La tension a baissé d'un cran, mais la communauté semble toujours aussi divisée. À la veille du scrutin où 25 candidats brigueront l'un des sept sièges du conseil de bande de Kanesatake, un mot était sur toutes les lèvres : changement.

Mais quel changement? Au village, mercredi, les électeurs de Kanesatake étaient catégoriques mais peu bavards. Ceux qui acceptaient de témoigner parlaient à demi-mot et demandaient l'anonymat. Personne n'osait dire à qui irait son vote, «parce que ça pourrait être dangereux», chuchotait une résidante attablée à un restaurant du coin.

Le long de la route 344, qui traverse la communauté mohawk de 1300 âmes, seules quelques pancartes révèlent que Kanesatake est bel et bien en période d'élections. Pourtant, 22 candidats tentent de se faire élire à l'un des six postes de chefs de bande et trois comme grand chef.

«Impossible de prédire qui va l'emporter tellement c'est tranquille», affirme Mary-Jean Vincent, qui a organisé les huit derniers scrutins à Kanesatake. «Mais c'est positif, parce qu'après le chaos des élections de 2005, on a demandé que la campagne soit plus discrète.»

L'ambiance a beau être calme à Kanesatake, les aspirants ne passent pas pour autant inaperçus. Cette année, la liste de candidats comprend des protagonistes importants de la crise qui a secoué la petite communauté en 2004 et qui a poussé l'ex-grand chef James Gabriel à s'exiler après l'incendie de sa maison.

Deborah Etienne, une grand-mère reconnue coupable d'avoir menacé de faire brûler la résidence de James Gabriel, figure au bulletin de vote, tout comme Tracy Cross, l'ex-chef de police sanctionné par le Comité de déontologie policière du Québec pour avoir secrètement enquêté sur James Gabriel et Keith Cree, un participant aux émeutes autour du poste de police de Kanesatake en janvier 2004.

Cinq chefs sortants - autrefois supporteurs de James Gabriel - se présentent également de nouveau, avec Clarence Simon comme leader. Il y a trois ans, tous les membres de l'équipe Gabriel avaient été élus, mais sans leur chef. C'est son rival Steven Bonspille qui avait été choisi.

Selon Clarence Simon, les trois dernières années au conseil de bande ont été «un véritable enfer». «Tout a stagné en raison de la division entre Steven Bonspille et le reste de l'équipe, dit-il. Kanesatake est un paradis pour les criminels. On a essayé de faire changer les choses, de combattre les trafiquants de drogue en ramenant la police mohawk, mais Bonspille ne voulait rien savoir.»

La sécurité ou l'éducation?

Steven Bonspille n'a pas posé sa candidature cette fois. Il a toutefois appuyé Sohenrise Paul Nicolas, un père de 35 ans qui a occupé le poste de président de la Corporation de développement économique de Kanesatake il y a quelques années.

Ce dernier fait cavalier seul, mais il aimerait bien être élu aux côtés de Tracy Cross et du jeune frère de Steven Bonspille, Victor. «Pour rendre Kanesatake plus vivable, il nous faut du sang neuf», affirme-t-il. Ses priorités sont la transparence et la remise sur pied du programme d'immersion en langue mohawk.

De son côté, l'équipe de Clarence Simon souhaite avant tout ramener une police autochtone sur le territoire afin de combattre le trafic d'armes et de stupéfiants ainsi que le climat de peur qui régnerait au sein de la population. Depuis la crise à Kanesatake en 2004, c'est en effet la Sûreté du Québec qui assure la sécurité dans la réserve.

Cet objectif n'est pas prioritaire pour Sohenrise Paul Nicolas et la troisième candidate au poste de grand chef, Véronica Montour. «Le problème de la drogue n'est pas pire ici qu'ailleurs, croit-elle. Kanesatake est une communauté tranquille et pacifique. Éventuellement, on pourrait peut-être songer à ramener la police, mais pas avant de régler les problèmes en éducation.»

À l'image de leurs élus, la population semble également divisée sur le sujet. «On n'a pas besoin de la police», croit Jérôme Gibson, un Mohawk de 28 ans qui a participé aux émeutes de 2004. «Mais d'après moi, dans la population, c'est pas mal 50-50. De toute façon, les gens n'en parlent pas ouvertement pas parce qu'ils ont peur que ça explose comme en 1990 et en 2004. Faudra attendre les résultats pour savoir ce que les gens en pensent vraiment.»

Quelques faits...Située à une cinquantaine de kilomètres de Montréal, la communauté de Kanesatake compte environ 2000 membres, dont 1685 électeurs. Officiellement, 1300 personnes résident sur le territoire qui n'est pas une réserve, mais plutôt des terres allouées par le gouvernement fédéral. D'autres Mohawks vivent à Oka, la municipalité frontalière à la communauté. Le Conseil mohawk de Kanesatake est élu pour une période de trois ans et est composé d'un grand chef et de six chefs.