Le 31 mars, le jour même de l'expiration des conventions collectives, 2500 délégués du front commun syndical se réuniront pour parler de grève, a appris La Presse.

Les syndicats des secteurs public et parapublic démarrent déjà la machine: ils planifient le dépôt d'une demande de médiation et la négociation d'ententes sur les services essentiels, passage obligé avant de déclencher des débrayages légaux.

La «journée de réflexion sur la grève dans le secteur public», baptisée «Avec nous, en action!», se tiendra à Québec. Ce n'est pas dans ce cadre que se prendront les décisions. Mais à l'évidence, le front commun prépare la voie à la tenue éventuelle d'assemblées générales pour voter des mandats de grève. Il représente environ 400 000 des 530 000 employés de l'État.

Son initiative est inédite. Ni en 2003 ni en 2010, les syndicats n'ont mis sur la table l'option de la grève dès la fin des contrats de travail. Les négociations avec le gouvernement n'ont même pas encore commencé véritablement. Pour l'heure, les parties s'échangent des documents présentant leur argumentaire.

Les coudées franches

Malgré tout, le front commun veut rapidement avoir les coudées franches en vue de déclencher la grève. Il prévoit de faire sauter les verrous légaux bientôt. Il envisage de déposer une demande de médiation dès ce printemps, confirme le président de la FTQ, Daniel Boyer. Après une médiation de 60 jours et le dépôt du rapport du médiateur, les syndiqués peuvent légalement faire la grève.

Mais un autre obstacle se dresse devant lui: la loi sur les services essentiels. Là encore, le front commun envisage de lancer le processus afin de s'entendre avec les employeurs sur le maintien de certains services en cas de débrayage. Le Conseil des services essentiels a son mot à dire en bout de course. Tout ce processus dure 90 jours et peut se dérouler en même temps que la médiation. 

Rappelons que la Loi sur les services essentiels touche la fonction publique et le secteur de la santé, mais pas celui de l'éducation.

Il faut s'attendre à ce que les conditions soient réunies pour rendre légalement possible une grève dans tous les secteurs à la fin de l'été ou au début de l'automne. Un calendrier est en train d'être défini.

«Si on ne réchauffe pas la machine dès maintenant et, donc, si on attend à l'automne, on va être mûrs pour faire des moyens de pression plus lourds uniquement à la mi-2016», explique Daniel Boyer. 

«On ne va pas se chercher un mandat de grève à l'occasion de la rencontre [du 31 mars], mais cette journée est un préalable. L'objectif, c'est de sortir de là boostés pour tenter d'aller chercher des mandats de grève éventuellement» auprès des syndicats locaux.

Le front commun considère que le contexte actuel le force à planifier le recours à la grève plus tôt que d'habitude. 

«Compte tenu de ce qu'on connaît actuellement de l'état de la négociation et, surtout, de la fermeté exprimée par la partie patronale, on se dit qu'on est peut-être mieux de commencer à se préparer maintenant», soutient la vice-présidente de la CSN, Francine Lévesque.

Un rapport de force

Un gouffre sépare les parties. Les syndicats demandent des hausses salariales de 13,5% en trois ans. Le gouvernement Couillard offre 3% en cinq ans, dont un gel pour les deux premières années. Il propose également des changements importants au régime de retraite. Le front commun affirmait le mois dernier, lors d'une rencontre éditoriale avec La Presse, qu'il s'agissait du «pire dépôt patronal» depuis des lustres.

Pour la présidente de la CSQ, Louise Chabot, le front commun a pour «premier objectif de s'entendre sur un contrat de travail» avec Québec, mais il doit aussi «construire un rapport de force».

Il n'y aura pas de tabous lors de la «journée de réflexion». On abordera même la question des grèves illégales, mais les chefs syndicaux sont très prudents à ce sujet. La rencontre permettra surtout d'avoir une discussion large sur les «moyens de pression lourds» et d'offrir aux délégués «des arguments pour convaincre des membres qui pourraient être plus tièdes par rapport à la grève», selon Francine Lévesque.

Grèves rotatives

Le front commun laisse entendre que des grèves rotatives - par secteurs ou par régions - restent l'option la plus plausible si les négociations tournent au vinaigre. Il y en avait eu en 2005, et le gouvernement Charest avait imposé les contrats de travail avec une loi spéciale.

Le recours à la grève n'est pas d'ores et déjà «acquis», précise Francine Lévesque. Dans le cadre des négociations, «plein de choses peuvent précipiter ou ralentir le processus comme tel de recherche de mandat. Au moment où on se parle, je ne peux vous donner de date» de grève.

«Si les pourparlers n'avancent pas plus loin que les offres qu'on a eues sur la table, la question [de la grève] va se poser peut-être plus vite que plus tard», estime Louise Chabot.

Le branle-bas de combat du front commun n'est pas lié à la grève étudiante ou, comme on l'appelle, à la «grève sociale» pour protester contre les mesures d'austérité. Ce sont des éléments distincts, insiste-t-on.

Selon Daniel Boyer, la bataille de l'opinion publique sera rude. Le front commun devra montrer que les syndiqués ne sont pas des «gras dur». «On a beaucoup de travail à faire parce que le discours du gouvernement sur les finances publiques a beaucoup marqué», reconnaît-il.