L'aventurier québécois Frédéric Dion a récemment organisé à Trois-Rivières une classe de maîtres pour une nouvelle génération d'aventuriers. Notre journaliste s'est glissée dans la salle pour rapporter les bons conseils de vétérans qui pourraient aussi servir aux aventuriers du dimanche.

Première leçon: Le rêve

Avant toute expédition, il y a d'abord un rêve. Encore faut-il le concevoir.

Alors qu'il était aux Jeux olympiques de 2010 à Vancouver afin d'écrire un livre sur les rêves des athlètes, Normand Piché a senti une sorte de vide intérieur.

«C'est le fun, le rêve des autres, mais le tien, c'est lequel?»

Il s'est senti encore plus interpellé en tombant sur un grand panneau publicitaire en rentrant à Montréal: «Il y a des gens qui ont une vie extraordinaire. D'autres les regardent.»

Il a fini par concevoir son propre rêve : relier les cinq continents à la nage, un exploit qu'il a réalisé en 2016, notamment avec l'aide de la bourse Osez l'aventure de Frédéric Dion.

Après le rêve, il faut élaborer un projet concret.

«C'est important de bien définir sa mission en fonction de ses capacités, note Claude Bujold, un cinéaste et photographe naturaliste de Gaspésie. Moi, j'ai 70 ans, je ne suis pas super entraîné, mais j'ai une grande expertise et je peux enseigner.»

Il faut bien connaître ses limites pour échafauder son projet. «Mais il faut faire la différence entre ce que vous pensez qui est votre limite et la véritable limite», déclare Sébastien Lapierre, le premier Canadien à atteindre le pôle Sud en solitaire.

Hélène Dumais, une coureuse qui accumule les courses en montagne d'ultradistance (400 km et plus), suggère de dépasser légèrement ses limites à l'entraînement pour prendre de la confiance. Sébastien Lapierre partage cette idée, mais il conseille de faire attention à ce qu'on prévoit faire une fois rendu au milieu de nulle part.

«Si vous dépassez vos limites en expédition, vous pouvez être dans le trouble.»

Il insiste beaucoup sur l'importance du plaisir, donc de choisir une activité que l'on aime vraiment.

C'est ce qu'a fait Patrick Charlebois en relevant un sérieux défi: courir sept marathons, sur sept continents, en sept jours. «La course, c'est vraiment ma passion, c'est dans mes gènes. Quand j'ai vu ce défi, je n'ai pas hésité une milliseconde, j'ai voulu le faire.»

Deuxième leçon: La préparation

Pour que le projet devienne réalité, il faut une préparation physique, logistique et mentale, rappelle Sébastien Lapierre, qui a atteint le pôle Sud en solitaire en janvier dernier.

L'important, c'est d'y aller étape par étape.

Mylène Paquette rappelle qu'avant de traverser l'Atlantique Nord à la rame en solitaire, elle avait effectué une traversée du Maroc à la Barbade avec d'autres aventuriers. «C'est ma mère qui m'avait dit de partir en équipe.»

Il est également important de ne pas se surentraîner.

«Il ne faut pas que ça devienne obsessif», lance Patrick Charlebois, qui a été le premier Québécois à courir les six marathons les plus prestigieux de la planète avec une moyenne inférieure à trois heures. «Il faut être prudent, j'ai vu trop de gens qui se brûlaient en course à pied. On m'a déjà demandé si je pouvais passer deux jours sans courir. Ben oui!»

André-François Bourbeau, cocréateur du baccalauréat en plein air et tourisme de l'Université du Québec à Chicoutimi, insiste sur l'importance d'aller chercher les compétences nécessaires, notamment si on prépare une expédition en grande nature.

«Comment augmenter ses capacités ? En allant en forêt, en allant jouer dehors, en faisant des randonnées.»

Il faut également faire les démarches nécessaires pour acquérir des compétences techniques, comme l'orientation. Il ne faut pas non plus négliger la préparation mentale.

«C'est bien de lire des faits vécus, surtout s'ils sont écrits par ceux-là mêmes qui les ont vécus, affirme M. Bourbeau, qui est aussi coach à l'émission de télévision Expéditions extrêmes. Il y a également les récits historiques qui inspirent beaucoup.»

Il est de plus très important d'utiliser du matériel de qualité.

«Un manteau de Gore-Tex, ça aide énormément. Et si vous avez un sac de couchage - 40 degrés et qu'il fait froid, vous allez être plus confortable que moi, même avec mon expérience, si j'ai un sac de couchage moins chaud.»

Le gros casse-tête, ça demeure la logistique. Il faut essayer de tout prévoir, mais parfois, il faut se rendre sur place pour régler les derniers détails.

«Ce sont les démarches à destination qui ont été les plus utiles pour obtenir les autorisations», raconte Normand Piché, qui a dû travailler fort pour être en mesure de passer d'un continent à l'autre à la nage avec la bénédiction des autorités.

Photo Annie-Claude Roberge, fournie par Normand Piché

Normand Piché

Troisième leçon: Le financement

L'argent est le nerf de la guerre. Pour l'aventurier du dimanche, il s'agit essentiellement de piger plus ou moins profondément dans son compte en banque. Pour l'aventurier professionnel, c'est un peu plus compliqué.

«On va se dire les vraies affaires: ça coûte cher», lance Patrick Charlebois.

Son aventure (courir sept marathons en sept jours sur sept continents) a coûté 70 000 $. Pour se déplacer d'un continent à l'autre, il a dû partager un jet privé avec les autres participants.

La traversée à la rame de Mylène Paquette a nécessité environ 250 000 $.

Pour aider à financer leurs expéditions, les aventuriers peuvent essayer de recueillir des fonds avant le départ, notamment avec des commandites. Ils peuvent aussi partir avec des dettes et essayer de rembourser tout le monde au retour, avec la vente de livres et des conférences.

Or, chercher des commandites, ça coûte cher, notamment en frais de déplacement.

«Ça a coûté 25 000 $ pour recevoir 22 500 $ de commandites, raconte Mylène Paquette. Ça m'a donc coûté 2500 $ pour mettre trois noms sur mon bateau.»

Pour elle, il a été plus avantageux de vendre des canards de plastique à 250 $ le canard. «Il faut être créatif», soutient-elle.

Pour d'autres, les commandites sont payantes, mais il faut se rappeler qu'elles peuvent entraîner certaines obligations, comme celle de donner un certain nombre de conférences.

«Quand je suis commandité, j'ai une créance», indique Claude Bujold, cinéaste et photographe naturaliste.

Il recommande de s'adresser directement aux grands décideurs d'une entreprise, et ce, dès l'automne. L'année financière d'un grand nombre d'entreprises débute en janvier et il est préférable de prendre un peu d'avance pour espérer bénéficier du budget consacré aux commandites.

De son côté, Sébastien Sasseville suggère plutôt de s'adresser d'abord à des gens en bas de l'échelle, qui peuvent faire cheminer le dossier à travers les divers niveaux hiérarchiques. M. Sasseville, qui a atteint le sommet de l'Everest et qui a traversé le Canada à la course, vise les grandes multinationales, contrairement à M. Bujold. On lui a diagnostiqué un diabète de type 1, il cible donc particulièrement les sociétés pharmaceutiques.

«C'est important d'avoir des discussions en amont. Ça permet de s'informer. C'est plus facile de leur présenter par la suite un projet attrayant.»

Il a fini par avoir une rencontre, couronnée de succès, avec le grand patron. «Le meeting a pris cinq minutes, mais la préparation a pris cinq ans.»

Ce ne sont toutefois pas tous les aventuriers qui ont besoin de beaucoup d'argent. «Je n'ai pas de misère avec le financement, je n'ai besoin de rien, lance André-François Bourbeau, spécialiste de la survie en forêt avec trois fois rien. Quand tu es tout nu, le financement est réglé.»

Photo Annie-Claude Roberge, fournie par Normand Piché

Normand Piché

Quatrième leçon: La réalisation

L'aventurier s'est bien entraîné, il est gonflé à bloc, il a planifié l'expédition dans ses moindres détails. Et pourtant, il y a toujours des pépins qui surviennent.

Pour Normand Piché, qui a rejoint à la nage les cinq continents, c'est arriver sur place, en Alaska, et réaliser que celui qui devait organiser tous les détails n'a rien fait. Ou c'est réaliser, en mettant les pieds dans un océan infesté de requins en Papouasie, qu'il a oublié son bracelet aimanté antirequin en Indonésie.

«Quand tout se déroule comme prévu, ce n'est pas une aventure», commente Sébastien Lapierre, qui a connu son lot de défis dans sa quête du pôle Sud en solitaire.

Dans le cadre de sa préparation, un aventurier devrait prévoir un certain nombre de scénarios délicats, comme un retard de quatre heures, un participant séparé du groupe ou la destruction d'une pièce d'équipement essentielle, indique André-François Bourbeau, auteur du livre Le Surviethon. Ce petit exercice permet de mieux répondre aux difficultés lorsqu'elles se présentent.

Il faut également aller puiser dans sa réserve d'expériences pour remettre les choses en perspective.

C'est ce qu'a dû faire Normand Piché lors de sa dernière traversée, entre l'Égypte et la Jordanie, qui a duré beaucoup plus longtemps que prévu.

«Après quatre heures, je n'étais pas encore rendu à la moitié. J'avais mal aux bras, au dos. Heureusement, le mental a embarqué. Je me suis mis à penser aux étapes difficiles que j'avais vécues dans ma vie et comment j'avais pu passer au travers. Quand je suis arrivé en Jordanie, je n'avais pas vu le temps passer, je n'avais plus mal et j'avais encore de l'énergie.»

Dans les moments difficiles, il faut surtout se rappeler pourquoi on s'est lancé dans l'aventure, souligne Sébastien Lapierre. «Parfois je m'arrête, je me demande: Sébas, as-tu du fun? Je me mets un sourire dans la face. Ce n'est pas une punition, je fais ça parce que j'aime ça.»

La tactique fonctionne pour lui.

«En Antarctique, on me considérait comme l'homme le plus heureux du continent.»

Photo Olivier Giasson, fournie par Sébastien Lapierre

Sébastien Lapierre