Vingt-six navires de croisière auront débarqué 3000 passagers dans un des villages du Nunavut et principalement sur la terre de Qikiqtaaluk - mieux connue sous son ancien nom de terre de Baffin - pendant le bref été arctique.

Même si l'augmentation est appréciable, les chiffres restent modérés. Les retombées économiques aussi, puisque les croisiéristes n'auront injecté que 250 000 $ dans l'économie des petites communautés locales, essentiellement pour acheter de l'artisanat.

Mais la demande pour les croisières dans l'Arctique canadien devrait grimper en flèche au cours des prochaines années. D'abord, parce que les accros de la formule, qui ont «fait» les Caraïbes, la Méditerranée, la mer Baltique et l'Alaska, se tournent aujourd'hui vers les croisières «en eaux froides».

C'est une des raisons qui incitent les ports de notre estuaire, fédérés dans le cadre de l'organisme «Les croisières du Saint-Laurent», à moderniser ou agrandir leurs installations portuaires, voire à en aménager de nouvelles, comme c'est le cas à Saguenay.

Mais une autre raison permet d'anticiper un développement rapide de l'offre dans l'Arctique: le réchauffement climatique qui fait fondre la banquise à vue d'oeil, ménageant ainsi aux navires l'accès à des endroits qui leur étaient jusqu'ici interdits, et allongeant la saison qui, jusqu'à présent, ne comptait même pas 60 jours.

Les conditions de navigation sont nettement meilleures en Antarctique que dans l'Arctique (même si quelques icebergs y rendent la navigation parfois périlleuse: les 150 clients du grossiste torontois GAP Adventure en ont fait l'expérience, lorsque leur navire, le MV Exlorer a fait naufrage, en novembre dernier!).

L'offre s'y est donc développée plus rapidement. Selon les statistiques compilées par l'IAATO (International Association of Antarctica Tour Operators), 34 354 voyageurs ont navigué dans les eaux léchant le continent antarctique, l'hiver dernier (là-bas, c'est leur été!). C'est trois fois plus que pendant l'hiver 2000/2001.

Si les Américains forment le groupe national le mieux représenté (45,5 % du total), les Canadiens se prennent d'engouement pour les banquises australes: alors qu'ils ne constituaient que 4,4 % des passagers, en 2004, ils formaient 12,2 % du contingent, l'an dernier.

Il y a 10 ans, la croisière en Antarctique était la chasse gardée des agences dites «d'expédition» comme GAP Adventure ou Quark Expeditions (la plus active dans ce créneau) qui reconvertissent d'anciens brise-glaces en petits navires de croisière. Mais aujourd'hui, l'IAATO compte parmi ses membres plusieurs grandes compagnies: Crystal Cuises, Holland America, Princess et même la très chic Compagnie des îles du Ponant.

En 1984, le voyagiste américain Lindblad, spécialisé dans les circuits haut de gamme, envoyait son navire - le MV Lindblad Explorer, avec 98 passagers à bord - franchir le fameux passage du Nord-Ouest, qui relie l'Atlantique au Pacifique en serpentant entre les îles de l'Arctique canadien.

Depuis, d'autres compagnies dites d'expédition commercialisent régulièrement le même itinéraire. La base la plus septentrionale de la Garde côtière américaine était jusqu'ici située dans l'île de Kodiak (qui a donné son nom à la célèbre espèce de grizzli). L'érosion de la banquise a incité les autorités à en inaugurer deux nouvelles, à Point Barrow (la plus nordique des villes américaines) et à Prudhoe Bay.

«Nous nous préparons à accueillir le monde dans l'Arctique», a lancé le contre-amiral Gene Brooks, qui commande la Garde côtière en Alaska. Il a mentionné les bateaux de pêche et les pétroliers, mais aussi les navires de croisière.

Autre indice qui ne trompe pas: à la mi-août, les forces armées canadiennes ont lancé l'opération Nanook 2008, au Nunavut. Elle mettait en oeuvre la frégate HMSC Toronto, 120 militaires et 70 rangers (les volontaires inuits qui sont «les yeux et les oreilles» de l'armée dans le Grand Nord).

Il s'agissait, bien sûr, d'affirmer la souveraineté canadienne dans les eaux glacées de l'Arctique. Mais aussi de se préparer à orchestrer des opérations de sauvetages dans des eaux qui deviendront de plus en plus fréquentées.