Les promesses sont nombreuses en campagne électorale. Certaines changent des vies, pour le meilleur... et pour le pire. Des journalistes des quotidiens du réseau Gesca sont allés à la rencontre de citoyens de partout au Québec pour mesurer l'impact de certains de ces engagements.

À quoi ressemblerait ma vie?

Sans l'assurance médicaments, Marie Claude Sauvageau serait, dit-elle, dans la dèche la plus totale.

Pour elle, tout a basculé en 2011, alors qu'elle venait tout juste d'avoir 40 ans. Mère seule de deux adolescents, elle travaillait comme intervenante jeunesse.

«Du jour au lendemain, j'ai perdu la vision dans mon oeil gauche. Un mois et demi plus tard, le diagnostic final est tombé: j'étais atteinte de sclérose en plaques.»

Depuis, c'est l'incertitude, la vie au gré des poussées qui arrivent inopinément et dont on ne se remet jamais tout à fait.

Mme Sauvageau prend maintenant 18 pilules tous les jours. Annuellement, ses médicaments coûtent 36 000 $.

«De ma poche, je n'ai qu'à payer environ 500 $, dit-elle. Le reste est remboursé par le gouvernement.»

Sa pilule «de base», comme elle l'appelle, coûte 91 $ par jour. Le paquet de 28 comprimés - prescrits, ceux-là, pour l'aider à marcher - vaut 560 $. À cela s'ajoutent tous les autres médicaments prescrits pour contrôler les multiples effets secondaires de la maladie.

Elle connaît par coeur le prix de ses médicaments et elle se demande bien à quoi ressemblerait sa vie si elle devait payer elle-même les médicaments.

Comme elle a dû laisser son emploi depuis que sa maladie l'a mise K.-O., elle vit aujourd'hui des prestations de la Régie des rentes, qui lui procurent un revenu mensuel de 1000 $.

«La première année de la maladie, je me suis endettée de 20 000 $», dit-elle.

Mme Sauvageau ajoute que son fauteuil roulant a été payé par l'État, qu'elle a aussi eu droit à des subventions spéciales pour sa salle de bains et son véhicule. Le CLSC lui offre aussi sept heures de soins à domicile par semaine.

Contrairement à tant d'autres qui se plaignent du système de santé, Mme Sauvageau dit pour sa part qu'elle est bien soignée et qu'elle reçoit de bons services.

Reste qu'il faut de la patience pour affronter la maladie et la bureaucratie.

«L'assurance médicaments, ça va, ça ne fait pas trop de formulaires à remplir, tout est bien centralisé. Par contre, pour tout le reste, rien n'est centralisé et je passe une grande partie de mon temps à remplir des tas de demandes.»

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Instauration d'un régime d'assurance médicaments

Avant sa mise en application, un cinquième des Québécois ne possédait aucune assurance médicaments. Si les personnes âgées et les prestataires de l'aide sociale voyaient leurs médicaments remboursés en presque totalité, bon nombre de Québécois devaient s'organiser avec leurs médecins traitants. Apparu timidement dans le programme électoral péquiste sous Jacques Parizeau, en 1994, le programme a été mis en place très rapidement en 1997 sous Lucien Bouchard.

Année de la mise en place du régime: 1997

LE POUR

Selon une étude réalisée en 2012 par deux chercheurs de l'Université de la Colombie-Britannique, un Canadien sur dix - le plus souvent en raison de ses faibles revenus - est incapable de suivre son traitement, faute de fonds. C'est dire combien le régime québécois d'assurance médicaments, aussi critiqué soit-il ici, fait l'envie de nombreux autres Canadiens. Le gros avantage, c'est que les personnes qui n'avaient pas d'assurances ne risquent plus de tout perdre si elles tombent malades. Tous les Québécois sont maintenant tenus d'être assurés. Environ 40 % d'entre eux sont assurés par le secteur public et 60 %, par le secteur privé.

LE CONTRE

D'abord, la grosse critique, c'est son coût, qui s'élève à 4 milliards de dollars annuellement. N'empêche, certains - notamment l'Union des consommateurs - réclament que le programme public d'assurance médicaments devienne universel. Les personnes qui ont accès à un régime privé d'assurance n'ont pas le droit d'adhérer au régime public et paient leurs médicaments plus cher que les autres.

Il reste que les bénéficiaires du régime public ont eux aussi vu leurs primes augmenter considérablement depuis l'instauration du régime, même si Québec réussit à obtenir ses médicaments à meilleur prix grâce à une négociation serrée des prix et à l'effet de l'achat de groupe.

La liste des médicaments remboursés par l'assurance publique - quelque 7000 produits - n'est pas illimitée et certains se plaignent de ne pas recevoir précisément les médicaments qu'ils souhaiteraient (des médicaments d'origine, par exemple).

- Louise Leduc

«C'était une caricature, ce chantier»

Serge Soucy était travailleur de production et vice-président de syndicat quand Lucien Bouchard a réitéré sa promesse en 1998. Il était loin de se douter, au début de 1999, que l'incertitude vécue depuis 10 ans se transformerait en saga.

À l'époque, le chef libéral Jean Charest accusait le gouvernement péquiste de ne pas aller assez vite dans le dossier. «Il y a eu des discussions au sujet du partenariat potentiel entre Abitibi-Consolidated et Cedrico jusqu'en septembre 1999», se souvient-il.

Devant l'impasse, le propriétaire annonce à la fin du mois d'octobre la fermeture définitive de l'usine frappée d'un arrêt de production «temporaire» depuis le mois de juin.

Un livre pourrait être écrit sur la période écoulée depuis l'élection de 1998, dit M. Soucy. À l'été 2000, le Fonds de solidarité de la FTQ achète l'usine, mais il lui est interdit de la relancer dans le papier journal. Un partenaire déniché par le Fonds, l'industriel Clermont Levasseur, concocte un projet de production de papier glacé.

En août 2001, Claude Blanchet, dirigeant alors la Société générale de financement (SGF), crée une commotion en annonçant qu'il faut adjoindre au projet une firme reconnue dans les pâtes et papiers. C'est une façon de faire entrer Tembec dans le dossier et d'en expulser M. Levasseur.

En décembre 2001, le gratin politique et les sociétés publiques comme la SGF et Investissement Québec annoncent le projet de refonte de l'usine pour 465 millions.

«En 2003, je suivais une formation de 8 h à 16 h à l'usine alors en modernisation, se souvient Serge Soucy. À 16 h, j'allais faire mon quart jusqu'à minuit à la Sûreté du Québec», dit-il.

«Selon le responsable des ressources humaines à Papiers Gaspésia, j'aurais dû démissionner de cet emploi [à la SQ]. Je lui ai dit que je le ferais quand je verrais deux morceaux de papier, ma première paie de l'usine et un bout du papier qu'elle produirait.»

C'était sage. Le 30 janvier 2004, les partenaires de Papiers Gaspésia arrêtaient la modernisation en raison d'un dépassement de coût anticipé de 200 millions. Tous les efforts pour trouver un repreneur ont échoué. Serge Soucy est encore amer.

«Le gouvernement avait changé en 2003. Les libéraux de Jean Charest ont abandonné un projet préparé par les péquistes. Tembec n'a fait aucune planification valable. C'était une caricature, ce chantier. Ce que je déplore, c'est la réputation donnée aux Gaspésiens. Pourtant, d'autres projets ont eu des dépassements de coûts bien plus importants, comme le CHUM, le métro de Laval, le toit du Stade olympique.»

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Gaspésie

Modernisation de la papeterie Gaspésia

Avant l'élection de 1998, le premier ministre Lucien Bouchard réitère cette promesse de 1996, désignée comme «une affaire personnelle». L'usine Gaspésia, de Chandler, connaît alors des arrêts de production quand le marché fléchit à cause de coûts d'exploitation élevés. Il faut moderniser. Les travaux débutent au printemps 2002 et prennent fin brusquement le 30 janvier 2004, en raison d'un dépassement de coûts. En 2014, il ne reste rien de l'usine, et des travaux de décontamination restent à faire.

LE POUR

L'usine Gaspésia emploie 560 personnes en 1998, sans compter 200 travailleurs forestiers et des achats de bois sur les lots privés représentant des millions de dollars annuellement. Il s'agit, ex aequo avec Mines Gaspé à Murdochville, du plus grand employeur industriel gaspésien. Plusieurs scieries régionales y écoulent leurs copeaux. La papeterie est de loin la plus importante source de revenus du chemin de fer gaspésien. L'économie de la MRC du Rocher-Percé repose énormément sur l'usine.

LE CONTRE

La pertinence d'investir dans une usine de papier journal alors que la consommation chute est dénoncée par la concurrence en raison de l'appui d'organismes publics. Abitibi-Consolidated, propriétaire de la Gaspésia, sort d'une grève dans ses usines québécoises qui n'a pas eu l'effet escompté: elle a fait monter les prix. Cette firme, alors le plus grand producteur mondial de papier journal, impose en outre à son partenaire potentiel, Cedrico, présenté quatre mois après l'élection, des conditions d'exploitation douteuses.

- Gilles Gagné, Le Soleil

Le chemin de croix

S'il y a une promesse électorale qui a changé la vie des citoyens du Saguenay-Lac-Saint-Jean, c'est bien celle de la route du parc des Laurentides. Baptisée «le chemin de croix» par plusieurs, la route 175 aura fait de nombreuses victimes au fil des ans.

Le journaliste retraité du Quotidien et du Progrès-Dimanche Claude Côté en sait quelque chose. En plus d'avoir couvert plusieurs accidents survenus sur cette route mortelle, le journaliste a perdu l'un de ses frères et sa belle-soeur en 1985.

Responsable à cette époque de la section des faits divers et du milieu judiciaire au Quotidien, Claude Côté ne travaillait pas le jour fatidique. «J'ai quand même dû appeler au journal pour un autre sujet. C'était un dimanche. C'est Stéphane Bégin qui travaillait aux faits divers. Je lui ai posé ma question, puis je lui ai demandé s'il y avait quelque chose de spécial. Il m'a dit qu'il y avait un accident mortel dans le parc», se souvient-il.

«J'ai tout de suite su que c'était mon frère et sa conjointe. Je m'en souviens comme si c'était hier.»

Après plusieurs appels, les deux journalistes ont appris le pire. «Mon frère a perdu la maîtrise dans une légère courbe. Il n'y avait pas de route à voies divisées dans le temps et la voiture s'est ramassée dans la voie à sens inverse», explique M. Côté.

Claude Côté et sa famille ont installé une croix au kilomètre 105, peu de temps après la mort de Réal. «Il y avait des croix partout, dans le temps. La 175, c'était un peu le chemin de croix du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Lorsque je traverse le parc, il n'y a pas une fois que je ne pense pas à mon frère», confie celui dont les enfants demeurent à l'extérieur de la région.

L'annonce d'une route à quatre voies divisées, qui aura nécessité une décennie de travaux, a changé la vie de bien des gens. «C'est la plus belle nouvelle que j'ai eu à écrire durant ma carrière de journaliste. La construction de cette route, même si par moment on n'y croyait plus tellement les travaux ont tardé à commencer, a sauvé des dizaines de vies. Traverser le parc, c'était presque une aventure périlleuse. La seule chose que je regrette, c'est qu'il aura fallu autant de décès pour que ce projet se concrétise», laisse tomber Claude Côté.

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Saguenay-Lac-Saint-Jean

Autoroute du Parc des Laurentides

Lancée par le comité Accès-Bleuets, l'idée d'une nouvelle route a été reprise par l'ex-député fédéral André Harvey. En 2002, Bernard Landry et Jean Chrétien ont signé l'entente officielle pour la réalisation de la 175. Début des travaux: 2003.  Inauguration à l'automne 2013, 174 kilomètres et 10 ans plus tard.

LE POUR

La sécurité des automobilistes. Même s'il est encore trop tôt pour établir clairement une baisse des accidents sur la route 175, notons qu'en 2003, 10 personnes avaient perdu la vie dans la réserve faunique des Laurentides. En 2004, sept personnes ont péri, tout comme en 2005. À titre de comparaison, en 2013, une dame a perdu la vie sur la 175.

LE CONTRE

Les coûts importants (950 millions), dont 60% (570 millions) ont été assumés par Québec, et le reste (380 millions), par Ottawa.

- Patricia Rainville, Le Quotidien

Construisez-le et ils viendront

Anthony Bluteau, un jeune nageur abitibien, a décidé de s'expatrier en Outaouais, l'automne dernier, afin de parfaire son entraînement dans les couloirs de la piscine du Centre sportif de Gatineau.

Huit mois après son arrivée, l'athlète de 17 ans l'avoue candidement: s'il ne s'était pas joint au Club de natation de Gatineau et n'avait pas profité de ces installations de haut calibre, jamais il n'aurait progressé à un rythme aussi spectaculaire.

Surtout, l'ancien membre du Club Les Marsouins de Val-d'Or n'aurait pas enregistré des performances comme il l'a fait en février, alors qu'il a décroché deux médailles d'argent aux Championnats canadiens de l'Est, à Windsor.

«J'étais devenu celui en tête de peloton, l'homme à battre. Depuis que je suis arrivé ici, j'ai de la compétition à chaque entraînement. Dans l'eau, il y a en a qui me dépassent et qui me forcent à me pousser. Sans eux, je n'en serais pas là», lance le nageur de 5 pi 11 po et 170 livres.

Anthony Bluteau bénéficie aussi d'une dizaine d'heures d'entraînement de plus par semaine, sans compter qu'il compte sur les services d'un entraîneur à temps plein, Michel Bérubé. Cela aurait été impensable en Abitibi-Témiscamingue sans une infrastructure telle que le Centre sportif de Gatineau.

Il faut dire que le Gatinois d'adoption a de l'énergie à revendre alors qu'il doit composer avec un trouble de déficit de l'attention avec hyperactivité. «Dans cette piscine-là, on nage vraiment vite. Elle est reconnue pour ça. Je l'avais découvert lors des Jeux du Québec en 2010. [...] L'ambiance est dynamique, c'est coloré comparativement aux autres piscines qui se retrouvent souvent dans un décor de gros béton gris laid. C'est motivant. À Val-d'Or, on a les mêmes blocs de départ, c'est tout», affirme l'élève en sciences humaines au cégep de l'Outaouais.

L'adolescent avait aussi songé un moment à s'allier au Rouge et Or de l'Université Laval, mais son choix s'est rapidement porté sur l'Outaouais, parce qu'il pouvait profiter des mêmes services et que la distance avec sa ville natale était moins grande.

Legs durable

Ayant lui-même fait un retour aux sources en s'amenant à Gatineau à temps pour l'ouverture du Centre sportif, en 2010, l'entraîneur-chef du Club de natation de Gatineau est lui aussi convaincu que la qualité des installations fait toute la différence.

«Ce n'est pas juste une infrastructure. C'est un legs qu'on laisse à une population. Les gens sont plus actifs et ça attire beaucoup les familles; c'est formidable!», affirme M. Bérubé, qui a entraîné dans le passé des nageurs de renom tels que Yannick Lupien et Chanelle Charron-Watson.

L'effet d'attraction du Centre sportif de Gatineau se fait de plus en plus sentir. L'an dernier seulement, l'édifice a été l'hôte de 30 événements sportifs, dont 2 de niveau international et 5 de niveau national, en plus d'être fréquenté par plus de 512 000 personnes.

OUTAOUAIS

Construction d'un Centre sportif à Gatineau

La Ville de Gatineau souhaitait ériger des installations sportives à la fine pointe de la technologie, dont le coût total était évalué à 50 millionsde dollars. La promesse de dénicher du financement a été faite par l'ex-ministre responsable de l'Outaouais Benoît Pelletier en 2007. Le centre sportif a finalement été construit grâce à l'octroi d'une enveloppe provinciale-fédérale de 20 millions; l'édifice inauguré en 2010 comprend un bassin olympique, une tour de plongeon, un gymnase triple et une palestre.

LE POUR

Le projet fait l'objet d'un consensus régional. Les installations de 18 500 pieds carrés doivent entre autres stimuler le développement de l'élite sportive, augmenter le tourisme sportif et résoudre une pénurie de plateaux pour les différentes équipes du territoire.

LE CONTRE

Étant donné le manque de glaces et la vétusté de certains arénas, plusieurs souhaitent que le complexe comprenne une ou des patinoires. Aussi, l'arrivée de ces nouvelles infrastructures amène la Ville de Gatineau à demander à divers clubs sportifs de fusionner, une idée qui fait l'objet de plusieurs critiques.

- Daniel Leblanc, Le Droit