Montréal compte un certain nombre de commerces ouverts 24 heures sur 24. La ville en apparence calme et endormie est pourtant bien active pour les oiseaux de nuit. La Presse est partie à la découverte de quelques-uns de ces lieux qui ne ferment jamais l'oeil.

Ils ont choisi la nuit

Ils servent des clients, offrent des services ou cuisinent pour la journée à venir. Ils côtoient les oiseaux de nuit, cette faune méconnue. 

MIN LEHOUX, MAISON KINDER

Elle a fondé la garderie Maison Kinder, ouverte jour et nuit, avec son conjoint il y a trois ans. « C'était difficile de trouver une garderie avec des heures flexibles ou encore lorsqu'on a besoin d'une garderie pour quelques heures seulement, le soir et la nuit. Il n'y avait pas beaucoup d'options », explique la dame d'origine chinoise, arrivée au Canada en 2001. À cette époque, elle était mère seule, sans réseau et ne parlait pas français. Elle avait de la difficulté à se trouver une garderie pour lui permettre d'aller à des entrevues ou encore à des rendez-vous importants. « C'était avant de rencontrer mon mari, j'arrivais de Chine », raconte-t-elle.

Le service de soir et de nuit de la Maison Kinder répond aujourd'hui à ce besoin. « Nos clients, ce sont des parents qui travaillent dans le domaine de l'hôtellerie, la restauration, dans le domaine de l'aviation ou encore des infirmières, des médecins, etc. »

Les enfants, âgés de 4 mois à 6 ans, viennent à la Maison Kinder pour y passer la soirée et la nuit, ou seulement quelques heures. L'établissement offre plusieurs activités durant la journée, mais c'est beaucoup plus calme en soirée. « Certains enfants dorment très tôt, explique Min Lehoux. Il y a des enfants pour qui c'est plus difficile, une première nuit sans maman. Mais ça se passe très bien. Les parents nous expliquent comment on met l'enfant au lit, chaque enfant est différent : une histoire, une doudou, la lumière, la lecture après le bain, etc. »

EVELYNE FLEURY, ACTION 500 - KARTING, PAINTBALL, LASER

« Je travaillais déjà de nuit depuis trois ans dans une station-service. Moi, c'est un rythme qui me va bien, je n'ai pas de misère à m'adapter et revenir de jour les fins de semaine », explique Evelyne Fleury, au poste de minuit à 9 h le matin. Elle accueille les amateurs de karting qui viennent faire des tours de piste alors que la majorité des gens ont la tête sur l'oreiller. Ils sont deux, un signaleur et elle, pour faire fonctionner la piste.

« Nous avons les courses à volonté de 23 h à 5 h. C'est vraiment intéressant. Il y a les bons coureurs et des gens un peu moins expérimentés. Et même lorsque les clients ne se connaissent pas, les gens s'entraident. Même si c'est plus tranquille en début de semaine, on a tout le temps au moins quatre ou cinq coureurs sur la piste », calcule la jeune femme.

Elle ne cache pas qu'il arrive, à l'occasion, que certaines personnes ne soient pas en état de conduire. Et elle insiste du même coup sur la sécurité : « On est ouverts toute la nuit, nous ne sommes pas si loin que ça du centre-ville et des bars... La sécurité prime. Celle de la personne et celle des gens autour. On est très stricts. En travaillant de nuit ici, il faut être capable de bien interagir avec les gens, mais aussi bien les structurer dans leur activité. »

ENRICO CIMINO, BOULANGERIE & PÂTISSERIE SALERNO

Son père et deux oncles ont fondé la Boulangerie Salerno en 1965. Dès son ouverture, on y accueillait les clients jour et nuit. « Comme c'est encore le cas aujourd'hui, il y avait la fabrication du pain qui se faisait le soir et la nuit. On travaillait avec la porte ouverte, les gens venaient pour acheter du pain, alors on a décidé de mettre quelqu'un au service à la clientèle pour servir la nuit », explique Enrico Cimino, qui poursuit les activités de l'entreprise familiale avec sa soeur et son père.

La nuit, le commerce est visité par des jeunes, des chauffeurs de taxi, des chauffeurs d'autobus, des policiers, des professionnels de la santé et beaucoup de clients réguliers. « On vend de tout. On fait des sandwichs, de la pizza, du café, c'est comme le jour. »

L'homme se souvient d'un Noël où il avait été décidé de fermer la boutique pour un petit congé d'une seule nuit. « La personne qui a fermé a mal barré la porte. Les clients entraient, ce n'était pas barré ! Même s'il n'y avait personne dans la boulangerie, le magasin était plein de monde et il n'y avait personne pour servir. Le locataire d'en haut nous a téléphoné pour nous en informer, les patrons sont revenus pour servir les clients et à partir de là, les patrons ont pris la décision de ne plus jamais fermer. Nous sommes toujours, toujours ouverts. En fait, je ne sais même pas où est la clé pour barrer la porte... », confie avec humour Enrico Cimino.

Destinations nocturnes

Les restaurants sont souvent les premiers à nous venir en tête lorsque l'on pense à des commerces ouverts 24 heures. Pourtant, ça grouille aussi dans plusieurs endroits de la métropole. Petite escapade dans le Montréal de nuit et la diversité de ses commerces.

ANYTIME FITNESS

4117, boul. Saint-Laurent, Montréal

Plusieurs salles d'entraînement restent ouvertes la nuit. Dans le cas de la succursale montréalaise de la chaîne Anytime Fitness, il n'y a pas d'entraîneur présent sur place. L'entrée est sécurisée par carte magnétique et est réservée aux membres seulement, qui ne peuvent pas amener d'invités. La clientèle est constituée de gens qui travaillent sur les quarts de travail de soir et de nuit, ou encore de gens pour qui l'entraînement matinal se fait bien avant le lever du soleil.

CAFÉ MILTON B

3498, avenue du Parc, Montréal

Anciennement exploité sous l'enseigne Second Cup, le Café Milton B ne ferme pratiquement jamais ses portes. Tout près de l'Université McGill, les nuits sont très occupées pendant l'année scolaire. « Ce sont surtout des étudiants et quelques oiseaux de nuit, des résidants du quartier », explique le propriétaire Jack Ahmed. Il se décrit lui-même comme un pionnier des cafés 24 h à Montréal, ayant ouvert le premier Second Cup 24 h sur la rue Sainte-Catherine il y a plus de 20 ans.

INTERMARCHÉ DU PLATEAU

1670, avenue du Mont-Royal Est, Montréal

Faire son épicerie la nuit ? Absolument. Des travailleurs de soir ou de nuit, des chauffeurs de taxi, des personnes âgées, des étudiants, la clientèle de nuit est tout aussi diversifiée que celle de jour. « Nous avons ouvert la nuit il y a 18 ans. Mon frère, qui travaille avec moi, notait que dans le quartier, le soir et la nuit, à part les dépanneurs, il n'y avait rien », explique Marc, le gérant. Aujourd'hui, il estime qu'il y a autant de clients entre minuit et 3 h qu'entre 8 h et 15 h.

BUANDERIE ROYALE PLUS

4824, chemin de la Côte-des-Neiges et 1817, rue Bélanger, Montréal

Ouverte depuis les années 80, l'entreprise familiale exploite 16 buanderies au coeur de Montréal. De ce nombre, deux sont ouvertes 24 h sur 24 dans Côte-des-Neiges et Rosemont. « Nous avions d'autres buanderies 24 h, mais nous avions des problèmes avec les itinérants. Nous avons dû fermer ces succursales et n'en garder que deux », explique Gerry, le propriétaire. Les nuits sont tranquilles à la buanderie, mais les faibles frais d'exploitation pour rester ouvert justifient que le service 24 heures soit maintenu.

LES BIBLIOTHÈQUES D'UNIVERSITÉ

À l'Université Concordia, les bibliothèques Vanier et Webster sont ouvertes 24 h sur 24 de septembre à avril. À l'Université de Montréal, l'ouverture de nuit est restreinte aux périodes d'examens, mais cela n'est pas suffisant, si on se fie aux résultats du projet Votre bibliothèque idéale, une initiative de l'université où les répondants demandaient des heures d'ouverture prolongées pendant toute la session. Du côté de l'UQAM, un study-in a même été organisé en avril dernier dans le but de demander des changements à ce sujet, particulièrement en période d'examens et le dimanche.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

L'économie du 24 h/24

Avant de songer à développer une offre de service de nuit, il faut penser aux coûts associés, à la sécurité des clients, du personnel et des lieux et se questionner sur la pertinence d'une telle initiative dans un endroit donné. Entre nuits endiablées et activités commerciales qui dynamisent des quartiers entiers, des chercheurs se penchent sur les répercussions d'une économie de nuit.

Montréal a-t-il déjà été plus actif de nuit qu'il ne l'est aujourd'hui ? « Pendant les années 30 ou 40, on pense à la guerre, une période où l'économie roule à plein régime et où les gens travaillent sur trois quarts. Ils sortent du travail à toute heure. Il y avait une effervescence économique », explique l'historien Mathieu Lapointe, chercheur postdoctoral à l'Université McGill qui a développé une expertise sur les campagnes de moralité des années 40 et 50 et travaillé avec le Centre d'histoire de Montréal dans le cadre de l'expo et du livre Scandale !. Mais le Montréal de nuit a bien changé depuis, et l'activité économique nocturne semble avoir perdu de sa vigueur du temps.

OFFRE COMMERCIALE ET ACTIVITÉ INDUSTRIELLE

Will Straw, directeur du projet interdisciplinaire The Urban Night et professeur en communications à l'Université McGill, vient de Hamilton, une ville industrielle et pas du tout reconnue pour son nightlife, où l'offre de service de nuit est pourtant supérieure à ce que l'on retrouve dans bien d'autres grands centres urbains. « Étant une ville industrielle, c'est là qu'on voit des commerces, des supermarchés et des stations-service qui sont ouverts toute la nuit parce qu'il y a toute une population qui travaille dans les usines la nuit », souligne le professeur Straw.

« Depuis que les usines sont sorties des centres-villes comme à Montréal, on voit moins de gens qui travaillent la nuit et qui vont faire l'épicerie ou magasiner pendant leur pause ou en terminant à 5 h du matin. »

- Will Straw, directeur du projet The Urban Night et professeur en communications à l'Université McGill

Le projet The Urban Night s'intéresse à la gouvernance des villes et de la nuit. « Ce qui est plus intéressant pour moi, c'est l'idée de l'économie de 24 heures, explique Will Straw. Ça a commencé à Manchester dans les années 90 où les gens qui avaient des entreprises opérant de nuit disaient que la ville ne mentionnait jamais ce qu'ils faisaient lorsque l'on parlait de la vie économique de la ville. On ne savait pas comment compter ou mesurer les économies de nuit, c'était une économie invisible, pourtant les bars, les taxis, les restaurants, contribuent à l'économie de la ville. »

Des métropoles comme Paris, Londres ou Amsterdam ont maintenant des « maires de nuit » qui ont comme mandat de représenter la nuit auprès de l'administration municipale.

Les chartes de la vie nocturne et des accords entre les propriétaires de commerces et les résidants permettent de prolonger les activités de plus en plus tard dans la journée et de développer graduellement ce segment économique d'une ville.

L'AVENIR DE L'ÉCONOMIE DE NUIT

Mis à part l'univers du divertissement, est-ce que tous les quartiers pourraient soutenir des librairies, des magasins de meubles et tout autre type de commerce qui seraient ouverts la nuit ? Will Straw en doute : « Je ne suis pas certain. Pour le commerce qui est déjà assez fragile, ce serait risqué. Par contre, je crois que ce sont des endroits hybrides qui fonctionnent maintenant. Une librairie et un café, par exemple. Ce sont là les choses les plus intéressantes et prometteuses que j'ai vues dans les grandes villes que j'ai visitées. Un mélange d'offres associées. Pour moi, ça peut sauver certaines formes de commerces et ça rend la vie plus intéressante. »

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

La Presse s'est promenée dans le Montréal de nuit pour explorer la diversité de ses commerces.