Légale depuis 1999, la pratique de sage-femme ne cesse de gagner en popularité. Bien que leur profession soit associée à la tradition dans l'imaginaire collectif, ces spécialistes du suivi de grossesse et de l'accouchement ont les deux pieds dans la modernité.

Une sagesse demandée

Les sages-femmes existent depuis des siècles, mais l'évolution du système médical québécois, spécialement durant la première moitié du XXe siècle, a mené à une décroissance de la profession. Jusqu'à ce qu'elle tombe dans l'oubli, dans les années 60. Pourtant, la décennie suivante, des revendications visant à créer un cadre légal entourant leurs activités ont débuté, menant à l'adoption de la Loi sur les sages-femmes en... 1999.

«Parce qu'il y a eu une coupure pendant quelques années, c'est comme si la profession revenait, mais elle a toujours eu sa place, affirme Lucie Hamelin, directrice du baccalauréat en pratique sage-femme à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Notre offre de suivi de grossesse est aussi valable que celui d'un médecin de famille ou d'un gynécologue.»

À ce sujet, les perceptions ont beaucoup changé en 20 ans.

«Avant, les gens voyaient les sages-femmes comme de vieilles dames, granolas et proches de la nature. Ils comprennent maintenant qu'elles sont des professionnelles intégrées aux centres de santé et aux maisons de naissance. Et la clientèle est surprise de voir autant de jeunes sages-femmes», explique Lucie Hamelin, directrice du baccalauréat en pratique sage-femme à l'UQTR.

Le regain de popularité de leurs services s'explique aussi par leur gratuité et un bouche-à-oreille soutenu, selon Marie-Ève Saint-Laurent, présidente de l'Ordre des sages-femmes du Québec. «On répond à un besoin et les femmes satisfaites en parlent autour d'elles.»

Les sages-femmes représentent une option attrayante pour celles qui manquent de temps avec leur médecin. «Les médecins doivent performer et ils ne peuvent pas prendre le temps de répondre à toutes les questions, explique Christiane Léonard, sage-femme. Le nombre de minutes consacrées à une rencontre de suivi prénatal de base est de sept dans le monde médical. C'est très court pour avoir une vision globale de ce qui se passe.»

De leur côté, les sages-femmes rencontrent leurs clients une fois par mois pendant une heure. «Après avoir analysé les éléments biomédicaux, on parle de toute l'évolution des quatre dernières semaines, de l'expérience de la mère, du partenaire et des autres enfants», dit-elle.

Par ailleurs, plusieurs femmes aiment l'idée de ne pas être obligées d'accoucher à l'hôpital, puisqu'une sage-femme peut les accoucher chez elles, dans une maison de naissance ou en centre hospitalier. Si un problème survient, les liens avec les instances médicales sont bien sûr déjà établis.

Combattre les perceptions

Néanmoins, les sages-femmes se battent encore contre de fausses perceptions sur l'encadrement de leur pratique. «Les plus grandes craintes concernent la formation et notre capacité à maintenir la sécurité durant l'accouchement, observe Mme Léonard. Mais quand les gens apprennent qu'on est capables de donner des médicaments, de stabiliser les urgences et que les transferts médicaux sont bien organisés dans le réseau de la santé, ils sont rassurés.»

En effet, les sages-femmes sont formées en réanimation néonatale avancée et en urgences obstétricales (hémorragies, jumeaux non diagnostiqués, bébé qui se présente par le siège à la dernière minute, etc.). Et elles possèdent le matériel pour fournir de l'oxygène durant l'accouchement. «La formation de l'UQTR a encadré la pratique, tout comme la formation en continu qui permet aux sages-femmes de se mettre à jour constamment, comme les autres professionnels de la santé», précise Lucie Hamelin.

Chaque année, les sages-femmes ne peuvent dépasser un quota de 40 suivis de grossesse. Disponibles 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pour accompagner les femmes et leurs partenaires durant la grossesse, l'accouchement - qu'il dure 5 ou 18 heures - et jusqu'à six semaines après la naissance de l'enfant, elles ont un horaire extrêmement variable. «Quand on se fait appeler à 2 h du matin, on n'a pas toujours envie de se lever, mais on est tellement contentes de le faire pour notre cliente qu'on a vu une dizaine d'heures et avec qui on a développé une relation. On vit les émotions avec elle», illustre Christiane Léonard.

Une profession en mutation

Depuis la création du baccalauréat en pratique sage-femme à l'UQTR, jamais les 24 places du programme n'ont été pourvues, faute de milieux de stage assez nombreux pour accueillir autant d'étudiantes. Cette réalité est en voie d'appartenir au passé.

«En 1999, il y avait 50 sages-femmes au Québec, rappelle Lucie Hamelin, directrice du programme. Sachant que chaque étudiante doit faire cinq stages de 15 semaines, je ne pouvais pas accepter 24 personnes, qui allaient ensuite devenir 48 et 72 avec les cohortes suivantes. Mais on s'est rendu à 22 et 23 dans les dernières années.»

Elle affirme également que le taux d'emploi des diplômées frôle les 90 %. «On les avise qu'elles devront peut-être débuter avec des remplacements ou des postes occasionnels, parfois dans une autre région, mais la majorité des étudiantes trouvent un emploi.»

Afin d'assurer le développement de la pratique sage-femme, un comité d'experts a été formé au ministère de la Santé. «En 1999, nous avions huit maisons de naissance, qui avaient servi de projets-pilotes pendant quelques années, souligne Marie-Ève Saint-Laurent, présidente de l'Ordre des sages-femmes. Puis, on en a ouvert une à Nicolet en 2003. Ensuite, les nouvelles maisons sont apparues au compte-goutte.»

Dans un monde idéal, le comité voudrait 20 maisons de naissance au Québec et davantage d'équipes de sages-femmes dans les secteurs où les maisons de naissance ne seraient pas viables, faute de clientèle suffisante.

«On voudrait des équipes dans chaque région. C'est un plan ambitieux, mais ça nous tient à coeur. On sait que les femmes qui veulent absolument accoucher chez elles ou avoir un suivi de sages-femmes sont très déterminées, et on veut éviter des accouchements dans un mauvais contexte ou une pratique illégale», précise Marie-Ève Saint-Laurent, présidente de l'Ordre des sages-femmes.

Mme Saint-Laurent souhaite que 10 % des Québécoises puissent accoucher avec une sage-femme.

Un objectif qui pourrait faire économiser des millions à l'État québécois, selon une étude publiée par le Regroupement des sages-femmes du Québec et la Fédération des professionnelles de la CSN. Après avoir comparé les coûts relatifs à un accouchement avec sage-femme en maison de naissance et un accouchement par un médecin à l'hôpital, il a été révélé que la première option était 25 % moins chère.

L'étude démontre également que le suivi prénatal, périnatal et postnatal coûte plus cher avec les médecins, en raison de leur rémunération. Et ce, même si les sages-femmes consacrent plus d'heures à chaque femme, soit près de 37 au total pour l'ensemble des soins et services.

Toujours selon la même étude, si les sages-femmes prenaient en charge 10 % des grossesses et des accouchements au Québec d'ici 2018, le gouvernement québécois pourrait économiser 2,9 millions de dollars annuellement sur la rémunération, en plus d'économies en frais hospitaliers.

PHOTO DEIDRE SCHOO, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Les coûts d'un accouchement avec sage-femme en maison de naissance seraient 25 % moindres que ceux d'un accouchement par un médecin à l'hôpital, selon une étude publiée par le Regroupement des sages-femmes du Québec et la Fédération des professionnelles de la CSN.

Un homme chez les sages-femmes

Preuve de sa transformation en continu, la profession accueillera sous peu un homme dans ses rangs. Au printemps 2018, Louis Maltais deviendra le premier Québécois de l'histoire à obtenir un diplôme du baccalauréat en pratique sage-femme de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Entrevue avec un passionné.

Qu'est-ce qui t'allume dans ce métier?

Ayant été athlète par le passé, j'aime beaucoup me dépasser et explorer les limites du corps et de l'esprit. Et je trouve que l'expérience de la maternité et de l'accouchement est certainement l'une des plus intenses de la vie. Le travail d'une sage-femme est de protéger cette expérience. J'aime l'idée de travailler pour l'autre et j'ai une grande fascination pour la femme.

Comment t'es-tu intéressé à cette profession entièrement féminine?

Durant une formation en massage pour femmes enceintes, j'ai lu un livre d'Isabelle Brabant, une sage-femme pionnière vraiment inspirante. Elle m'a ébranlé positivement. J'ai alors appris qu'une formation se donnait à l'UQTR et je me suis dit qu'il ne devait pas y avoir de discrimination parce que je suis un homme. Mais sur le site web du programme, par contre, tout était écrit au féminin. Mais en m'informant, on m'a confirmé que les hommes pouvaient être admis. Quand je l'ai été, j'ai su que je serais le premier au Québec, mais il y en a plusieurs en Europe.

Étais-tu conscient que ça provoquerait des réactions?

J'appréhendais certains préjugés, que j'ai d'ailleurs observés sur les médias sociaux, mais de façon négligeable. On disait que je devais assurément être gai ou que je voulais être le premier juste pour avoir de l'attention. Et dans le monde réel, j'ai surtout été confronté à des questions sur le métier et des confidences sur la grossesse et l'accouchement. Certaines personnes ont une haine profonde envers notre métier et croient qu'on ne devrait pas exister. Souvent en raison de croyances non fondées.

Comment se sont passés tes premiers stages à Montréal et dans le Bas-Saint-Laurent?

J'ai senti tellement d'ouverture de la part des femmes! À trois reprises, un conjoint a refusé que je m'occupe de sa conjointe, sans m'avoir rencontré. Ce qui est totalement leur droit. Ils n'étaient pas à l'aise. Et comme les gynécologues sont majoritairement des femmes de nos jours, la clientèle préfère souvent être suivie par une femme. Mais concrètement, les gens font abstraction du fait que je suis un gars. Une relation s'installe entre nous et on évolue ensemble. J'essaie peut-être de faire bonne impression et d'être particulièrement dévoué pour leur faire comprendre que je peux faire le travail, mais ça me fait plaisir. Ce n'est pas un effort. Je me sens dans mon élément.

Pourquoi te feras-tu appeler «sage-femme» et non «sage-homme»?

Le mot «femme» fait référence à la femme enceinte et nous travaillons pour elle. Je serai donc un homme sage-femme ou simplement une sage-femme. C'est une façon pour moi de dire que je suis comme les autres.

Photo Rocket Lavoie, Le Quotidien

Au printemps 2018, Louis Maltais deviendra le premier Québécois de l'histoire à être diplômé du baccalauréat en pratique sage-femme de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).