Aller à la rencontre des ours polaires. Grimper l'Everest. Visiter un village autochtone. La Terre est grande, mais beaucoup de voyageurs aspirent à vivre les mêmes expériences, ce qui provoque des bouleversements pas toujours heureux. Tourisme de masse et protection de l'environnement ne vont pas toujours de pair.

Des sentiers trop battus

Quand il était guide en Antarctique, dans les années 90, Alain A. Grenier, professeur en tourisme et en développement durable à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), se rappelle que «les gens n'étaient jamais satisfaits de la distance qui les séparait des animaux». Être plus près. Avoir le meilleur point de vue. Voilà les revendications des voyageurs qui paient une fortune pour ce genre d'expédition.

Il lui revient également en tête des images où les touristes marchaient au milieu des manchots, expérience fort perturbante pour ces animaux.

«On joue sur le côté magique du divertissement. Les gens n'apprécient pas vraiment le privilège du spectacle, c'est plutôt un élément qu'ils cochent sur leur liste. On fait des pressions sur les animaux qui sont photogéniques. On veut voir les marqueurs tels qu'on nous les présente.»

Les safaris en Afrique. Les séances de nage avec des dauphins souvent prisonniers d'un bassin. Voilà d'autres exemples d'activités touristiques qui ne se font pas toujours dans le plus grand respect de la nature.

A-t-on perdu la maîtrise de la situation? «Je ne peux pas vous dire qu'il faut interdire ça», tient à souligner le professeur. Restreindre l'accès et mettre en place des infrastructures pour encadrer l'observation représentent en partie des pistes de solution.

Pour le directeur général d'Aventure Écotourisme Québec, Pierre Gaudreault, la présence d'un guide peut aussi contribuer à réduire les impacts sur l'environnement. «Il y a de plus en plus de gens qui pratiquent le plein air, ajoute-t-il. La pratique libre n'est pas toujours encadrée et elle peut être plus dommageable [pour l'environnement].»

L'implication de la population locale est elle aussi un gage de développement durable, selon Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins (GREMM).

«Qui travaille dans ces bateaux-là ? Si on veut que l'activité d'observation dans le parc marin soit une activité durable, il faut que les gens qui y travaillent soient des gens locaux, il faut qu'il y ait des retombées pour les gens, il faut que l'activité ait le moins d'impact possible sur la qualité de l'environnement, comment ils vont traiter leurs eaux usées. Quand on amène beaucoup de gens dans un secteur, on risque d'augmenter l'utilisation de l'eau et de créer des problèmes pour les gens qui vivent là à l'année.»

Au Québec toutefois, on est loin de la catastrophe, estime Pierre Gaudreault. Le flux de visiteurs ne serait pas assez important pour que l'on tire la sonnette d'alarme. «Au contraire, plus on a de gens qui font du plein air, plus ça contribue à la préservation des milieux naturels», dit-il. On cherche souvent à protéger les lieux populaires. Le directeur général d'Aventure Écotourisme Québec cite en exemple le Fjord du Saguenay. Que serait-il advenu de ce territoire si on ne l'avait pas protégé en faisant de lui un parc national? se demande-t-il.

Et il est encore possible ici d'observer la nature sans lui nuire, comme c'est le cas à l'île Bonaventure, le pays des fous de Bassan. En juillet dernier, on comptait quelque 110 000 oiseaux, selon les chiffres fournis par la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ). Les visiteurs et les mordus d'ornithologie qui débarquent ici sont servis puisqu'ils peuvent observer ces oiseaux - venus pour se reproduire et ensuite s'occuper de leurs petits - à environ un mètre de distance seulement. Une corde délimite toutefois le territoire des fous de Bassan, et les observateurs ne peuvent franchir cette frontière. Selon la SEPAQ, ces oiseaux seraient habitués à la présence de l'homme, et la «visite» des touristes ne perturberait nullement cette plus grosse colonie en Amérique, à condition, bien sûr, de respecter le périmètre de sécurité.

Ainsi, selon Pierre Gaudreault, au Québec, ce n'est pas le tourisme qui représente la plus grande menace pour la faune, la flore et les populations locales. «Nos plus grands défis, ce sont la coupe forestière, les barrages et l'industrie minière», estime-t-il. Mais ça, c'est un autre dossier...

Protection des animaux

Pratique contestée: Nager avec les dauphins

Dans les mers du Sud, il n'est pas rare que l'on offre aux touristes d'aller nager aux côtés des dauphins. Si l'activité se pratique encore abondamment, elle est critiquée depuis des années.

Le problème? La captivité pèse lourd sur la vie des dauphins, bien qu'ils semblent jouer et afficher un sourire perpétuel. Comme pour bien des animaux, cette activité est source de stress.

«Le stress causé par leur confinement crée souvent des comportements inhabituels et une faible résistance aux maladies», écrit l'organisme américain de défense des mammifères WDC. Il précise qu'un dauphin en activité doit parcourir 1320 fois la longueur d'un bassin pour atteindre la distance d'un peu moins de 10 km franchie par ses semblables dans la nature chaque jour.

De nombreuses campagnes remettant en question la garde en captivité des mammifères marins ont été menées par divers groupes au cours des dernières années. L'an dernier, les parcs d'attractions SeaWorld ont annoncé la fin de tous leurs programmes d'élevage d'orques en captivité après la diffusion d'un documentaire critique des pratiques de l'entreprise.

Un exemple à suivre: Les excursions aux baleines

Peut-on participer à une excursion d'observation sur le Saint-Laurent et le Saguenay sans nuire aux baleines, rorquals et marsouins qui y nagent? «C'est sûr qu'aller voir les baleines en bateau dans leur habitat naturel, dans les endroits où elles se concentrent, ça cause un certain dérangement. C'est inévitable», dit Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins (GREMM).

Par contre, ce dérangement est contrebalancé par les bonnes pratiques adoptées au fil des années par les principaux acteurs de l'industrie, mais aussi par les effets de la sensibilisation du public. «L'observation des baleines, si c'est bien fait et accompagné de programmes de sensibilisation et d'interprétation, ça a un potentiel d'éveil, de toucher des fibres sensibles incroyables. Au point de modifier la façon dont les gens perçoivent leur environnement et les inciter à adopter des comportements responsables», souligne Robert Michaud.

Entre le «potentiel de dérangement» et le «potentiel de sensibilisation», les conséquences sur les mammifères marins sont réduites, notamment grâce à des règlements mis en place au fil des années. Ceux-ci déterminent, par exemple, le nombre maximum de bateaux dans une zone donnée et la distance qu'ils doivent garder avec le mammifère.

Le directeur scientifique du GREMM note que l'évolution des bonnes pratiques dans l'industrie a été progressive et qu'elle suit l'évolution de la société. «Au début des années 80, on ne pensait même pas que le bruit avait un impact sur les baleines. Maintenant, on a commencé à prendre les signatures acoustiques des bateaux de la flottille du parc marin pour éventuellement identifier des solutions plus pointues, par exemple modifier les bateaux ou moins utiliser ceux qui sont les plus bruyants», illustre Robert Michaud.

À la question peut-on monter sur un bateau pour aller observer les baleines sans se sentir coupable, Robert Michaud répond oui. Il prédit tout de même que l'observation des baleines se fera mieux dans 10 ans qu'aujourd'hui, tout comme elle se fait aujourd'hui d'une manière plus éthique qu'il y a 10 ans. «Il ne faut pas lâcher», dit-il.

Photo David Goldman, archives Associated Press

La captivité pèse lourd sur la vie des dauphins, bien qu'ils semblent jouer et afficher un sourire perpétuel. Comme pour bien des animaux, cette activité est source de stress.

Protection de l'environnement

Pratique contestée: L'ascension de l'Everest

L'image est frappante: un ciel bleu, des sommets enneigés et... des centaines de bouteilles de plastique qui jonchent le sol. L'une des plus célèbres montagnes du monde est aujourd'hui victime de sa popularité.

La plupart des «alpinistes en herbe» n'escaladent pas l'Everest jusqu'à son sommet, mais se rendent jusqu'à l'un des deux camps de base, à 5154 ou 5364 m d'altitude. «Il y a des gens qui se disent qu'ils doivent cocher l'Everest sur leur liste, déplore Richard Rémi, fondateur de l'agence de voyages d'aventure Karavaniers. Beaucoup de gens le font donc pour les mauvaises raisons. Est-ce que ça se traduit par des bonnes pratiques? Je pense que certains d'entre eux ne sont pas préoccupés par la culture et l'environnement.»

Résultat: le paysage de cette montagne mythique est assombri par un amoncellement de détritus laissés par les marcheurs de plus en plus nombreux.

«Où vont-ils, ces déchets ? demande celui qui agit également à titre de guide. Le Népal n'a pas assez d'incinérateurs pour disposer des bouteilles de plastique.»

Il tient toutefois à souligner que la situation n'est, selon lui, pas pire qu'il y a 15 ans, même s'il y a plus d'achalandage.

Un exemple à suivre: Le parc de la Rivière-des-Mille-Îles

Lieu de villégiature très fréquenté au début des années 1900, la rivière des Mille Îles a ensuite été abandonnée parce que trop polluée. «C'était un égout à ciel ouvert», illustre le cofondateur du parc, Jean Lauzon. Puis, au milieu des années 80, avec son collègue Michel Aubé, il a décidé d'agir. S'est alors amorcée une vaste opération de dépollution et de protection de l'environnement. L'endroit est ensuite devenu un lieu protégé. «Si on n'avait pas été là, le territoire aurait probablement été tout remblayé pour du développement, estime M. Lauzon. Dans les îles, il y aurait des maisons partout», poursuit celui qui décrit l'endroit comme un «joyau en milieu urbain».

Photo Tashi Sherpa, archives Associated Press

En général, les «alpinistes en herbe» n'escaladent pas l'Everest jusqu'à son sommet, mais se rendent jusqu'à l'un des deux camps de base, à 5154 ou 5364 m d'altitude.

Protection de la culture

Pratique contestée: Croisières aux îles San Blas

Situées dans le nord-ouest du Panamá, face à la mer des Caraïbes, ces îles occupées majoritairement par le peuple kuna sont maintenant prises d'assaut par les croisiéristes.

C'est du moins ce que rapporte Richard Rémi, fondateur de l'agence de voyages d'aventure Karavaniers. Ce peuple est notamment reconnu pour ses molas, une forme d'artisanat permettant de concevoir des plastrons ou des tuniques. Les passagers des bateaux se les arrachent, provoquant une forte hausse de la demande. «Il faut qu'ils tissent davantage et ils n'ont plus de temps pour le reste», se désole M. Rémi, qui ajoute du même souffle que l'économie de ce peuple dépend maintenant essentiellement des touristes. «Si, au moins, ça rapportait beaucoup d'argent.» C'est que les excursionnistes qui débarquent demeurent peu de temps dans l'île, une journée tout au plus. Et la majorité mange et s'abreuve sur le bateau.

Un exemple à suivre: Le site de Wendake

À proximité de la Capitale-Nationale, la nation huronne-wendat a développé l'art d'accueillir les visiteurs sur son territoire. Les gens de la communauté ont ainsi notamment mis en place l'Hôtel-Musée Premières Nations et reconstruit une maison longue. Ils organisent également des visites guidées sur leur territoire, le tout dans le plus grand respect de la culture huronne, assure Sébastien Desnoyers-Picard, conseiller en marketing pour Tourisme autochtone.

S'il admet qu'il existe toujours un danger de «folklorisation» et de mise en scène exagérée, M. Desnoyers estime qu'il est important d'insister sur le fait qu'il s'agit d'un site de reconstitution. Les guides portent effectivement des costumes traditionnels, mais on se fait un point d'honneur de remettre les pendules à l'heure en expliquant que les membres de la communauté ne vivent plus de cette façon. Et ce, même si «les Français s'attendent à voir des plumes».

PHOTO THINKSTOCK

Situées dans le nord-ouest du Panamá, face à la mer des Caraïbes, les îles San Blas occupées majoritairement par le peuple kuna sont maintenant prises d'assaut par les croisiéristes.