Certaines écoles primaires offrent à leurs élèves un service de psychodrame, une forme de psychothérapie. Cette approche consiste en des mises en scène de la vie quotidienne faites par des enfants, dont l'objectif est de résoudre des problèmes de comportement. Tour d'horizon d'une pratique peu connue.

Un traitement par jeux de rôles

Beaucoup plus commune en Europe, la pratique du psychodrame fait peu à peu son chemin dans le réseau scolaire québécois. Que les élèves qui y participent soient hyperactifs ou fortement angoissés, le psychodrame est une approche qui semble offrir des résultats notables en les aidant à résoudre des situations sur un plan imaginaire.

Stéphanie B. est directrice d'une école primaire qui offre le service de psychodrame. «Dans les écoles, on fait des ateliers d'habiletés sociales, mais nos moyens sont limités, autant dans nos interventions que dans notre compétence, explique-t-elle. Ce sont des besoins qui dépassent le cadre scolaire. Le service de psychodrame est une approche différente. C'est comme une coche de plus à nos ateliers d'habiletés sociales.»

Ce sont les commissions scolaires qui allouent des sommes à leurs écoles pour qu'elles puissent bénéficier du service, qui est gratuit pour les parents. 

Les séances sont supervisées par deux psychodramatistes et durent généralement 55 minutes. À tour de rôle, les enfants préparent une mise en situation qui ressemble à une courte pièce de théâtre, choisissant leur thème ainsi que les membres du groupe qui personnifieront les principaux protagonistes. Ils se prêtent au jeu pendant 15 à 20 minutes. À la fin de la scène, les psychodramatistes ouvrent une discussion avec les enfants. 

«On leur demande toujours avant de commencer s'ils savent pourquoi ils sont ici, explique Paule Clotteau, psychothérapeute, thérapeute conjugale et familiale et psychodramatiste. Ensuite, chacun dit comment il s'est senti dans le jeu. A-t-il accepté le rôle qu'on lui a donné ? S'est-il senti bien dans ce rôle? Qu'est-ce qu'il aurait préféré jouer? Quand on fait un retour comme ça, on en profite pour demander au jeune si ça lui rappelle quelque chose de sa vie à lui. Le retour est important pour valider si l'exercice a eu un impact sur l'enfant.»

Extrait d'une scène interprétée par les jeunes, suivie d'un exemple de retour avec les intervenants.

Selon Stéphanie B., ce soutien supplémentaire semble porter ses fruits chez certains élèves. «Pour les plus jeunes, présentement, je ne pourrais pas vous dire que c'est concluant. Par contre, pour les groupes de plus vieux, effectivement, nous avons vu des progrès, remarque- t-elle. Il y a clairement une meilleure communication et une meilleure facilité à faire des retours. Les élèves adorent les séances de psychodrame, ils y participent très activement. Habituellement, il faut un peu les tirer pour aller en thérapie, alors qu'ils adorent aller au psychodrame. Ils arrivent même aux séances avant l'intervenante.» 

Suivi avec les parents

Les parents ne peuvent pas assister aux séances de psychodrame. Toutefois, ils sont rencontrés à la suite des séances afin de se faire conseiller sur l'encadrement à offrir à leur enfant. Mme Clotteau note que, «par le psychodrame, nous [les intervenants] parvenons à entrer dans les familles de façon plus positive».

Christine est la maman d'un garçon de 10 ans qui suit des séances de psychodrame depuis environ 15 semaines. Elle souligne surtout l'aide que le psychodrame lui apporte comme parent.

«Quand il me parle des ateliers qu'il fait, il me parle toujours de jeux, dit-elle. Je lui demande ce qu'il apprend et il me répond qu'il n'a pas appris, qu'il a joué. Tout se fait donc à ses dépens. C'est en rencontrant la psychoéducatrice par après que j'ai compris quelles étaient les choses à travailler chez mon enfant, et cela m'a donné un outil supplémentaire pour l'aider. Donc pour lui, c'est un jeu et pour moi, un outil.»

Les effets du jeu

L'efficacité du psychodrame s'expliquerait de plusieurs façons. La première serait que le psychodramatiste, bien qu'il soit un intervenant, adopte une position d'allié plutôt que d'autorité avec l'enfant. «On embarque aussi dans le jeu, au même niveau qu'eux», souligne Paule Clotteau.

Le psychodrame permettrait aussi aux enfants d'entrer dans un monde imaginaire. Ce contexte de jeu les rendrait plus aptes et disposés à apprendre. «Dans une thérapie conventionnelle, les enfants plus intelligents disent parfois aux adultes ce qu'ils veulent entendre. Alors qu'en psychodrame, l'enfant se livre sans s'en rendre compte. On va donc chercher certaines réponses», analyse Alain Martel, psychothérapeute, thérapeute conjugal et familial et psychodramatiste.

Finalement, l'effet de groupe aurait aussi son importance. «Si un adulte reproche à un enfant de ne pas l'écouter, l'impact n'est pas aussi important que quand les autres enfants du groupe lui disent qu'il ne les écoute pas, souligne Paule Clotteau. Chez les enfants, c'est un médium très efficace, beaucoup plus que des séances privées de psychothérapie où ils sont assis dans un divan et doivent parler. C'est beaucoup plus bénéfique pour eux de jouer, car ils prennent conscience concrètement des choses.» 

Selon elle, il faut habituellement prévoir une dizaine de séances au minimum avant de noter une amélioration comportementale chez l'enfant. 

Elle tient toutefois à préciser que le psychodrame à l'école n'est pas une approche qui convient à tous les jeunes. Ceux qui sont très sensibles, qui ont connu de graves abus ou qui ont des problèmes de santé mentale devraient privilégier le psychodrame en séances individuelles plutôt qu'en groupe.

«Ce que j'aimerais que les parents sachent, c'est qu'il existe une alternative à la médication, sinon un complément à la médication, croit Alain Martel. Le psychodrame est une approche qui est encore méconnue par certains, mais qui fonctionne et qui dépasse le premier degré d'intervention qu'on est habitués de voir dans les écoles. Parfois, il faut aller plus loin.»

Aussi pour les adultes

Les adultes peuvent aussi bénéficier du service de psychodrame, qui se donne généralement au privé, par groupes d'environ 12 personnes. Des ateliers sont notamment organisés les fins de semaine, quelques fois par année. « Mais chez les adultes, la connotation est complètement différente, c'est beaucoup plus difficile, explique Paule Clotteau. Les bienfaits sont les mêmes, sauf que l'adulte est beaucoup plus apte à comprendre l'effet du psychodrame, tandis que les enfants ne comprennent pas ce que ça va leur apporter, mais ils vont le vivre. Puisque l'adulte n'assiste qu'à quelques ateliers par année, il faut généralement compter un an avant de pouvoir constater des résultats », souligne-t-elle.

Plusieurs problèmes ciblés

Certains problèmes comportementaux très précis chez l'enfant peuvent être résolus ou améliorés à l'aide du psychodrame. Explications.

L'hyperactivité

Selon Paul Simard, psychodramatiste et vice-président de l'Association des psychodramatistes du Québec, le psychodrame est bénéfique pour les enfants hyperactifs, souvent habitués de se faire dire d'arrêter de bouger. Cette technique leur permet d'explorer ce que le mouvement leur apporte, tandis que l'intervenant tente de déterminer ce que les enfants tentent ainsi de communiquer et quel est leur réel besoin.

L'intimidation

«En ce moment, tout le monde parle d'intimidation, c'est hyperpopulaire. Mais souvent, on ne fait que dénoncer et tasser les agresseurs. En psychodrame, on va plutôt aider les victimes à se construire pour qu'elles-mêmes soient équipées et capables de se défendre», indique Alain Martel, psychodramatiste.

L'isolement ou la dispersion

Pour Paul Simard, les enfants qui s'isolent ou ceux qui se dispersent en étant constamment en la présence d'amis vont aussi pouvoir être aidés par le psychodrame. Plutôt qu'imposer des disciplines très rigides, le psychodrame va permettre à l'enfant, par sa flexibilité et sa créativité, de tester de nouvelles stratégies en vue de les mettre en application dans son milieu social.

L'agressivité

«Le psychodrame permet de faire tomber l'agressivité. En ayant la possibilité de l'exprimer librement durant la séance, les enfants se contiennent beaucoup mieux à la sortie», explique Paule Clotteau, psychodramatiste.

Les passages difficiles (séparation des parents, familles recomposées, passage du primaire au secondaire, etc.)

Paul Simard explique qu'un enfant qui traverse un moment difficile pourra, par le psychodrame, ventiler son malaise. Les thèmes abordés sont réparateurs, et il n'y a aucune censure. Par ailleurs, le groupe agit comme filet de sécurité; il y a toujours quelqu'un pour réagir, et cela met en lumière les multiples facettes du problème exposé.

Le deuil

Lors d'un deuil, un enfant qui se referme sur lui-même peut être entraîné vers des sentiments d'explosion ou d'opposition. Avec le psychodrame, l'enfant peut réussir à s'apaiser en partageant son expérience. Paul Simard décrit le groupe comme une entité qui sécurise et qui permet d'explorer la réalité avec les autres. Ce qui renforce les liens interpersonnels et l'estime de soi. Il précise aussi que les débordements sont admis, donc l'enfant sait qu'il peut se fâcher, crier, etc. Il ne sera ni expulsé ni puni.

Violence/abus

Selon Paul Simard, les enfants victimes de violence ou d'abus ont tendance à s'enfermer et à développer un sentiment de honte. En psychodrame, le partage avec le groupe est réparateur. Et le fait de rejouer des scènes d'abus ou de violence, de les revisiter et de leur donner de nouvelles directions permet de «déposer le traumatisme» et de corriger les expériences difficiles du passé.

ILLUSTRATION LA PRESSE