Saut d'obstacles. Voltige. Ces deux épreuves au programme des Jeux équestres mondiaux décrivent bien le défi auquel est attelé ces jours-ci le comité organisateur de l'événement qui doit avoir lieu à Bromont en 2018.

Éprouvé au cours des derniers mois par une vague de démissions et la mise à pied temporaire d'une partie de son personnel, le comité organisateur des Jeux équestres mondiaux 2018 (COJEM) doit dénicher pas moins de 25 millions en commandites d'ici quelques jours et convaincre le gouvernement fédéral de lui verser une subvention de près de 9 millions.

Un scénario pour le moins optimiste. «Peut-être que je rêve en couleurs, mais j'espère qu'on a 95% des chances d'y arriver. Si je dois prendre la décision de ne pas tenir les Jeux, ce sera la pire décision que je pourrais prendre», a dit à La Presse le président par intérim du conseil d'administration du COJEM, Rosaire Houde, qui prévoit «des développements» à la fin de la semaine prochaine.

Les Jeux équestres mondiaux ont lieu tous les quatre ans, au milieu du cycle olympique, et regroupent huit disciplines dans le cadre de compétitions qui s'étalent sur deux semaines. La venue de cette compétition prestigieuse à Bromont en 2018 marquerait son deuxième passage en Amérique du Nord, huit ans après les Jeux de Lexington, au Kentucky.

La Fédération équestre internationale a confié les Jeux de 2018 à Bromont il y a deux ans. Depuis, le comité organisateur a fait du surplace, reconnaît M. Houde, qui a pris la tête du conseil d'administration après que le directeur général du COJEM et trois administrateurs ont démissionné, à la fin du mois d'avril. «Nous avons dépensé des énergies où on n'aurait pas dû et on a trop attendu pour faire ce qu'on avait à faire, dit-il. Le conseil d'administration aurait dû brasser sa propre cage bien avant.»

Date butoir

Jusqu'ici, le seul commanditaire privé de Bromont 2018 est Longines, un commanditaire de la Fédération équestre internationale (FEI). Mais les 3,5 millions promis par la maison horlogère suisse ne représentent qu'une fraction des besoins du COJEM, qui est à la recherche de 40 millions en commandites pour boucler son budget de 80 millions.

Là-dessus, 25 millions doivent être trouvés immédiatement: la FEI a fixé une date butoir au 15 juillet, indique M. Houde, un avocat qui a déjà présidé la Fédération équestre du Québec (aujourd'hui Cheval Québec). Au-delà, elle pourrait retirer l'événement à Bromont.

Le démarchage de commandites a été confié à Susan Burkman, une résidante de Bromont qui compte une longue feuille de route dans le secteur financier. «Si quelqu'un est capable d'y arriver, c'est elle, dit le ministre de l'Agriculture, Pierre Paradis, dont la circonscription de Brome-Missisquoi englobe Bromont. C'est une spécialiste des montages financiers et elle ne tourne pas les coins ronds.»

Mission impossible?

N'empêche, pour André Richelieu, professeur à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM et spécialiste du marketing sportif, le défi auquel fait face le COJEM est «titanesque», pour ne pas dire «invraisemblable» pour «un événement dans un sport plutôt marginal au Québec qui vise une clientèle réduite et offre une visibilité relativement restreinte». (Les organisateurs affirment pour leur part que les Jeux précédents ont attiré jusqu'à 500 000 spectateurs.)

Se défendant de jouer les oiseaux de malheur, M. Richelieu note que le marché de la commandite sportive n'est plus ce qu'il était il y a 10 ou 20 ans, que la compétition avec les autres sports est féroce et que le contexte économique mondial est particulièrement défavorable. Les commanditaires potentiels pourraient aussi, selon lui, être refroidis par l'image négative qui a entouré le COJEM au cours des derniers mois. 

Québec a promis 8,75 millions au COJEM et Bromont contribuera à hauteur de 2 millions en biens et services. Mais Ottawa, à qui les organisateurs demandent une aide égale à celle du gouvernement provincial en plus d'une collaboration non chiffrée en matière de douane, d'immigration et d'agriculture étudie toujours le dossier. C'est un peu l'oeuf et la poule: «Le fédéral dit que ça aiderait à prendre une décision si le privé embarquait, et le privé dit que ça aiderait si le fédéral embarquait», résume M. Houde.

Le député libéral fédéral de Brome-Missisquoi, Denis Paradis, ne demanderait pas mieux que son gouvernement fournisse sa part. 

«Je pousse bien fort, assure M. Paradis. Québec a déjà mis presque 10 millions. Nous sommes le pays hôte, il faut que nous fassions notre part nous aussi!»

Le COJEM, qui a dû suspendre une partie de ses employés à la mi-juin en raison de ses difficultés financières, espérait une réponse avant aujourd'hui, mais il devra selon toute vraisemblance attendre encore un peu. «Nous sommes conscients que la date d'échéance [du 15 juillet] s'en vient et il y aura une décision d'ici là», a dit mercredi Ashley Michnowski, attachée de presse de la ministre des Sports Carla Qualtrough.

Souvenirs de 2005

Les déboires des Jeux équestres ne sont pas sans rappeler ceux des Championnats du monde de la FINA, en 2005. À six mois de l'événement, la Fédération internationale de natation avait coupé les ponts avec Montréal, la ville hôte. La recherche de commandites était alors au point mort. Il avait fallu que le maire Gérald Tremblay promette d'éponger l'éventuel déficit (qui s'était finalement soldé à près de 5 millions) pour que la FINA accepte de redonner les championnats à Montréal. « La Ville de Bromont est irréprochable, dit Rosaire Houde, du COJEM. Mais c'est une ville de 8000 personnes, pas Montréal ou Québec qui peut dire: "Inquiétez-vous pas, on va mettre ça sur la marge de crédit."»

«Courir après sa queue»

Pour Pierre Paradis, si Bromont devait perdre les Jeux équestres, le Québec «aurait l'air du chien qui court après sa queue». «On vient de perdre les Jeux des pompiers à Montréal, Sherbrooke a échappé les Jeux de la Francophonie de 2021 [NDLR: la candidature de Moncton a été préférée]. À un moment donné, il va falloir réussir.» Le risque que poseraient des échecs successifs est bien réel, selon André Richelieu, de l'UQAM. «Une répétition d'échecs ou de sauvetages en catastrophe serait extrêmement dommageable pour la communauté, mais aussi pour la province et le pays, dont la réputation et la crédibilité seraient exposées.»