Vous vous entraînez régulièrement, mais vous améliorez à peine vos résultats au 5 km? Pire: votre beau-frère, sédentaire assumé, vous dame le pion lors de sa sortie annuelle de vélo? Vous êtes possiblement un «faible répondant» à l'entraînement, peut-être même un «non-répondant». Et vos gènes sont à blâmer.

L'homme qui cherchait des gènes

Dans les années 60 et 70, Claude Bouchard, alors jeune chercheur à l'Université Laval, avait déjà participé à plusieurs projets de recherche, dont certains impliquant des personnes très sédentaires.

Une observation l'intriguait, le fascinait même.

«Il y avait des gens sédentaires qui avaient de très bonnes capacités de travail même s'ils ne faisaient jamais d'exercice. Et d'autres qui faisaient de l'exercice et qui n'arrivaient jamais au niveau de certaines personnes sédentaires», raconte Claude Bouchard, que nous avons joint au Pennington Biomedical Research Center, à Baton Rouge, en Louisiane, où il est titulaire de la chaire John Barton en génétique et nutrition.

Ces différences individuelles dépendent-elles des gènes? se demandait-il. Si oui, quels sont-ils?

«Ça fait presque 50 ans que je travaille sur ces questions-là, et je les trouve toujours aussi fascinantes aujourd'hui qu'elles l'étaient autrefois», confie Claude Bouchard, 77 ans et toujours actif en recherche.

Et après 50 ans, le professeur-chercheur de renommée mondiale a des réponses tout aussi fascinantes à fournir.

Attribuable aux gènes à 50 %

Dans les années 80, Claude Bouchard et ses étudiants à la maîtrise et au doctorat, à l'Université Laval, ont réalisé plusieurs études sur les paires de jumeaux identiques. Leur but: comprendre les différences individuelles dans la réponse à l'entraînement et dans la réponse aux régimes alimentaires.

«Un certain nombre de jumeaux identiques étaient soumis à un entraînement en endurance. D'autres, à un entraînement de type haute intensité par intervalles, explique Claude Bouchard. Dans d'autres cas, on a fait des études de perte de poids ou encore de suralimentation.» Les chercheurs, dont les études étaient «très contrôlées», en sont venus à la conclusion qu'environ 50 % des différences individuelles étaient compatibles avec une influence des gènes.

HERITAGE

Claude Bouchard voulait pousser la recherche plus loin. Et pour ce faire, il lui fallait des familles, plusieurs familles.

Le professeur-chercheur natif de Lévis est donc allé cogner à la porte des National Institutes of Health, les institutions gouvernementales aux États-Unis qui s'occupent de la recherche médicale et biomédicale. C'était le début de l'étude HERITAGE, qui a réuni 200 familles et duré une vingtaine d'années.

«On reproduisait essentiellement ce qu'on avait vu dans nos études plus petites chez les jumeaux, mais cette fois avec une population qui nous permettait de poser des questions plus proches des gènes», raconte-t-il.

«Environ la moitié de la variance qu'on avait dans la réponse à l'entraînement était causée par les différences individuelles dans des gènes des participants.»

«Le reste était dû à toutes sortes d'autres choses», explique le chercheur. Parmi les autres facteurs, il y avait l'âge (2 % de la variance), le sexe (2 %), l'origine ethnique (2 %) et la capacité intrinsèque de travail (VO2 max lorsque sédentaire) (1 %), notamment.

Plusieurs gènes

Il restait une question (et non la moindre) à élucider: quels sont les gènes responsables?

Au départ, indique Claude Bouchard, les recherches n'ont pas été très productives. Au début des années 2000, la technologie de génotypage était incapable de distinguer les petits effets des gènes. Contrairement aux traits déterminés par un seul gène (comme le groupe sanguin), la capacité de travail est déterminée par un très grand nombre de gènes ayant chacun de petits effets.

Il s'est toutefois développé un nouveau type d'analyse plus efficace, qui permet d'identifier des gènes qui contribuent à une petite fraction des différences individuelles. Le hic : pour y parvenir, il faut faire des études sur un très grand nombre de personnes. Et la plus grande étude qui existe dans le domaine est HERITAGE, avec 750 sujets ayant complété le programme.

«On a fait des études avec le peu de sujets qu'on avait. On a quand même fait un criblage du génome et on a retrouvé des indices», explique Claude Bouchard, qui souligne que son équipe pouvait aussi compter sur des biopsies musculaires d'un sous-échantillon de participants à l'étude HERITAGE.

Des gènes différents

Premier constat: les gènes qui expliqueraient les différences individuelles sur le plan de la capacité intrinsèque de travail (VO2 max chez les gens sédentaires) sont différents de ceux qui sont impliqués dans la réponse à l'entraînement (la capacité d'améliorer ses capacités).

Dans le cas de la capacité intrinsèque de travail, ce sont surtout des gènes qui ont trait aux structures et à la masse cardiaque, à la capacité de transport de l'oxygène dans le sang et à la diffusion de l'oxygène du sang vers les cellules musculaires actives, explique Claude Bouchard. Dans le cas de la réponse à l'entraînement, de nouveaux gènes jouent un rôle critique, dit-il. Les sentiers métaboliques impliqués déterminent la qualité de la capacité d'adaptation à l'entraînement physique: régulation de la mort et de la survie cellulaire, réponse immunitaire, régulation de la croissance du muscle cardiaque et des muscles squelettiques, angiogenèse, etc.

«Quand on les aura fermement identifiés, ça pourrait avoir des implications pour la prévention des maladies, peut-être même le traitement de plusieurs types de maladies, souligne Claude Bouchard. Parce que c'est une vraie biologie de survie qui semble être à l'origine de l'adaptation à l'entraînement.»

Qu'est-ce que le VO2 max?

Le VO2 max, ou consommation maximale d'oxygène, est le volume maximal d'oxygène qu'une personne peut consommer par minute lors d'un effort maximal. Il s'agit de la mesure le plus souvent considérée pour déterminer la capacité de travail physique d'un individu.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Un homme court sur un tapis roulant pour mesurer son VO2 max, ou consommation maximale d'oxygène, c'est-à-dire le volume maximal d'oxygène qu'il peut consommer par minute alors qu'il fournit un effort maximal.

Qu'est-ce qu'un «non-répondant»?

Bien qu'elles respectent les recommandations en matière d'activité physique, certaines personnes améliorent peu ou pas du tout leur VO2 max ou d'autres caractéristiques cardiométaboliques. Explications.

8 à 10 % de «non répondants»

Certains engraissent plus facilement que d'autres, d'autres répondent moins bien à certains médicaments. «Ce n'est donc vraiment pas étonnant que certains répondent plus et d'autres moins à l'exercice physique», souligne Jean-Marc Lavoie, professeur titulaire au département de kinésiologie de l'Université de Montréal. Les scientifiques ne s'entendent pas sur la définition de «faibles répondants» ou de «non-répondants». «Si on les définit comme ceux qui augmentent leur VO2 max de moins de 5 %, ça va se situer entre 8 et 10 % des gens» qui suivent la recommandation de 150 minutes d'activité physique par semaine, explique Claude Bouchard, titulaire de la chaire John Barton en génétique et nutrition au Pennington Biomedical Research Center.

Plusieurs facteurs

Il existe aussi des gens qui n'arriveront pas à améliorer d'autres caractéristiques cardiométaboliques en faisant de l'exercice: la tension artérielle, le bon cholestérol, les triglycérides sanguins, etc. Mais attention: «La réponse d'une caractéristique particulière à une dose d'exercice donnée ne signifie pas que ce sera la même chose pour une autre caractéristique», précise Robert Ross, professeur à l'École de kinésiologie et d'études de santé de l'Université Queen's. Dans l'étude HERITAGE, seuls 2 des 750 sujets étaient de mauvais répondants pour quatre caractéristiques cardiométaboliques, souligne Claude Bouchard. «L'exercice touche presque 100 variables; c'est presque impossible qu'une personne ne réponde à rien», souligne Antony Karelis, professeur au département des sciences de l'activité physique à l'UQAM.

Essayer un autre exercice

Aux yeux de Jean-Marc Lavoie, on ne peut pas vraiment affirmer qu'une personne ne répond pas à l'exercice physique. «C'est plus long, c'est plus faible comme réponse, mais ça répond», dit-il. «En fait, indique Robert Ross, tout ce que ça dit, c'est que peut-être que pour vous, pour améliorer cette caractéristique en particulier, il faudrait essayer une autre dose d'exercice.» Dans une étude publiée en 2015 dans la revue médicale Mayo Clinic Proceedings, Robert Ross et ses collègues ont montré qu'en augmentant l'intensité de l'exercice, on pouvait diminuer, même éliminer les non-répondants. «Si tous les Canadiens respectaient les recommandations en matière d'activité physique, on serait en bien plus grande forme, économiquement, physiquement et mentalement, dit-il d'emblée. Mais on commence à voir qu'un seul programme ne peut convenir à tous.»

Vers une médecine sportive personnalisée

On en est encore loin, bien loin, estime Robert Ross, mais peut-être pourra-t-on un jour prescrire un programme d'entraînement physique personnalisé en fonction des prédispositions génétiques de chaque personne. «Nous serons peut-être un jour capables de mesurer des biomarqueurs qui signaleront si une personne est susceptible ou non de répondre à certaines stratégies relatives au mode de vie», dit-il. «Ceux dont on prédit qu'ils seront de mauvais répondants, on les suivrait de près. Et si, de fait, ils sont de mauvais répondants, on tenterait de compenser par d'autres approches», illustre Claude Bouchard.

Un immense projet de recherche

Lancé en janvier par l'ensemble des National Institutes of Health (NIH) aux États-Unis, le MOTRPAC est le plus gros projet de recherche réalisé dans le domaine de l'exercice. Le projet va coûter 200 millions US, durer 8 ans et impliquer 3000 participants. «Ça va nous donner un compendium détaillé de toutes les molécules qui bougent lorsqu'on fait de l'exercice et lorsqu'on fait de l'entraînement en endurance ou en résistance, explique Claude Bouchard. L'activité physique est l'un des comportements les plus salutaires pour prévenir les morbidités, les maladies et la mort prématurée. Si on connaît les mécanismes en cause, peut-être qu'on va pouvoir en faire bénéficier encore plus de gens.»

Photo André Pichette, La Presse