L'abbé Raymond Gravel n'est pas décédé comme il a vécu. Le «prêtre de combat» est mort doucement, sans faire de bruit, lundi matin, au Centre hospitalier régional de Lanaudière, à Joliette.

Sa dépouille sera exposée jeudi et les funérailles se dérouleront vendredi.

En 61 années de vie, il aura probablement été l'un des prêtres les plus progressistes de l'histoire du Québec, et certainement le plus combattif. 

Car Raymond Gravel, né le 4 novembre 1952 à Saint-Damien-de-Brandon, a mené de grandes batailles. 

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D'abord, une lutte personnelle contre la drogue et le dur milieu de la prostitution, dans lequel il a baigné dans sa jeunesse. Puis, une bataille contre les idées reçues. Contre ceux qui n'ont pas cru que ce prêtre, tellement différent, pouvait enrichir l'Église catholique de sa vision innovatrice de la société.  

Défier les pronostics

Quand il a appris qu'il était atteint du cancer, le 20 août 2013, son médecin a estimé le temps qu'il lui restait à vivre. Six mois. Six mois de douleur causée par les métastases, ces masses cancéreuses qu'un cancer du poumon avait traînées dans ses os. Six mois à regretter 49 années à fumer la cigarette, six mois à attendre la mort, après cet avertissement, ce diagnostic qu'il avait trouvé tellement «rough». 

À «l'échéance», l'abbé, solide, s'était bien moqué de la prédiction du médecin. «Quand j'étais au Séminaire, les Sulpiciens disaient à mon évêque: "si vous l'ordonnez prêtre, il ne fera pas six mois". Ça fait 28 ans cette année», avait-il dit à une équipe de La Presse. C'était en février 2014. 

Il se rappelait alors ses 33 ans, l'année de son ordination presbytérale. Surtout, il se rappelait cette époque, celle à laquelle il ignorait encore qu'il allait passer sa vie à défier les pronostics.

L'homme politique

Ainsi, le Vatican ne croyait pas que Raymond Gravel allait faire à sa tête et briguer la circonscription fédérale de Repentigny, en 2006, quitte à cesser de célébrer les messes et les sacrements. 

Il a finalement fallu deux années - passées sur les bancs de la Chambre des communes, à titre de député du Bloc québécois à Ottawa - avant que le prêtre-député obéisse aux autorités catholiques de Rome et retourne à ses fonctions sacerdotales, sous peine d'être «laïcisé». 

Mais Raymond Gravel ne ravalait pas ses positions de député sur des sujets comme l'avortement ou l'homosexualité pour autant. Un an après avoir voté contre le projet de loi C-484, qui avait pour but de reconnaître le foetus comme une victime indépendante de la mère, il affichait son soutien au docteur Henry Morgentaler. C'était en 2008, et le prêtre allait faire l'objet de nombreuses critiques pour avoir appuyé un médecin connu pour avoir pratiqué plusieurs avortements. 

Trois ans plus tard, l'abbé Gravel intentait une poursuite de 500 000 $ contre le site Web pro-vie Lifesitenews et l'association Campagne Québec-Vie, qui le présentaient selon lui comme un défenseur de l'avortement, en plus de détruire sa réputation et de l'exposer au mépris et à la haine, dans le but de voir les autorités religieuses agir contre lui.  

En 2013, il gagnait la première ronde de son combat, car la Cour supérieure reconnaissait que sa poursuite n'était pas abusive.

Un prêtre aidant

En 2009, l'abbé Gravel célébrait les funérailles médiatisées des enfants du cardiologue Guy Turcotte. Il souhaitait que les adieux à Anne-Sophie, 3 ans, et Olivier, 5 ans, soient aussi remplis de vie que l'étaient les enfants de leur vivant. 

Raymond Gravel était compréhensif, aimant. 

«Si ça peut aider les parents à aimer encore plus leurs enfants, je pense que la mort d'Anne-Sophie et d'Olivier n'aura pas été inutile», avait-il dit, dans une tentative de consolation. Il avait souligné le courage et la force de la mère des petits, avait aussi exprimé le souhait de rencontrer le père assassin «pour le réconforter, sans le juger». 

Peut-être était-ce là la force de l'abbé Gravel, qui écoutait et conseillait tant dans son diocèse, à Joliette, que dans... les casernes de pompiers. 

Il était l'aumônier des pompiers de Montréal, et se sentait dans leurs cérémonies officielles comme un poisson dans l'eau. Il occupait les mêmes fonctions à Montréal et à Mascouche, où la caserne de pompiers porte son nom depuis juillet. Comme bien d'autres, le chef du Service de la prévention des incendies de Mascouche, Jean-Pierre Boudreau, l'appelait «son ami Raymond». 

Le prêtre de combat

D'un article à l'autre, d'une apparition télé à l'autre, l'abbé Gravel défendait ses positions sur des sujets chauds de l'actualité. 

En 2013, malgré la maladie, il suivait étroitement la course à la papauté. Il se disait soulagé que Marc Ouellet («la continuité de Benoît XVI ») n'y accède pas. Il saluait l'arrivée de François, un «révolutionnaire de velours». 

Sans surprise, il levait son chapeau au nouveau pape, qui avait adopté un ton conciliant envers les homosexuels. 

Entre ses traitements contre le cancer, l'abbé faisait aussi un passage remarqué à l'émission Tout le monde en parle

Aux côtés de l'ex-ministre de la Santé Véronique Hivon, il se disait favorable au projet de loi sur l'aide médicale à mourir. «En sachant qu'on peut se faire accompagner jusque dans la mort, j'ai trouvé ça rassurant. Ça ne veut pas dire que j'aurais emprunté cette voie-là, mais au moins je sais que ça existe», lançait-il sur le plateau radio-canadien. 

Il était bien conscient que l'Église s'oppose à toute forme d'euthanasie, mais la maladie était loin d'affaiblir ses convictions. Au passage, il suggérait donc à la sainte autorité de faire preuve davantage d'ouverture dans les dossiers du droit à l'avortement et du mariage entre personnes de même sexe. 

Les adieux

Le 24 décembre, debout et bien droit, Raymond Gravel célébrait la messe de Noël à la cathédrale Saint-Charles-Borromée de Joliette. Chez lui. 

Il habitait cette ville, vivait seul dans une maison au bord de l'eau. Devant les fidèles, il se montrait émerveillé de célébrer une si «belle messe». Il disait espérer être de retour l'année prochaine. Il réchauffait le lieu saint en demandant aux croyants de crier «Joyeux Noël». Dans l'église, l'abbé Raymond Gravel était entouré de ceux qu'il aimait. 

«À l'année prochaine», avait-il lancé pour conclure la cérémonie. 

- Avec Carl Marchand, Jasmin Lavoie et Ninon Pednault

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