Le Cirque du Soleil s'est joint, hier, aux opposants d'une loi jugée discriminatoire à l'endroit des personnes transgenres en annulant tous ses spectacles prévus en Caroline-du-Nord, une première pour l'entreprise. Cette décision « très, très difficile financièrement » était nécessaire pour dénoncer cette « atteinte aux droits humains fondamentaux », soutient le PDG du Cirque du Soleil, Daniel Lamarre.

La loi « HB2 », adoptée le mois dernier par la Caroline-du-Nord, oblige les transgenres à utiliser les toilettes correspondant à leur sexe biologique à la naissance dans certains lieux publics. Cette loi controversée a provoqué un torrent de protestations de la part d'artistes, d'entreprises et de groupes de défense des droits LGBT. Mardi, le gouverneur républicain Pat McCrory a partiellement reculé quand le géant bancaire Deutsche Bank a renoncé à embaucher 250 travailleurs comme prévu. La loi s'applique aux écoles et aux bâtiments administratifs de l'État. Toutefois, les entreprises privées sont libres de l'appliquer.

Cette loi est « inacceptable », tranche Daniel Lamarre, en entrevue avec La Presse. « Cette loi est rétrograde et, surtout, exerce un recul sur les lois fondamentales que nous avons en Amérique du Nord. Comme Nord-Américains, on s'est toujours vantés d'être un exemple pour le reste du monde. Soudainement, qu'un État comme ça, de façon très rétrograde, fasse de la discrimination à un groupe important de notre société, c'était inacceptable. Il fallait démonter notre désaccord », affirme-t-il, de passage à New York pour assister au spectacle Paramour ce soir.

Les représentations du spectacle OVO du Cirque du Soleil prévues à Greensboro et à Charlotte, ce mois-ci et en juillet prochain, ont été annulées par l'entreprise, de même que celles de TORUK - Avatar dans la capitale Raleigh en juin. Les membres du comité exécutif ont pris cette décision de façon unanime. Les nouveaux propriétaires majoritaires du Cirque du Soleil, la firme américaine TPG Capital et la firme chinoise Fosun Capital Group, ont appuyé la décision, soutient Daniel Lamarre.

UNE ENTREPRISE « APOLITIQUE »

Le président et chef de la direction du Cirque du Soleil se défend d'avoir fait un geste politique en annulant ces spectacles. « Nous sommes une entreprise apolitique », répète-t-il. C'est la première fois que l'entreprise fondée par Guy Laliberté annule des représentations pour cette raison. Pourtant, le Cirque du Soleil a présenté ces dernières années des spectacles dans plusieurs pays critiqués pour leur non-respect des droits de l'homme, comme la Russie et le Kazakhstan, et prévoit très bientôt créer un spectacle permanent en Chine.

La présence du Cirque du Soleil dans des pays autoritaires n'est pas contradictoire avec son opposition à la loi HB2 de la Caroline-du-Nord, selon Daniel Lamarre.

« On va continuer à aller dans beaucoup de pays dans le monde, et on n'est pas nécessairement en accord avec toutes les lois de ces pays. On espère que notre présence va contribuer aux changements », a-t-il déclaré. 

C'est cette notion de « recul important » des droits fondamentaux en Amérique du Nord qui a poussé l'entreprise à agir, martèle Daniel Lamarre. « On veut agir comme un agent de changement. La façon d'agir ainsi, c'est d'aller partout à travers le monde, et on espère contribuer à améliorer les droits humains. Et dans [le cas de la Caroline-du-Nord], on ne pouvait pas agir comme agent de changement parce que c'est un recul dans les droits fondamentaux. »

L'annulation de ces spectacles fera perdre « quelques millions » de dollars à l'entreprise, selon Daniel Lamarre, sans préciser le montant exact. « C'est une décision très, très difficile financièrement. Mais on est prêts à vivre avec les conséquences financières. D'avoir eu l'appui de nos principaux propriétaires, c'est très rassurant », soutient-il.

Daniel Lamarre salue la mobilisation de la communauté artistique dans ce front d'opposition à la loi anti-LGBT de la Caroline-du-Nord. « Je ne pense pas que le Cirque du Soleil, seul, va faire changer un gouvernement. Nous ne sommes pas les seuls. Toute la communauté artistique est en train de se regrouper pour tenter de mobilier les gens. Je suis très modeste », dit-il.