Pour aller de Vancouver à Halifax, il faut franchir près de 4500 km. Par la voie des airs, par la route... ou en train. Notre journaliste a choisi de traverser le Canada en voie ferrée, ajoutant même un trajet dans le nord de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, à l'image des pionniers de ce vaste pays... et à la rencontre de ceux qui le découvrent avec émotion encore aujourd'hui.

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Deuxième d'une série de trois voyages en train à travers le Canada:

LE CANADIEN

> Départ: gare centrale de Montréal, 11 h 50

> Durée: près de 94 heures

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«C'est au milieu de nulle part», dit un passager au cellulaire.

Cet endroit, on l'appelle «Hornepayne». Demain matin, nous arriverons à Winnipeg où nous ferons une halte de quelques heures. En attendant, les voyageurs se succèdent devant un casse-tête de 1000 pièces illustrant un fjord quelque part dans le monde, on ne sait trop où. Probablement en Europe.

Il y a Stacey, un jeune étudiant de Vancouver, qui fait le trajet aller-retour juste pour l'ambiance. Shelly, de Thunder Bay, se rend à Winnipeg pour consulter un cardiologue. Sandra va à Vancouver pour des retrouvailles entre amies. «Mes amis me trouvent folle de prendre le train, le trajet est long. Mais je voulais voir le pays autrement», lance-t-elle.

Derrière la boîte du casse-tête, il y a les signatures de plusieurs passagers précédents du train. L'un souligne qu'il ne manquait que cinq morceaux à placer quand il est arrivé à destination. L'autre marque sa victoire en quatre jours. Une musicienne prénommée Glenna commence à chanter du vieux country en grattant sa guitare. Des passagers se laissent tenter par une dégustation de bières de l'Ontario. À l'heure du souper, ils abandonnent le casse-tête.

Voiture-restaurant

Il y a un couple âgé assis en face, et un retraité à droite. Les jeunes sont rares dans les voitures avec couchette. Les tarifs assez élevés y sont pour quelque chose, pensent les gens réunis à la table, même si ça vaut le coût pour quatre nuits, repas compris. Un homme semble soudain désespéré. Il pensait trouver des médicaments à Hornepayne pour calmer le mal des transports de sa femme, mais il n'y avait pas de pharmacie. Heureusement, une passagère bien équipée pour la survie en train s'est portée à leur secours.

Le chef laisse ses fourneaux, demande si la côte d'agneau au vin était bonne, puis disparaît dans un autre wagon.

Certains retournent au casse-tête, d'autres décident de se replier dans leur compartiment. D'autres encore font connaissance autour d'un verre.

La traversée des Prairies

Petit matin, réveil quelque part à la frontière du Manitoba.

Quatre voyageurs s'acharnent sur le casse-tête. Mis à part l'animatrice du train, les agents de bord ont perdu le sourire à cause du manque de sommeil. Une équipe va les relayer à Winnipeg. Les passagers, quant à eux, auront droit à une escale de quelques heures. Les fumeurs sont soulagés. On offre une promenade guidée du quartier historique francophone de Saint-Boniface. Il y a aussi un tour en autobus. Et la possibilité d'aller au marché pour prendre une bouchée.

L'ambiance change complètement après Winnipeg. Une famille de 15 Américains de Buffalo, dont le père de 83 ans souffre d'un cancer très avancé, fait le voyage pour honorer son rêve. Ça parle fort. Les cinq enfants ont décidé de tuer l'ennui des Prairies en faisant le plein de bouteilles et de victuailles. Ils offrent une tournée. Le père bénit tout le monde. Ça parle de plus en plus fort. De gros fous rires. Chacun y va de sa petite histoire. La soirée ne se terminera pas avant 1h du matin.

L'Ouest

Réveil pour le moins fripé dans le coin d'Edmonton. L'un des membres de la famille de Buffalo se demande où sont les Rocheuses. Sa soeur en profite pour courir de long en large sur le quai de la gare afin de se dégourdir les jambes. Les autres marchent.

«All aboard!»

Il faut déjà remonter dans le train. Prochain arrêt: Jasper. Les voyageurs délaissent de plus en plus le casse-tête. Il reste tout le ciel sans nuages à finir.

Jasper. Un arrêt trop court de 45 minutes, mais assez long pour acheter des souvenirs et déguster une crème glacée. On apprend que George, l'un des passagers du train, est né en Roumanie et vit maintenant au New Hampshire. Après avoir fait le tour du monde de toutes les façons, il a décidé de le refaire en train. Il aime le vieux scotch et a une théorie sur tout.

Rocheuses, après-midi. Tout le monde est à genoux sur son siège, la bouche ouverte. Des frissons devant toute cette grandeur. De vrais enfants. Durant le souper, un arc-en-ciel vient couronner le spectacle. «Il y en a deux», lance un passager à sa douce sous un tonnerre d'exclamations. Le couple a vécu un amour secret durant 30 ans avant d'enfin pouvoir le dévoiler au grand jour. Ils sont beaux. Pour eux, le train est une sorte de lune de miel.

Les passagers se couchent tôt avec le changement d'heure. Réveil le lendemain en Colombie-Britannique. Après le déjeuner, ce sera la fin du voyage à bord du Canadien. On parle peu. Une sorte de lourdeur d'émotions s'installe, même chez le personnel. Notre chef de train remet à chacun un certificat d'excellence en souvenir du voyage à bord du légendaire train numéro un. On n'a pas terminé le fichu ciel du casse-tête. Le bonheur de vivre la traversée du pays ensemble a pris le dessus. On se quitte sur le quai de la gare de Vancouver. Il y a les accolades, les tapes dans le dos, les échanges de coordonnées, et certaines promesses de se revoir. Le vieux George dit qu'il va passer par Montréal pour philosopher devant un scotch.

Au diable le casse-tête.

Les prix

Les tarifs pour un aller simple varient de 500 à 2500$ par personne, selon la classe de wagon. On peut voyager en classe économie ou affaires jusqu'à Toronto, où il faut changer pour monter dans le Canadien qui démarre vers 22h. Dans ce dernier, le numéro un, on peut choisir un simple siège ou un compartiment dans un wagon où l'on partage toilettes et douche. Mais le nec plus ultra est le compartiment avec deux lits superposés, toilettes privées, lavabo, service de chambre avec serviettes au besoin, douche commune dans le wagon, et tout le nécessaire pour un voyage de quatre jours. Le forfait comprend aussi tous les repas et les dégustations d'après-midi.

Photo Bernard Brault, Archives La Presse

La cathédrale de Saint-Boniface, au Manitoba.