C’est fort en ketchup ! Pierre Karl Péladeau traite les éditeurs de journaux de quêteux, alors qu’il bénéficie lui-même, année après année, du généreux soutien de l’État.

Il se vante d’avoir trouvé la fameuse solution au déclin des médias, alors que le bénéfice d’exploitation de ses journaux a été divisé par cinq depuis cinq ans, passant de 24,7 à 4,3 millions. Sans les publicités croisées venant de son câblodistributeur réglementé Vidéotron, entre autres, il faut se demander jusqu’à quel point ses journaux seraient rentables.

Les dernières quêtes de PKP auprès de l’État ne remontent pas à très loin. Il y a tout juste quatre mois, il avait admis son intention de réclamer de l’argent au Fonds vert du gouvernement du Québec pour l’aider à rentabiliser l’achat des restes de Téo Taxi.

« Et j’ose espérer que le Fonds vert va avoir la décence, et je dirais la rationalité, d’avoir l’ouverture d’esprit nécessaire [pour investir] », avait alors déclaré PKP.

Deux semaines plus tard, en mai, nouvelle demande d’appui de l’État. Cette fois, la direction de TVA, filiale de Québecor, exigeait du gouvernement Legault qu’il garantisse contractuellement que les clients étrangers de ses studios de cinéma continueraient d’obtenir de généreux crédits d’impôt pendant cinq ans, sans quoi elle renoncerait à son projet d’agrandissement. Le projet n’a finalement pas eu de suite.

Je ne dis pas que l’homme d’affaires et son organisation n’ont pas d’objectifs louables en voulant miser sur l’électrification des transports ou sur la culture, mais là n’est pas la question.

Dans l’esprit de PKP, l’État doit avoir la « décence » de lui donner de l’argent pour l’environnement et la culture, mais par ailleurs, il juge indécent que l’État fasse de même pour la pérennité d’une information de qualité, rempart de notre démocratie.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Devant la commission parlementaire sur l’avenir des médias, mercredi, le patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, a traité de « quêteux de l’État » des dirigeants de presse favorables à un programme d’aide universel aux médias.

En commission parlementaire, mercredi, l’homme d’affaires aurait pu se garder une petite gêne – voire une grosse gêne –, sachant que les nombreux magazines de sa filiale TVA reçoivent environ 10 millions de subventions fédérales par année depuis longtemps. Mon collègue Dominique Talbot en fait d’ailleurs état dans un texte aujourd’hui.

Il aurait pu se garder une gêne d’autant plus que ces subventions servent à nous informer, en manchette, du fait que telle artiste a une mère forte, que tel autre « a fait le plus beau voyage de sa vie » ou encore que « la famille royale est en vacances ».

Attention, je ne nie pas l’importance d’avoir un certain « star system » nourri par ces magazines, et qui sert à soutenir une forme de culture. Ce que je dis, c’est qu’il est indécent que PKP ne soit pas à même de constater qu’il reçoit des millions pour publier des potins et qu’en parallèle, il traite les médias d’enquête de quêteux.

À cette liste de coups de pouce de l’État, on pourrait ajouter le remboursement à Québecor du loyer que l’entreprise paie au Centre Vidéotron (2,5 millions), à Québec. Ce centre de 400 millions, faut-il le rappeler, a été payé par le gouvernement du Québec et la Ville de Québec dans le but d’accueillir l’éventuel club de hockey de PKP, qu’on attend toujours.

On pourrait aussi ajouter l’énorme profit de 337 millions réalisé en 2017 par son navire amiral Vidéotron lors de la revente de certaines licences fédérales pour le sans-fil. Ces licences, le gouvernement fédéral les lui avait consenties au rabais pour favoriser la concurrence dans les télécommunications, quelques années plus tôt, mais l’entreprise ne s’en est pas servie.

Mais le summum de l’aide publique à PKP est sans contredit l’appui presque aveugle accordé par la Caisse de dépôt en 2000 pour l’acquisition de Vidéotron. Cette filiale de câblodistribution, faut-il préciser, procure aujourd’hui à Québecor 96,4 % de ses bénéfices.

À l’époque, la Caisse avait investi 3,2 milliards pour permettre à l’entreprise de PKP de prendre le contrôle de Vidéotron et d’en maintenir le siège social au Québec.

La duo Caisse-Québecor avait fait l’erreur de payer comptant les actions de Vidéotron, alors que nous étions au sommet de la bulle des technos, où les titres étaient à leur plus cher en Bourse.

En 2018, Québecor a complété le rachat à la Caisse des actions de Vidéotron qu’elle ne détenait pas déjà. Résultat : la Caisse a finalement obtenu un rendement composé de seulement 2 % par année avec son investissement, contre près de 6 % pour la moyenne de ses fonds (investis en Bourse et dans l’immobilier, par exemple).

Cet écart de rendement signifie une perte de rendement de 2,9 milliards pour le bas de laine des Québécois, rien de moins !

Je ne dis pas que Pierre Karl Péladeau n’a aucun mérite. Je ne dis pas qu’il est un mauvais homme d’affaires. Mais on peut certainement lui accoler le titre de quêteux qu’il donne aux autres. Et pour la décence, on repassera.

Oh, j’ai tenté de lui parler avant de publier, mais il n’a pas rappelé et n’a donc pas répondu à mes questions, comme ce fut le cas lorsque Catherine Dorion l’a interpellé mercredi, et comme c’est souvent le cas de collègues de la salle de rédaction ces dernières années avec Québecor.