Après des études à l’Université Concordia en design graphique, la designer québécoise s’est installée à Milan, en Italie. Habituée de côtoyer les plus grands noms du monde dans son domaine, elle pilote actuellement une exposition unique en son genre et qui fait le tour du globe. Ginette Caron est notre personnalité de la semaine.

Saviez-vous qu’il peut y avoir de grosses tempêtes de neige en mai, en Italie ? Ceux qui devaient assister à l’installation de l’une des œuvres de Ginette Caron au centre d’art contemporain Arte Sella, à Borgo Valsugana, dans la province autonome de Trente, région du nord du pays la semaine dernière, l’ont appris à leurs dépens. 

« Imaginez ! Une grosse tempête, en mai ! lance la graphiste québécoise en riant. Au Québec, OK, je veux bien, mais en Italie ! » 

Il y a eu tellement de neige que l’installation a dû être reportée à cet été. 

Mais le reste de la distribution de ses œuvres, dans le monde, continue.

Parce que la pièce destinée à Arte Sella fait partie des 25 pièces du projet Il Viaggio della Parola, conçu et piloté, partout dans le monde, par l’artiste graphiste originaire de Pierrefonds.

« Le voyage du mot » – c’est ce que ça signifie en italien – a commencé après l’Exposition universelle de Milan, en 2015. Une exposition qui avait pour thème : « Nourrir la planète, énergie pour la vie ».

La graphiste Ginette Caron, qui travaille depuis longtemps en Italie et ailleurs en Europe et compte un nombre imposant de noms immenses sur la liste de clients avec qui elle a travaillé depuis le début de sa carrière – des marques comme Prada, Bulgari, Benneton, Swatch ou les cahiers Moleskine –, avait reçu un mandat d’une firme d’architectes : installer deux phrases traduites en 13 langues, dont l’arabe, l’hébreu, le grec ancien, le français, etc., sur les façades du pavillon du Vatican. Des phrases extraites de la Bible. « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » et « Ce n’est pas seulement de pain que l’Homme vivra, mais de la parole de Dieu ». 

Au lieu d’être peintes sur les murs, les phrases, en métal pâle, étaient composées de lettres plates accrochées en retrait du mur. Ainsi, ce n’était pas tant des lettres qu’étaient formés les mots et les phrases que de leur ombre.

Peu après la fin de l’exposition, la graphiste s’est rendue en Sicile, où elle était membre du jury pour un concours de photo, quand elle a appris que le pavillon japonais de l’expo de Milan y serait réinstallé.

Là, elle a eu le flash : moi aussi, je veux que mon travail pour l’exposition continue sa vie. Et c’est ainsi qu’elle s’est mis en tête de trouver des preneurs pour ses paroles aux quatre coins du monde.

Évidemment, comme ce sont des phrases de la Bible, les organisations religieuses ont été réceptives. Mais il y a aussi les mots dans des parcs, des centres d’art.

De l'Italie à la Chine

L’archidiocèse de Milan a accepté d’installer les paroles à l’église Sant’Ambroggio. Ensuite, la mission des pères oblats de Marie-Immaculée a fait de même à Cacine, dans la jungle en Guinée-Bissau.

L’Université de Saint-Joseph à Macao, en Chine, a pris une phrase, le bureau de la Caritas de Matera, dans le sud de l’Italie, aussi. Les mots sont aussi en Sicile, là où arrivent les migrants, à Stuttgart. Une phrase a aussi été installée à Amatrice, dans le cœur de l’Italie, là où est survenu le tremblement de terre en 2016.

En tout, il y a 25 phrases et 20 ont été installées. Officiellement, il en reste quatre. Et cinq qui cherchent une destination, dont deux en russe, une en polonais et deux en français. « Il faut absolument qu’on en installe au Québec », lance la graphiste. « Ça prend un mur blanc exposé au sud, à l’est ou à l’ouest », précise-t-elle. Pour que les lettres reçoivent la lumière et projettent leur ombre.

Et cette initiative n’est pas du tout religieuse, ajoute la graphiste. « C’est œcuménique, universel. Des phrases que l’on retrouve dans toutes les langues et les religions. C’est un message de paix, d’entraide, de réflexion. »

Découvrir le monde

Ginette Caron n’a pas connu un parcours banal.

Formée à l’Université Concordia en graphisme, née dans une famille de cinq enfants, avec un père architecte et un oncle et un grand-père graphistes, elle est partie en Europe pour un an au début des années 80, peu après la fin de ses études. Objectif : découvrir ce qui se fait ailleurs. 

« Je suis vraiment partie avec mon baluchon. Un jeans et 20 diapos de mon travail. » — Ginette Caron

Elle arrive un 5 mai à Amsterdam, visite des studios, montre son travail. Puis fait la même chose en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Tchécoslovaquie, qui est encore dans le giron soviétique. Elle va en Pologne aussi. Elle va dans les musées, cherche l’art, le graphisme.

À la fin de juillet, elle arrive en Italie. À Bologne. Là, elle trouve finalement du travail à la pige et décide de se poser. Le travail lui permet de rester en Italie pendant quelques mois, puis une année, puis deux.… Plus tard, elle ira à Venise, puis à Milan, où elle vit toujours. Et où elle a mené une carrière exceptionnelle, comme graphiste, en travaillant auprès des plus grands noms du monde du design et de l’architecture. 

À un moment donné, Ginette Caron s’installera à temps partiel à Trévise. Raison : elle est directrice du design chez Benetton. On est dans les années 80, 90, les grandes années de la marque italienne. Caron travaille directement avec le célèbre photographe Oliviero Toscani, qui signera des campagnes de pub historiques. 

Actuellement, elle travaille avec les architectes Quattro Associati, qui construisent un gratte-ciel à Milan, à 100 m du célèbre Duomo. « Je m’occupe du logo, du branding, de la signalisation, des espaces communs. » Elle conçoit des étiquettes de vins, enseigne sur l’identité et la technique d’emballage (le packaging). Pilote un projet personnel appelé 72 KŌ, inspiré d’un calendrier japonais qui divise l’année en 72.

Et quand elle n’est pas à Bombay ou à Chypre, ou ailleurs dans le monde pour des conférences ou des ateliers, elle revient à Montréal voir sa famille, retrouver ses racines québécoises. Et évidemment, chercher le mur pour ses messages de paix.

GINETTE CARON EN QUELQUES CHOIX

Un film : Nostalghia d’Andreï Tarkovski (1983)

Un livre : L’éloge de l’ombre de Tanizaki Junichirō

Un personnage historique : Jeanne d’Arc

Un personnage contemporain : Pina Bausch et mère Teresa

Une phrase : Form comes from wonder. C’est de Louis Kahn, architecte américain d’origine estonienne. On pourrait traduire par : « La forme naît de l’étonnement », mais wonder veut aussi dire « émerveillement ».

Une cause qui la ferait descendre dans la rue pour manifester : « Les mêmes chances pour tous ! Et sur la pancarte, j’inscrirais seulement deux signes mathématiques typographiques, en négatif, blanc sur fond rouge, “DIFFÉRENTS ÉGAUX”. »