Il y a un an, Anne Lagacé-Dowson était animatrice à la radio et, à titre d'électrice de la circonscription, elle suivait d'un oeil distrait les élections partielles dans Outremont, où Thomas Mulcair se présentait sous la bannière du Nouveau Parti démocratique. La journaliste croyait assez peu aux chances de l'ex-ministre de se faire élire. Et puis le miracle est arrivé pour les néo-démocrates. Thomas Mulcair a gagné, dans une circonscription peinte en rouge depuis des décennies.

Douze mois plus tard, Mme Lagacé-Dowson prie pour qu'un nouveau miracle survienne dans la circonscription voisine de WestmountVille-Marie. Car cette fois, la candidate du NPD, c'est elle. Et si elle rééditait l'exploit de Thomas Mulcair, ce serait l'équivalent d'un séisme puissance neuf pour le chef libéral Stéphane Dion.

«On sent le vent de changement», dit-elle, assise au fond de son local électoral qui, même en plein coeur de l'été, bourdonne d'activité. «Il y a des affinités naturelles entre le Québec et le NPD», ajoute-t-elle. Thomas Mulcair renchérit: «Anne a une base électorale quasiment identique à la mienne.» Même le sondeur Christian Bourque, de Léger Marketing, a déclaré en tout début de campagne que Westmount-Ville-Marie était une circonscription prenable pour le NPD.

Ce sont là les arguments qu'Anne Lagacé-Dowson sert et ressert aux gens qui prennent l'apéro, en cette rare belle journée, sur les terrasses de l'avenue Monkland, dans Notre-Dame-de-Grâce. «C'est une course à deux, martèle-t-elle. Si vous voulez battre les libéraux, votez pour nous. C'est le temps du changement.»

Celle qui a été animatrice à la radio pendant des années a l'aisance naturelle d'une communicatrice professionnelle avec les électeurs. Elle converse avec eux de longues minutes, au grand désespoir de son personnel électoral. Mais les électeurs clairement sympathiques au NPD se font bien rares en cette fin de journée.

«Moi, je suis conservateur», lance un jeune homme d'entrée de jeu. «Pouvez-vous vraiment battre les libéraux?» demande un autre, sceptique. «Moi, je vais voter pour le gars qui est allé sur la Lune!» blague, à la terrasse d'un café, un élève du secondaire dont les connaissances en matière d'exploration spatiale sont, disons, sommaires.

Car Marc Garneau n'est jamais allé sur la Lune. Il a été le premier Canadien à se rendre l'espace. Et il est maintenant, pour la deuxième fois en deux ans, candidat pour le Parti libéral du Canada. Dix-huit heures plus tard, il arpente la même rue que son adversaire néo-démocrate. Et l'accueil qu'il reçoit est totalement différent. Sur toutes les terrasses, plusieurs électeurs non seulement sont ravis de le rencontrer, mais disent clairement qu'ils vont voter pour lui.

À une terrasse, une jeune femme qui termine son sandwich n'en revient tout simplement pas de faire la rencontre d'une telle vedette. «Je suis vraiment honorée de vous rencontrer», dit-elle, serrant frénétiquement la main du candidat. Robert Champoux et sa soeur Ghislaine, qui prennent leur dîner, voteront aussi pour les libéraux. «Nous avons toujours été libéraux.»

L'atterrissage dans Westmount semble donc beaucoup plus facile pour Marc Garneau que dans Vaudreuil-Soulanges, où il a fait sa première expérience politique. Semée de déclarations maladroites sur la souveraineté, cette campagne avait été désastreuse pour l'ancien astronaute. «Il y a eu des moments plus durs que d'autres. J'ai beaucoup appris», résume-t-il avec un mince sourire.

Appris, par exemple, qu'il faut se tenir loin du mot souveraineté. Et qu'il n'est pas idéal d'être parachuté à la dernière minute dans une circonscription qu'on connaît mal. «Cette fois, je connais la circonscription: je suis le seul candidat à y habiter. Et je travaille depuis neuf mois pour bien maîtriser les enjeux.»

Les enjeux de cette circonscription, ce sont notamment la pauvreté et l'itinérance. «Les gens voient Westmount comme une circonscription riche et anglo. La réalité est bien différente.» Ce matin-là, Marc Garneau sortait tout juste d'un petit-déjeuner avec les groupes communautaires qui s'occupent des sans-abri. Ils ont accueilli avec satisfaction sa promesse de rétablir des programmes de subventions qui se terminent en mars prochain. Ils étaient en revanche beaucoup plus sceptiques quant à la promesse des libéraux de réduire du tiers la pauvreté au pays. «C'est très ambitieux comme objectif. Ce sont des dépenses très importantes», observe Pierre Gaudreau, du Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal.

Marc Garneau craint-il que le NPD ne le double sur la gauche sur ce type d'enjeux? Il sourit. «C'est une tout autre paire de manches qu'Outremont. On est dans une circonscription libérale.» En théorie, les chiffres lui donnent raison. Thomas Mulcair a gagné Outremont en convainquant les électeurs bloquistes que seul un vote pour le NPD pourrait faire perdre les libéraux. Il y avait 25% d'électeurs bloquistes dans Outremont. Dans Westmount-Ville-Marie, le pourcentage tombe à 12%. Et le candidat du Parti vert du Canada, Claude-William Genest, le fils du comédien Émile Genest, grugera de précieux points de pourcentage à Mme Lagacé-Dowson.

Et il y a aussi, bien sûr, un candidat bloquiste. Charles Larivée, un jeune militant souverainiste. «La campagne va très bien», assure-t-il au téléphone de son bureau, dans une entreprise de commerce international du centre-ville. M. Larivée téléphone aux journalistes durant son heure de dîner et fait son porte-à-porte le soir et la fin de semaine, car, durant sa campagne, il continue de travailler... à temps plein.

Guy Dufort, avocat chez Heenan Blaikie, qui se présente sous la bannière conservatrice, est moins politicien que son jeune adversaire. «C'est une bataille à trois. Mais dans Westmount, on ne se fera pas d'illusions: c'est un travail de longue haleine.»