont le débit normal est de 145 m3/s, dépassaient 4000 m3/s. À noter, l’étude d’un historien bernois publiée en 2009 dans la revue Naturegefahren avait aussi relevé une « accalmie des désastres » entre 1882 et 1976, liée à des constructions en zone inondable en Suisse.

Pressions politiques

Les interdictions de construire en zone inondable peuvent-elles renforcer la mémoire intergénérationnelle ? « C’est possible, mais toute loi peut être abrogée, dit M. Fanta. On peut avoir des pressions politiques pour autoriser à nouveau la construction près des cours d’eau, pour restreindre les zones inondables. Une autre étude a montré que les gens qui vivent près d’une digue ont un faux sentiment de sécurité. » Les programmes d’assurances publiques couvrant les maisons difficiles à assurer pour les inondations peuvent-ils miner la mémoire intergénérationnelle ? « Tout ce qui interfère avec l’état naturel joue un rôle, mais je ne connais pas bien ce type d’assurances, alors il faudrait voir avec des données concrètes. »

Mémoire courte

En 1993, une crue exceptionnelle du Missouri a inondé des quartiers de St. Louis, au Missouri. La population des zones inondées a immédiatement chuté, mais a recommencé à augmenter 10 ans plus tard, selon une étude publiée en 2009 dans la revue Natural Hazards par des chercheurs européens. Cela signifie-t-il que la mémoire intergénérationnelle est plus courte aux États-Unis ? « C’est possible, mais l’étude ne mesure pas directement la construction de maisons près de l’eau, dit M. Fanta. Il y a des études sur la mémoire intergénérationnelle de tribus amazoniennes qui montrent qu’elle peut atteindre 60 ans. On a aussi étudié des descendants de Hollandais qui ont survécu à la famine de 1944 durant l’occupation nazie et, un demi-siècle après, les souvenirs de leurs parents étaient toujours bien vivants. Quand on a un lien émotionnel avec un évènement marquant, quand on entend ou on lit le témoignage d’un survivant, sa mémoire peut survivre pendant plusieurs générations. »