Les jeunes conduisent trop vite, les jeunes ont trop d'accidents... Mais quels jeunes? Pas tous, préviennent les experts. Comment les repérer? Avant qu'ils ne soient sur la route...

Des chercheurs montréalais ont prouvé pour la première fois que des adolescents de 14 ans à la conduite téméraire sur un simulateur de conduite deviennent des chauffeurs à problèmes une fois la vingtaine atteinte. Les comportements à risque, disent-ils, peuvent donc être dépistés bien avant qu'un volant soit confié aux apprentis.

«Il est possible de distinguer les personnes qui sont le plus à risque et de leur suggérer éventuellement de suivre certains programmes», a révélé à La Presse le professeur de psychologie Jacques Bergeron, de l'Université de Montréal, qui a copiloté l'étude à paraître dans les prochains mois.

Une centaine d'adolescents québécois (tous des garçons) ont été suivis par les chercheurs sur une période de six ans. Lors de la première rencontre, ces jeunes de 14 et 15 ans ont pris le volant d'un simulateur de conduite par ordinateur. «On s'est rendu compte qu'on pouvait distinguer les gens qui ont déjà des attitudes très, très téméraires à l'égard de la route. Des jeunes qui nous disent même qu'ils ont bien hâte d'avoir leur permis pour pouvoir faire de la vitesse.»

Six ans plus tard, les mêmes adolescents, devenus des détenteurs de permis âgés de 20 ou 21 ans, ont été convoqués à nouveau dans le laboratoire. Les chercheurs ont examiné le dossier de conduite de chacun. Ceux qui s'étaient révélés des adolescents téméraires et imprudents sur le simulateur routier avaient accumulé plus d'infractions et avaient été impliqués dans plus d'accidents que les autres.

Le simulateur a révélé les comportements dangereux, mais les chercheurs ont notamment observé le comportement de ces jeunes à vélo. «Ils étaient téméraires à bicyclette, ils le sont devenus en voiture», dit Jacques Bergeron.

L'accent est mis sur les cas problèmes, mais l'étude montre aussi que ce ne sont pas tous les jeunes qui sont grisés par la vitesse et les manoeuvres dangereuses. «On a tendance à parler des jeunes en général, dit Jacques Bergeron. Mais il ne faut pas oublier que les personnes ne font pas toutes preuve de la même témérité.»

Des cours controversés

Les simulateurs de conduite pourraient bientôt être utilisés dans les examens d'obtention de permis et dans les nouveaux cours de conduite. C'est en tout cas ce qu'étudie François Bellavance, professeur à HEC Montréal, qui travaille actuellement à l'élaboration du nouveau curriculum des cours de conduite qui seront obligatoires l'an prochain.

Grâce aux simulateurs, dit M. Bellavance, «on peut simuler toutes sortes de conditions. On pourrait penser à une partie du test qui se passerait sur simulateur pour voir le comportement des nouveaux conducteurs.» Les simulateurs sont déjà utilisés pour évaluer la perception du risque par l'apprenti conducteur en Colombie-Britannique, en Angleterre, en Nouvelle-Zélande et en Australie.

Mais le retour des cours de conduite obligatoires l'an prochain suscite bien du scepticisme parmi les experts en sécurité routière. Certains n'hésitent pas à qualifier la mesure de «totalement démagogique et insensée».

Le professeur Guy Paquette, de l'Université Laval, est du nombre. «Tout ça est gênant parce que toutes les études menées au Canada et à l'étranger montrent que les cours de conduite n'améliorent en rien le bilan. Pire, dans certains cas, ils peuvent le détériorer parce que les jeunes formés afficheraient une trop grande confiance.»

«Et c'est sans compter les problèmes que ça va poser. Je ne voudrais pas être, par exemple, le père d'une jeune fille de Rivière-au-Renard, en Gaspésie, ou de Forestville, sur la Côte-Nord, où l'école la plus proche est à 150 km! Comment on s'y rend? Sans permis? Ce n'est pas le père qui va prendre deux heures pour y aller s'insurge Guy Paquette. Le coût d'accès à la conduite pour les jeunes en région va devenir prohibitif.»

Selon M. Paquette, le parent accompagnateur joue un plus grand rôle dans l'apprentissage de la conduite que n'importe quel cours. Dans une étude qu'il a menée auprès de plus de 1200 apprentis conducteurs, Guy Paquette a noté l'influence déterminante du parent accompagnateur – souvent la mère – dans le comportement de l'apprenti conducteur.

Difficile d'avoir le pied lourd quand maman est cramponnée au siège du passager... «Mais dès qu'il n'est plus surveillé, le jeune se sent libre et c'est là qu'apparaissent les comportements dangereux.»

Par contre, il a constaté que le parent accompagnateur n'enseignait pas toujours à son enfant comment effectuer certaines manoeuvres délicates, comme le dépassement, que le jeune doit alors apprendre par lui-même... avec les risques que cela comporte.

La conclusion de Guy Paquette? «Je crains que le retour des cours de conduite ne se traduise par une déresponsabilisation des parents, dit-il. Je crois beaucoup en un système qui ferait en sorte que les parents puissent continuer à jouer leur rôle.» Il suggère notamment que les parents se donnent la peine d'accompagner leur enfant à la SAAQ au moment de l'examen pour le permis d'apprenti conducteur. De la documentation sur l'accompagnement pourrait aussi leur être remise en mains propres.

Immaturité et inexpérience

D'autres mesures, controversées et impopulaires, pourraient aider à abaisser le bilan routier meurtrier chez les jeunes. Deux facteurs comptent pour beaucoup dans le comportement dangereux de certains jeunes au volant: l'immaturité et l'inexpérience. «Les études psychologiques montrent que le cerveau n'est pas complètement développé, à 16 ans, pour les questions de jugement et d'appréciation du danger», dit Jacques Bergeron. Entre 16 et 18 ans, la maturation est importante. «Mais certains vont atteindre la maturation plus tôt, d'autres ne l'atteindront jamais.»

Repousser l'âge d'obtention du permis à 18 ans ferait certainement une différence sur le bilan routier, estiment les experts. Les jeunes seraient toujours inexpérimentés, mais ils seraient plus mûrs.

Sauf que... «On accorde énormément de place à la voiture au détriment des transports en commun, et les parents en ont assez de faire le taxi pour reconduire leurs enfants!» dit Jacques Bergeron. C'est pourquoi la plupart des législations privilégient l'obtention graduelle du permis à partir de l'âge de 16 ans. Guy Paquette préfère cette mesure à un permis à 18 ans. «Si on oblige un jeune à rester à l'école jusqu'à 16 ans, c'est qu'à 16 ans, il doit travailler. Or, très souvent, les jeunes n'ont pas le choix, surtout en région: ils doivent pouvoir conduire.»

Ailleurs au pays, les législations limitent le nombre de passagers que peut transporter l'apprenti conducteur (voir encadré). Une mesure à laquelle Guy Paquette s'oppose également. «On irait contre nos campagnes qui prônent la conduite désignée. On dirait aux jeunes de rentrer chacun de leur côté après avoir pris un verre? Ça n'a pas de sens. Les policiers sont déjà incapables de faire respecter le port de la ceinture de sécurité qui, malheureusement, a eu tendance à s'éroder chez les jeunes...»