Le terme « dépression post-partum» devrait-il être banni de notre vocabulaire ? Si l'on en croit une récente analyse, la définition devrait au moins être rectifiée.

Selon une étude publiée le 13 mars dernier, 60% des mères souffrant de dépression post-partum étaient déjà dépressives pendant ou avant l'accouchement. «Nous étions nous-mêmes étonnés d'obtenir ces résultats», admet d'emblée la psychiatre Dorothy Sit, coauteure de l'étude réalisée auprès de 10 000 Américaines.

Selon la psychiatre, ces résultats laissent croire que la définition actuelle de la dépression post-partum pourrait être «trop large». Pour l'heure, les symptômes admis de la dépression post-partum sont les mêmes que pour toute autre dépression; seul le moment de leur apparition diffère.

Selon le DSM-IV - la bible de l'Association américaine de psychiatrie qui permet de classifier et de diagnostiquer les troubles mentaux -, la dépression post-partum doit se manifester après l'accouchement, et, au plus tard, quatre semaines après cette date. Des études soutiennent par ailleurs qu'elle peut aussi se manifester longtemps après avoir donné naissance à un enfant. «Or, notre recherche vient plutôt prouver que de nombreuses femmes atteintes de dépression post-partum avaient des épisodes dépressifs majeurs et des troubles bipolaires ou anxieux liés à la dépression bien avant cette période», souligne Dorothy Sit.

La professeure et sociologue Catherine Des Rivières-Pigeon, titulaire d'un doctorat en santé publique et coauteure du livre Les paradoxes de l'information sur la dépression postnatale, s'est longuement penchée sur les composantes de la dépression post-partum. «Est-ce que la dépression post-partum est à ce point différente des autres dépressions qui surviennent à d'autres moments de la vie? En étudiant la littérature scientifique sur le sujet, on constate que cette distinction n'est pas si claire», souligne-t-elle.

Pour illustrer le chevauchement possible entre les différents types de dépressions, la sociologue indique que les femmes souffrant de dépression post-partum partagent souvent le même profil socio-économique que les femmes souffrant de dépression majeure. Ceci pourrait accroître le risque de faire erreur sur les causes et la nature réelles de la maladie. «Ce sont les mêmes facteurs environnementaux, notamment l'isolement et les difficultés socio-économiques», explique-t-elle.

La psychiatre Dorothy Sit estime qu'il est important de différencier la dépression post-partum, notamment en raison des éléments déclencheurs et des traitements qui lui sont propres.

«On ne doit pas traiter une dépression post-partum pouvant être engendrée par une chute du taux d'oestrogène de la même façon qu'une dépression déjà présente causée par un trouble bipolaire ou un trouble anxieux», précise-t-elle. Catherine Des Rivières-Pigeon abonde dans le même sens. «Ce n'est quand même pas en prenant une pilule magique qu'on va régler des problèmes environnementaux comme l'isolement ou la pauvreté», lance-t-elle.

En plus de souhaiter une définition plus précise de la dépression post-partum, les auteurs de la recherche américaine souhaitent que les femmes aient plus facilement accès à des séances de psychologie, et ce, dès le début de la grossesse. Car au-delà de sa définition, il ne faudrait surtout pas sous-estimer la souffrance de la dépression post-partum. «En sachant que les femmes dépressives peuvent avoir des pensées suicidaires, on se doit de diagnostiquer la maladie le plus rapidement possible, autant pour la mère que pour le bébé», affirme Dorothy Sit. La psychiatre espère que de nouveaux critères aideront à mieux circonscrire ce trouble dans les versions ultérieures du DSM, dont la prochaine édition, le DSM-V, est attendue en mai 2013.

***

Quelques définitions pour s'y retrouver

Le baby-blues

Contrairement à la dépression post-partum, le baby-blues est très répandu: plus de 50% des nouvelles mères en présentent des symptômes. Le baby-blues ne dure que quelques jours et se manifeste dès les premières semaines suivant l'accouchement. Il est caractérisé par une fatigue, une tristesse, une irritabilité, une hyperémotivité ou encore une envie incontrôlable de pleurer. Moins sévère que la dépression post-partum, le baby-blues n'empêche pas la mère de s'occuper de son nouveau-né.

La psychose post-partum

La psychose post-partum est une maladie très sérieuse qui survient chez environ 0,1% des nouvelles mamans. Elle apparaît de deux à six semaines après l'accouchement et peut nécessiter une hospitalisation. Parmi les symptômes de la psychose post-partum, mentionnons une perte de contact avec la réalité, de la confusion et de l'agressivité pouvant mettre en danger l'intégrité physique de la mère et du bébé.

Les troubles bipolaires

Plus de 20% des femmes ayant reçu un diagnostic de dépression post-partum souffrent de troubles bipolaires. Les troubles bipolaires peuvent entraîner des changements drastiques d'humeur, d'énergie et de la difficulté à fonctionner au quotidien. «Selon la nature du trouble bipolaire, une personne peut basculer dans les deux pôles de l'humeur, soit l'euphorie et la dépression», explique le professeur en psychologie à l'Université de Montréal Serge Lecours.

Les troubles anxieux

Près de 10% des femmes qui ont reçu un diagnostic de dépression post-partum souffrent de troubles anxieux. Pouvant être associés à la dépression, les troubles anxieux peuvent engendrer de l'évitement, de l'isolement,

des crises de panique, des obsessions ainsi que la consommation d'alcool ou de drogues. «Une personne souffrant de troubles anxieux peut ne plus être capable de sortir de chez elle, son fonctionnement habituel peut-être gravement perturbé», explique Serge Lecours. Les troubles anxieux peuvent aussi impliquer des souvenirs traumatisants, des cauchemars récurrents ou encore des symptômes physiologiques comme une accélération

du rythme cardiaque ou des maux de ventre.

La dépression

L'épisode dépressif majeur ou la dépression est une condition médicale excessivement souffrante qui peut durer plusieurs mois, voire des années. Plus de 15% de la population sera atteinte de dépression au cours de sa vie. Elle implique un épisode d'humeur dépressive ou une perte marquée d'intérêt ou de plaisir. En théorie, au moins quatre autres symptômes doivent aussi être présents pendant deux semaines, notamment: une perte d'appétit, des problèmes de sommeil, une baisse d'énergie, une culpabilité exacerbée, de la difficulté à se concentrer, des pensées sombres voire suicidaires.

«En pratique, même si une personne ne rencontre pas ce nombre précis de symptômes, elle peut aussi être atteinte de dépression», précise le professeur de psychologie Serge Lecours. Suivant sa définition actuelle, lorsque l'épisode dépressif majeur ou la dépression se manifeste dans les semaines

ou les mois après l'accouchement, il s'agit alors d'une dépression post-partum.

Si vous ou une personne de votre entourage pensez souffrir de l'un de ces troubles, vous devez consulter un professionnel de la santé afin d'obtenir un diagnostic clair et de bénéficier d'un suivi adéquat.

Sources: American Association of Psychiatry, Agence de la santé publique du Canada, Société canadienne de psychologie, Les paradoxes de l'information sur la dépression postnatale, JAMA Psychiatry