Ils aiment l'inconnu, l'inédit, parfois même le danger. Voyager, pour eux, c'est sortir non seulement des sentiers battus, mais aussi (et parfois radicalement) de leur zone de confort. Ils sont de plus en plus nombreux à choisir des destinations insolites, des itinéraires difficiles, des moyens de transport hasardeux, et à raconter leurs aventures sur des blogues. Le marché, lui, s'adapte. Portrait d'une tendance.

Témoin du monde

Étudiant en génie électrique et physique à l'École polytechnique, Jean-Romain Roy a parcouru les zones les plus « chaudes » de la planète... dans tous les sens du terme.

« Éviter tout voyage. » Cet avertissement qui figure devant le nom de dizaines de pays, sur la page Conseils aux voyageurs du gouvernement du Canada, semble agir comme un aimant pour Jean-Romain Roy. Loin de le dissuader, ce genre de mise en garde lui donne des fourmis dans les jambes (et peut-être aussi quelques papillons dans l'estomac). 

Jean-Romain a fait son premier voyage solo à 18 ans. Il en a 22, et son passeport est plein. Son idée d'un « vrai » voyage : se déplacer en stop ou en transports en commun, n'emporter que le strict minimum (pas de téléphone ni d'ordinateur), manger aux étals de rue, dormir sous la tente et même boire l'eau du robinet. « Ça rend malade pendant deux semaines, puis ça passe. » 

En janvier dernier, il s'est tout bonnement envolé pour deux semaines en Irak. L'été d'avant, avec un ami, il était allé se balader au Kenya, en Éthiopie et au Soudan. Dans ce dernier pays, les affrontements entre milices rebelles et forces gouvernementales ont obligé 2 millions de personnes à s'entasser dans des camps de réfugiés. 

Mais, contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'idée n'est pas de jouer les risque-tout. « Il y a tout à fait moyen, dit-il, de satisfaire sa curiosité sans pour autant rechercher le rush d'adrénaline et se jeter en plein milieu des troubles », explique Jean-Romain.

Curiosité, voilà le maître mot : il veut voir de ses yeux, et non par le prisme des médias, la réalité du quotidien dans ces pays déchirés. Aller là où on ne l'attend pas. Devenir une sorte de témoin du monde. Et apprendre.

Pour cela, le meilleur moyen, c'est de rencontrer les habitants, de vivre comme eux, près d'eux. De discuter avec eux de leur vie, de leurs espoirs, même de religion et de politique. Preuve que l'idée est bonne : il est toujours reçu à bras ouverts. « Ce qui ne cesse de m'émerveiller, dit Jean-Romain, c'est la générosité des gens, malgré la pauvreté matérielle. À Khartoum, des dizaines de fois par jour, on nous agrippait littéralement dans la rue pour nous inviter à manger ou à boire un thé. »

Vrai que ce genre de voyage ne repose guère son homme. Mais il en est de cela comme d'autres sports extrêmes : il ne s'agit pas de relaxer, mais bien de se dépasser soi-même. « Je me surprends constamment à faire des trucs que je n'aurais jamais cru possibles : faire du pouce la nuit à quelques dizaines de kilomètres de Mossoul ; m'infiltrer à la frontière de la province du Rakhine, en Birmanie ; naviguer à travers la bureaucratie africaine à l'aide de pots-de-vin et de discours persuasifs... » 

On peut ajouter à cela quelques expériences gastronomiques marquantes. « J'ai passé un mois en plein coeur de la forêt amazonienne avec des indigènes, raconte Jean-Romain. On mangeait ce qu'on réussissait à attraper durant la journée. Le plat le plus étrange que j'aie goûté est probablement de la cervelle de singe. On doit fendre soi-même la boîte crânienne avec une roche pour aller la chercher... » 

À côté de ça, manger un peu de misère, voire quelques criquets bien croustillants, c'est, comme on dit, de la petite bière...

>>>Consultez le blogue de Jean-Romain Roy (en anglais)



Cinq questions à un globe-trotter

Qu'est-ce qui est le plus difficile quand tu voyages ? 



C'est de revenir et de concilier ces expériences avec ce qu'on attend de moi ici, à Montréal. 



Une erreur que tu ne referas pas ? 



Les quelques jours que j'ai passés à Kirkouk n'étaient pas une excellente idée. Que ce soit le son des AK-47 avant de s'endormir, des explosifs improvisés durant la journée ou le fait de se faire suivre régulièrement, ce sont tous d'excellents indices qu'il serait préférable d'écourter son séjour. 



Un objet indispensable ? 



Sans hésitation, mes sandales Crocs ! 



Un endroit où tu retournerais volontiers ? 



Le Guatemala, le seul endroit où je me suis senti aussi à l'aise qu'à Montréal. 



Des lectures qui t'inspirent ou t'ont inspiré ? 



Tintin au Congo, malgré son côté colonialiste, est sans doute le livre qui m'a le plus influencé étant petit. J'aime aussi beaucoup les bédés de Guy Delisle et de Marjane Satrapi.



PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Jean-Romain Roy, étudiant en génie physique, voyage dans des endroits parfois étonnants.

Réaliser ses rêves

Luc Labelle, 27 ans, Nuka De Jocas-McCrae, 27 ans et Julien Granger, 27 ans.

En mai 2015, les trois amis ont quitté Montréal pour se rendre au Mexique. Jusque-là, rien de bien extraordinaire. Sauf qu'ils n'ont pas pris l'avion comme tout le monde. Ils sont partis... en kayak.

À raison d'une trentaine de kilomètres par jour (ils s'accordent une semaine de repos par mois), ils prévoyaient de 12 à 15 mois pour atteindre leur objectif, la péninsule du Yukatán - un périple de 9000 km! Quand La Presse les a joints par téléphone en Louisiane, à la mi-avril, ils se trouvaient sur la frontière entre la Louisiane et le Texas et s'apprêtaient à rejoindre le golfe du Mexique.

Mais qu'est-ce qui a bien pu pousser trois garçons apparemment sains d'esprit à entreprendre pareille aventure ? « Le goût de l'aventure, justement ! Ça et le désir de nous dépasser, de nous prouver que nous pouvions le faire », a dit Julien alors qu'il pagayait avec ses inséparables amis au milieu des bayous de la Louisiane.

Les trois, qui se connaissent depuis l'école secondaire, ont toujours eu un petit penchant pour le plein air et les défis de fous. Ils ont réalisé en 2009 une équipée de 2500 km à vélo, de Kelowna à Winnipeg. Rien que ça ! « Ça nous a donné une bonne préparation pour la présente expédition. Par exemple, nous savons maintenant que nous avions fait ça trop vite.

Rencontrer les gens. C'est le moteur (si l'on peut dire !) de nos kayakistes, leur grande joie : « Nous sommes très touchés par l'accueil de toutes ces personnes qui sont prêtes à tout pour nous aider. Les gens nous reçoivent chez eux comme des amis, ils s'intéressent à notre histoire, ils nous encouragent et nous disent que nous leur donnons envie de réaliser leurs rêves. Ne serait-ce que pour ça, nous aurons accompli notre mission. »

Cette mission consiste également à sensibiliser les gens à l'importance de laisser le moins de traces possible de leur passage dans la nature. Les élèves de plusieurs écoles de Montréal les suivent à distance et leur lancent des défis, parfois pour rire, parfois plus sérieusement, et les gars cochent la liste à mesure qu'ils les réalisent.

Leur plus grand défi jusqu'ici, toutefois, c'est la durée du voyage, et le fait qu'ils soient constamment ensemble.

Quand on demande à Julien s'il appréhende le retour à la vie normale, il rit doucement : « C'est sûr que, en pagayant en silence toute la journée, on a le temps de réfléchir à notre retour, à ce qui suivra... Mais on n'en a pas fini avec ce genre de vie, ça, c'est sûr. »

Luc, Nuka et Julien ont mis deux ans à préparer cette expédition, qu'ils documentent en photos et en vidéo, en plus d'en rendre compte presque quotidiennement sur Facebook et sur leur blogue.

Quant à savoir de quoi sera faite leur prochaine aventure, bien malin qui pourra leur tirer les vers du nez. Mais on a cru comprendre qu'ils ont déjà leur petite idée...