«Ma grand-mère ne serait pas fière!» Gígja Svavarsdóttir rigole. Depuis deux minutes, elle regarde les participants de son atelier de cuisine islandaise se battre avec la crêpière de fonte presque centenaire pour réussir les crêpes les plus minces possible, comme sa grand-mère les aimait.

«Elle mettait juste ce qu'il fallait de préparation pour que tout le monde ait une crêpe. Si la cuisinière faisait les crêpes trop épaisses, elle ne mangeait pas!» 

Cette grand-maman à l'indéniable sagesse pratique est souvent évoquée pendant l'atelier de trois heures animé par Gígja et son époux Egill Gunnarsson. Le couple n'hésite pas à faire appel aux enseignements de cette femme modeste - qui a reçu sa première (et sa seule) fourchette à l'âge de 20 ans - pour présenter la culture de leur pays. 

Les Islandais ont forgé leur identité nationale en affrontant, au fil des siècles, plusieurs famines et catastrophes naturelles. La nourriture étant rare, le gaspillage était impensable. On le comprend dès qu'on pénètre dans l'ancienne conserverie rénovée de Reykjavík, où se tient l'atelier. Sur la table, deux théières brûlantes sont déposées, remplies de tisane faite de plantes indigènes. «Servez-vous, lance l'hôtesse. En Islande, on ne fait pas le service lorsqu'on reçoit. Ainsi, les convives ne prennent que ce qu'ils veulent boire ou manger, rien de plus.»

Pendant une heure, l'atelier se déroule autour de la table, devant une délicate tisane aux graines d'angélique. Il est question de la colonisation de l'île. De la langue islandaise avec son alphabet à rallonge (32 lettres!) et sa prononciation impossible. Des noms de famille composés à partir du prénom du père (ou parfois de la mère).

Les enjeux contemporains s'invitent dans la discussion. Les policiers qui n'ont pas d'arme à feu (ce qui fait sourire l'Américain du groupe). L'Islande qui continue de chasser la baleine de façon commerciale, malgré les moratoires internationaux. Or, Gígja adore le goût de la baleine. «On ne chasse que les espèces non menacées, comme le petit rorqual.» Elle raffole aussi du requin du Groenland faisandé, mets traditionnel devenu quasi folklorique pour plusieurs Islandais. Aucune question n'est malvenue... et les hôtes sont généreux pour offrir conseils et bonnes adresses au pays.

À table! 

Heureusement, on n'aperçoit pas de requin faisandé ni de petit rorqual tranché sur le long comptoir garni de vivres où Egill nous invite à passer. Mais il y a ici de quoi piquer la curiosité, notamment une demi-tête de mouton calcinée (avec les dents, l'oeil et la peau noircie par un chalumeau), posée bien en évidence. 

Autour: du pain cuit à la vapeur par géothermie, du hareng mariné, de l'agneau fumé, du skyr, du beurre. Pour boire, les choix sont étonnants : une boisson gazeuse à base de malt ou du «mysa», le petit-lait prélevé lors de la transformation laitière qui est resté, depuis l'époque des Vikings, une boisson traditionnelle. 

Et la tête de mouton n'est pas simplement là pour la décoration... «C'est un plat typique en Islande, dit Egill. On mange tout: la joue, la langue, les yeux...» Les yeux? Sans blague? «Bien sûr!» Pour le prouver, il extrait l'oeil de la tête avec un couteau et le coupe en quatre. La tête a été bouillie; l'oeil est devenu solide, mais l'iris sombre reste bien visible. Egill avale sa partie en souriant avant de déposer les autres quartiers dans nos assiettes, à côté de cubes de joue et de langue. 

Personne ne se défilera. Mais personne ne demandera une deuxième part de ce bout de viande peu savoureux, à la texture grasse et gélatineuse. Les limites alimentaires de plusieurs ont été dépassées... 

Lorsque Gígja sort ses crêpières, tout le monde est soulagé. 

«On sert des crêpes lors des grands rassemblements et en Islande, les plus grosses fêtes ont lieu lors des funérailles. Souvent, le défunt a choisi le menu, la musique, comme s'il disait: "Je vais manger ceci ou chanter cela avec vous avant de partir."» 

Les participants ont tous la chance de tester leurs talents. Après deux ou trois essais, les crêpes sont fines, dorées.

La créativité est peu sollicitée, mais le plaisir est partagé. «Chaque famille a sa recette de crêpe, ajoute Gígja. On y étend de la confiture et de la crème fouettée, puis on plie la crêpe en quatre. Ma grand-mère disait toujours de ne pas mettre de la confiture sur toute la crêpe. Pour elle, c'était un signe de gloutonnerie et le moyen le plus certain de ne plus jamais se faire inviter nulle part!» 

Infos: Les ateliers sont proposés chaque jour sur réservation et sont offerts en anglais. Des ateliers en français peuvent être organisés sur demande. Coût: 87 euros (environ 125 $) par personne.