Une vague de fond chamboule le monde  de la psychothérapie depuis quelques années. La «pleine conscience» (mindfulness, en anglais), basée sur la méditation bouddhiste, est de plus en plus populaire. Les articles sur ses bienfaits pullulent sur l'internet. Regard sur un phénomène qui a rejoint Montréal.

Au dernier congrès annuel de l'Association américaine de psychologie (APA), en août à Washington, une douzaine de séances d'information portaient sur les bienfaits de la pleine conscience et sa cousine, l'«autocompassion».

La «pleine conscience» consiste à prendre acte de son environnement et de ses émotions intérieures sans leur apposer de jugement. Elle met l'emphase sur les expériences présentes, plutôt que sur les souvenirs du passé ou les anticipations de l'avenir.

«Il y a de plus en plus de preuves que la méditation et l'autocompassion ont un impact sur le cerveau et la santé», expliquait Larry Stevens, un psychologue de l'Université de l'Arizona du Nord qui organisait l'un des panels sur la pleine conscience du congrès de l'APA.

L'«entraînement à la pleine conscience» (mindfulness training) ou à l'autocompassion se fait souvent en séances hebdomadaires de deux heures, sur huit semaines, qui mélangent théorie et exercices pratiques. La pleine conscience est plus proche de la méditation, alors que l'autocompassion mise encore davantage sur l'identification de ses propres désirs. Mais certains psychologues spécialistes de la pleine conscience ont plutôt une fonction comparable à celle d'un coach de vie, avec des rencontres ponctuelles avec leurs patients selon les besoins de ces derniers, après l'intervention initiale de huit semaines.

Pratiquée à Montréal

Deux spécialistes montréalais de la pleine conscience indiquent que la pratique s'est aussi installée ici. «J'ai fait mon postdoctorat à Madison, au Wisconsin, et j'ai été témoin de l'explosion de la pleine conscience, dit Joseph Flanders, directeur des cliniques de psychologie MindSpace. Je m'intéressais à la méditation depuis plusieurs années, mais je ne voyais pas que ça pourrait être utile dans ma carrière de psychologue.»

Quel est un patient typique de la psychothérapie de tendance pleine conscience? «Disons un professionnel qui travaille sept jours par semaine depuis un an et demi, dit M. Flanders, qui enseigne aussi à l'Université McGill. Il fait un burn-out. Dans son cas, il faut qu'il apprenne à arrêter son pilote automatique; sa tendance naturelle à répondre aux besoins des autres. Avec de petits exercices de respiration qui durent deux ou trois minutes, il a une pause, une période de réflexion pour déceler ses impulsions et ses désirs à lui, et choisir une autre réponse aux demandes externes.»

Emily Moody, une psychothérapeute montréalaise qui pratique la pleine conscience depuis près de huit ans, donne quant à elle l'exemple d'un couple qui se chicane beaucoup.

«On utilise la relaxation pour diminuer la tension et le stress, favoriser l'empathie et la communication.»

«Ça peut aussi être utile pour les gens qui ont eu une enfance traumatisante et qui se critiquent beaucoup», dit Mme Moody qui, avant d'être psychothérapeute, a été journaliste, recherchiste et professeure de yoga.

Entre 15 et 25 % des patients de MindSpace et de Mme Moody prennent des médicaments pour des troubles psychiques ou mentaux divers. «On voit plus de patients avec du stress au quotidien, des gens qui ont perdu un parent ou qui prennent soin de leurs parents âgés ou d'un enfant handicapé, des gens atteints de douleurs chroniques», dit M. Flanders, qui a ouvert en septembre un studio de méditation MindSpace, appelé Présence, dans le Mile End.

La psychothérapie pleine conscience est plus difficile avec les enfants et les adolescents, selon M. Flanders, mais de nouvelles techniques sont mises au point. «En théorie, il serait plus facile de travailler avec des enfants, parce que, contrairement aux adultes, leur cerveau n'a pas des années de mauvaises habitudes à défaire. J'ai deux petites filles, je commence à montrer à ma plus vieille, qui a 4 ans, comment respirer et porter attention à son corps», indique M. Flanders 

Les «neurones miroirs»

Durant l'allocution de Larry Stevens au congrès de l'APA, des chercheurs rapportaient que la formation en autocompassion modifiait la composition des ondes dans le cerveau d'une manière qui favorisait l'activation des «neurones miroirs». «Ce sont des neurones qui permettent l'apprentissage par imitation, et aussi de comprendre les actions et les intentions d'autrui, explique Lorena Gutierrez, une étudiante au doctorat en psychologie du collège Albright, en Pennsylvanie. Si leur fonctionnement n'est pas bien réglé, on peut avoir de la difficulté à s'autoévaluer, notamment en ce qui a trait à la performance au travail. D'autre part, on peut avoir plus de difficulté à déceler les intentions et les liens entre différentes actions. Il y a même eu des études montrant que les gens qui ont une croyance élevée en des phénomènes paranormaux ont des problèmes de fonctionnement des neurones miroirs. L'exemple le plus simple est de recevoir une mauvaise nouvelle peu après avoir vu un chat noir, puis penser que les chats noirs sont associés aux mauvaises nouvelles.»

D'autres participants à la discussion sur l'autocompassion rapportaient qu'elle augmente l'empathie et diminue l'agressivité chez des adolescents ayant des problèmes de comportement, et qu'elle améliore le comportement professionnel d'infirmières ayant eu des sanctions disciplinaires. «L'autocompassion diminue le sentiment de honte associé à une erreur, explique Caeli Diamond, une étudiante au doctorat en psychologie de l'Université de Pittsburgh.

«Ce sentiment de honte est souvent un obstacle aux changements de comportements nécessaires pour ne pas reproduire la même erreur.»

Au-delà des ondes du cerveau, le mécanisme d'action des psychothérapies pleine conscience est encore mal compris. L'auteur d'un récent livre sur le sujet, Why Buddhism is True, le journaliste scientifique Robert Wright, propose que l'instinct de survie et de sélection naturelle pousse l'homme à ne retenir que les émotions positives et à balayer sous le tapis les émotions négatives et fuir l'anxiété, ce qui, paradoxalement, est une recette pour une insatisfaction éternelle, puisque la vie n'est pas toujours rose.

Freud et Bouddha

L'approche de la pleine conscience veut notamment mettre le patient en contact avec ses propres désirs et l'amener à leur donner priorité. Elle vise aussi à lui faire accepter que certains aspects de sa vie sont douloureux et qu'il ne faut pas fuir cette douleur, mais en tenir compte. N'y a-t-il pas des similitudes avec les thérapies psychodynamiques, héritières de la psychanalyse? «C'est sûr qu'il y a des similitudes, dit Joseph Flanders. On parle de prise de connaissance par le patient de certains aspects méconnus de sa vie affective, ce qui est semblable aux insights (perceptions) que la psychodynamique veut amener le patient à avoir. La différence, c'est que la psychodynamique s'attarde aux relations entre le patient et ses parents. D'un côté, elle favorise les associations libres plutôt que la méditation.»

D'autres utilités

Prévenir le suicide

Les patients ayant fait une tentative de suicide sont moins déprimés s'ils suivent huit séances d'autocompassion, selon une étude de l'Université Emory à Atlanta dévoilée au congrès de l'APA de Washington. Cette version de l'approche pleine conscience semble contrecarrer l'autocritique excessive souvent associée au suicide, selon les chercheurs.

Aider les sportifs

La pleine conscience intéresse aussi les psychologues sportifs. L'une des étoiles de ce domaine, Amy Baltzell de l'Université de Boston, qui vient de publier le livre Mindfulness and Performance, expliquait au congrès de l'APA à Washington que des sessions hebdomadaires de 30 minutes pendant une saison sportive aidaient les athlètes à mieux réagir aux défaites.

Soutenir les victimes du cancer du sein

Huit sessions de pleine conscience diminuent le stress et les symptômes médicaux et de dépression chez les femmes ayant subi une chimiothérapie contre le cancer du sein, a observé dans deux études Patricia Dobkin, une psychologue qui enseigne à l'Université McGill et a publié les livres Mindful Medical Practitionners et Mindful Medical Practice. Mme Dobkin lie les améliorations physiques à d'autres études ayant montré que la pleine conscience diminue l'insomnie et la douleur chez les fibromyalgiques.

Outiller les milléniaux

La pleine conscience est particulièrement efficace pour réduire le stress et les symptômes dépressifs chez les jeunes adultes d'aujourd'hui, selon la psychologue Emily Moody. «Je vois dans ma pratique plus d'autocritique excessive chez les milléniaux que chez les patients plus âgés. Il semble que la mode de renforcer l'estime de soi des enfants, chez les parents des années 80 et 90, a donné l'impression à leurs enfants qu'ils sont décevants s'ils ne sont pas exceptionnels. À force de se faire dire "tu es le meilleur", les jeunes se convainquent qu'ils ne peuvent pas être ordinaires.»