Après s'être affrontés pendant des mois par médias interposés, le premier ministre Jean Charest et son ancien ministre Marc Bellemare se sont retrouvés face-à-face, mercredi, lors de la première étape d'une procédure judiciaire qui doit départager lequel des deux dit vrai.

Au palais de justice de Québec, M. Charest s'est prêté à cinq heures d'interrogatoire, une étape préalable au procès où sera débattue sa poursuite en diffamation de 700 000 $ contre M. Bellemare.

Accompagnés de leurs avocats, les deux hommes, qui ont croisé le fer à de nombreuses reprises au sujet des allégations de trafic d'influence formulées par M. Bellemare, se sont retrouvés dans une salle de conférence privée, derrière des portes closes.

Durant les cinq heures d'interrogatoire, entrecoupées par une pause vers midi, M. Charest a répondu aux questions des avocats de M. Bellemare, qui a été ministre de la Justice durant un an, jusqu'en avril 2004.

La teneur des échanges n'a pas été révélée, mais des transcriptions pourraient éventuellement être rendues publiques au moment où Jean-François Bertrand, qui représente M. Bellemare, le décidera.

Cela ne semble cependant pas faire consensus, l'avocat de M. Charest, André Ryan, affirmant qu'il faudra attendre le début du procès.

«Si c'est leur position, moi ce n'est pas ma compréhension de l'état du droit», a déclaré M. Ryan en arrivant au palais de justice mercredi matin.

Au printemps dernier, M. Bellemare a ébranlé le gouvernement en affirmant qu'il avait subi l'influence de collecteurs de fonds du Parti libéral du Québec au moment où il devait nommer des juges.

L'ancien ministre, retourné à la pratique du droit, a soutenu qu'il avait informé M. Charest de cette situation, ce que le principal intéressé à nié.

Accusé par M. Bellemare de mentir, M. Charest a décidé en avril de le poursuivre en diffamation.

Mercredi matin, M. Charest est arrivé au palais de justice en simple citoyen, sans le personnel politique ni les gardes du corps qui l'entourent habituellement.

Au groupe de journalistes qu'il a affronté seul, chose rare, le premier ministre a déclaré que l'interrogatoire préalable auquel il allait se prêter fait partie des procédures habituelles lors des poursuites civiles.

«Je suis très ouvert, a-t-il dit. (...) M. Bellemare a le droit de m'inviter a venir répondre a des questions, ce que je fais de bon coeur.»

Lors de l'interruption de midi, M. Charest a affirmé que les échanges se déroulaient «bien», précisant au passage que M. Bellemare était accompagné de deux avocats et d'une stagiaire, alors que lui n'était représenté que par M. Ryan.

«Je ne vais pas vous parler de ce qui se passe à l'intérieur, je veux juste vous dire que ça se passe très bien, a-t-il dit. (...) Ils sont trois avocats, quatre avec M. Bellemare.»

M. Bellemare, qui revoyait M. Charest pour la première fois depuis «un certain temps», s'est lui aussi refusé à tout commentaire, mais il a affirmé qu'il n'y avait aucune tension entre eux.

«Ça se passe bien», a-t-il dit.

M. Charest a affirmé qu'il avait serré la main et salué son ancien ministre, en début de journée, ce qu'il n'a pu répéter au terme de la procédure, M. Bellemare s'étant absenté au moment où il a quitté la salle de conférence.

«Il est parti avant que je puisse le saluer, alors j'ai demandé à ses avocats de le saluer de ma part», a-t-il dit, avant de s'engouffrer dans sa voiture de fonction.

L'interrogatoire préalable du premier ministre permettra aux avocats de M. Bellemare d'élaborer sa défense, qui devra être soumise d'ici au 3 septembre prochain; il sera ensuite interrogé à son tour, d'ici le 15 octobre, par M. Ryan.

L'échéancier prévoit que tous les documents nécessaires au procès devront avoir été déposés devant le tribunal au plus tard le 15 décembre, dans le mesure ou aucun délai n'est demandé par une des deux parties.

Les allégations de M. Bellemare ont incité M. Charest à mandater une enquête publique sur le processus de nomination des juges, présidée par l'avocat Michel Bastarache.

Soutenant que M. Bastarache manque d'indépendance face au premier ministre, M. Bellemare a affirmé qu'il contesterait toute assignation à comparaître devant lui.

Selon ce que l'ancien ministre a déjà déclaré, la poursuite civile intentée contre lui permettra de départager qui dit vrai entre lui et M. Charest.