S'il n'en tenait qu'à l'industrie du cannabis, des publicités vantant « la saveur et le goût » d'une marque de marijuana en particulier seraient diffusées à la télé, à la radio ainsi que dans les médias sociaux, pourvu que 70 % de l'auditoire soit composé d'adultes.

Une coalition représentant 90 % des producteurs légaux de cannabis vient d'adopter des « lignes directrices » entourant la promotion et le marketing de leurs produits. Le guide d'autoréglementation, obtenu par La Presse, propose aussi que les producteurs de pot récréatif et médical puissent utiliser des « lettrages et des logos colorés » pour l'emballage de leurs produits, mais qu'en aucun cas ceux-ci ne doivent « sembler attrayants pour les jeunes qui n'ont pas l'âge légal propre à la province ou le territoire où ils résident ».

Inspirées de la réglementation entourant la vente d'alcool, ces propositions s'écartent de ce que réclament plusieurs organismes de défense de la santé publique, soit une réglementation imposant à l'industrie du cannabis les mêmes restrictions qu'à celle du tabac. Toute forme de publicité entourant les produits du tabac est interdite depuis 2009 dans les magazines et les journaux au Canada. Des règles volontaires les ont bannies de la télé et de la radio dès 1972.

Présentation à Ottawa

Le guide d'autoréglementation a été présenté aux responsables du gouvernement Trudeau ces derniers jours par l'industrie du cannabis. Son adoption survient alors qu'Ottawa s'apprête à clarifier la réglementation entourant la publicité et le marketing de ces produits. Pour l'heure, le projet de loi C-45 légalisant le cannabis prévoit uniquement une interdiction de proposer des emballages « susceptibles de rendre le cannabis attrayant pour les jeunes ou d'en encourager la consommation », mais autorise les emballages permettant aux consommateurs « d'avoir accès à des renseignements à partir desquels ils peuvent prendre des décisions éclairées sur la consommation de cannabis ». Le projet de loi reste flou sur ce qui entoure le marketing, la mise en marché et la publicité. Le gouvernement québécois n'a quant à lui toujours pas présenté son projet de réglementation, qui clarifiera le fonctionnement de la vente et de la distribution.

« Les lignes directrices que nous avons adoptées sont vraiment une initiative de protection du consommateur », soutient Pierre Killeen, vice-président aux communications corporatives et gouvernementales chez Hydropothecary, un des deux producteurs de cannabis autorisés du Québec.

« Il faut que la réglementation nous permette d'expliquer en quoi nos produits sont plus salubres et plus sécuritaires que ceux du marché noir », ajoute M. Killeen, parlant au nom de la coalition de producteurs légaux.

Le guide d'autoréglementation précise par ailleurs qu'aucune forme de promotion vantant les effets psychoactifs d'un produit ne sera autorisée. « C'est nos marques que nous voulons promouvoir ; pas le prix ni l'effet », affirme M. Killeen.

Outils impuissants

Informée des grandes lignes du guide d'autoréglementation de l'industrie, l'Association pour la santé publique du Québec (ASPQ), qui réclame l'interdiction de toute forme de publicité pour le cannabis, y compris sur les emballages, se montre critique face à cette approche. « Les codes volontaires sont souvent mis de l'avant pour empêcher les législateurs d'adopter des réglementations efficaces. L'industrie du cannabis est comme les autres, elle va utiliser tous les leviers pour éviter un encadrement strict », estime Émilie Dansereau-Trahan, chargée de dossiers à l'ASPQ.

« Ils veulent pouvoir diffuser de la publicité à la télé et à la radio, pourvu que 70 % de l'auditoire soit composé d'adultes. Ça voudrait dire qu'ils pourraient passer des publicités pendant Tout le monde en parle. C'est franchement n'importe quoi », ajoute Mme Dansereau-Trahan.



LES GRANDES LIGNES DU CODE D'AUTORÉGLEMENTATION DES PRODUCTEURS DE CANNABIS

1. La commercialisation des produits de cannabis « se limitera à la promotion d'une préférence de marque et ne tentera pas d'inciter les non-consommateurs adultes de produits du cannabis psychoactifs à en devenir des consommateurs ».

2. « [Elle] ne ciblera pas les personnes de moins de 18 ans ou qui n'ont pas l'âge légal d'acheter du cannabis selon la province ou le territoire où elles résident. »

3. « La publicité et l'image de marque ne [pourront] représenter des personnages ou des animaux, réels ou fictifs, qui sont susceptibles de plaire tout particulièrement aux jeunes. »

4. Tous les messages publicitaires comporteront des énoncés incitant à un usage responsable.

5. Les producteurs n'annonceront « qu'à la télévision, à la radio ou sur les sites Web ou les plateformes de médias sociaux dont l'auditoire est composé d'au moins 70 % de personnes de plus de 18 ans » et dont l'auditoire « aura été mesuré avant l'achat média ».

6. La publicité ne pourra faire la promotion « que d'une marque et non du cannabis en général ».

7. La publicité ne devra pas « contenir un langage impératif visant à encourager la consommation ou l'achat de produits du cannabis ou d'accessoires ».

8. La publicité ne pourra « associer le cannabis à la conduite automobile ».