La vie d'une personne allergique peut basculer en quelques minutes en cas de réaction sévère. Que faire lorsque quelqu'un subit un choc anaphylactique? Comment la personne qui en est victime récupère-t-elle physiquement et psychologiquement?

Frôler la mort

Sur le chemin du retour, Karine Blouin a pressé le pas. Puis, elle s'est sentie essoufflée. En difficulté respiratoire, même. Elle a pensé: «Je fais une crise d'asthme.» Elle a continué à marcher, s'est rendue chez elle avec peine et, quand elle a passé la porte, elle avait compris: c'était une réaction allergique. Grave.

Moins de 10 minutes après être rentrée à la maison, la femme dans la quarantaine était déjà repartie. En ambulance. Même après une injection d'Epipen, ses difficultés respiratoires continuaient. Elle avait aussi du mal à déglutir, son teint était pâle, ses yeux se révulsaient... Il a fallu au moins trois doses d'adrénaline pour la stabiliser.

Trois doses, c'est aussi ce qu'a reçu Charles-Antoine Lambert. Il venait de manger au restaurant quand il a, lui aussi, confondu ses difficultés respiratoires avec une crise d'asthme. Son père l'a vite piqué avec son Epipen et ils sont allés à l'hôpital en ambulance.

«Il était branché de partout», raconte sa mère, Marie-Claude Therrien. Le garçon, âgé de 10 ans au moment de l'événement, a été gravement secoué. «Avant, il prenait ses allergies alimentaires un peu à la légère, dit encore sa mère. Ce jour-là, il a compris qu'il pouvait en mourir.»

Réaction «la plus grave»

Ce garçon et cette femme ont survécu à un choc anaphylactique, malaise extrême qui tuerait environ 1500 personnes par année aux États-Unis (il n'y pas de données disponibles au Canada). «C'est la manifestation la plus grave d'une réaction allergique», confirme le Dr Jean-Nicolas Boursiquot, allergologue au CHU de Québec.

Les difficultés respiratoires, les réactions cutanées et même l'enflure (de la langue, du visage, etc.) peuvent survenir lors d'une réaction allergique grave. Un choc anaphylactique, c'est encore plus critique. Le détail qui peut tuer dans un tel cas, c'est l'atteinte du système circulatoire. «Il y a des symptômes qui sont liés à la baisse de la tension artérielle», explique le Dr Boursiquot.

«La personne peut ressentir des étourdissements, une grande faiblesse, se sentir somnolente et ça peut aller jusqu'à la perte de conscience. Si le sang ne se rend pas aux différents organes, il peut y avoir un risque de mortalité.»

Attention: toutes les allergies - celles aux chats ou aux acariens, par exemple - ne sont pas susceptibles de provoquer ce type de réaction. Le choc anaphylactique résulte en général d'une réaction à un aliment, à un médicament ou à une piqûre de guêpe, d'abeille ou de frelon. «Des insectes qui vont injecter du venin», précise le médecin.

«Assez freakant»

«Je ne peux pas m'asseoir à côté de quelqu'un qui mange du beurre d'arachide. Juste la senteur fait que ça commence à me piquer dans la gorge», dit Nathalie Rondeau. Sa première réaction, il y a une douzaine d'années, a été importante: elle avait des picotements intenses dans la gorge et son visage tout entier avait enflé. «C'est assez freakant», dit-elle.

La femme de 41 ans a dû prendre congé du travail pendant une semaine pour se remettre de la violence de sa réaction allergique. Que les médecins n'ont toutefois pas évaluée comme un choc. Karine Blouin, elle, parle d'une grande fatigue, de maux de ventre et de douleurs musculaires. «C'est comme si un camion m'était passé sur le corps», résume-t-elle, tout en déplorant le manque d'information au sujet de «l'après» choc anaphylactique.

«Faire un choc anaphylactique augmente le risque de faire un choc sévère si la personne est confrontée au même allergène, mais pas celui de réaction allergique sévère aux autres allergènes auxquels la même personne pourrait être allergique», précise Jean-Nicolas Boursiquot.

Les malaises ressentis après le choc ne sont généralement pas dus à l'adrénaline, selon le Dr Boursiquot, mais à la réaction allergique elle-même. «Plus la réaction allergique est sévère, plus il faudra de temps pour revenir à la normale», dit-il. Au nombre des effets secondaires évoqués par des personnes interviewées, signalons aussi les crampes intestinales, les difficultés de sommeil et un dérèglement des menstruations.

Un autre effet secondaire répandu et presque inévitable, c'est la crainte, parfois envahissante, de revivre une telle crise (voir onglet suivant). Et d'en mourir. «C'est sûr que j'ai eu peur, confirme Nathalie Rondeau. Surtout qu'on m'a dit que la prochaine réaction pourrait être mortelle.»

Nécessaire adrénaline

Dans un cas sur cinq, une seule dose d'adrénaline ne suffira pas à renverser la réaction allergique. «Qui a besoin d'une deuxième ou troisième dose? Les patients qui ont une réaction initiale très sévère et ceux qui ont tardé à s'administrer l'Epipen», affirme le Dr Boursiquot. L'allergologue assure qu'il ne faut pas avoir peur des injections d'adrénaline et qu'il vaut mieux donner une dose d'Epipen « pour rien » que de prendre le risque que la réaction s'aggrave. Il met aussi en garde contre le traitement de réaction allergique causée par un aliment avec des antihistaminiques. «On risque alors de masquer des symptômes et de tarder à donner le seul médicament capable de renverser la réaction allergique», fait-il valoir, en parlant de l'adrénaline. Une étude américaine de 2006, qui a examiné en détail les cas de 32 personnes mortes d'un choc anaphylactique, signale qu'au moins 22 d'entre elles n'avaient pas reçu d'adrénaline «à temps».

L'esprit amoché

L'esprit aussi encaisse un choc violent lorsqu'une personne subit une réaction allergique grave. «Mettez-vous à leur place, dit l'allergologue Jean-Nicolas Boursiquot. Ce sont des gens qui ont eu une réaction potentiellement mortelle, de laquelle ils n'ont souvent qu'un souvenir très vague, mais ils se rappellent cette impression de mourir...»

«Je pense que j'ai été en choc post-traumatique, estime d'ailleurs Karine Blouin, qui a survécu à un choc anaphylactique il y a quelques mois. Dès que je m'assoupissais, j'entendais les médecins à l'hôpital ou bien je sentais les fils sur ma peau. Tout ça s'est estompé, mais je me demandais si c'était normal.»

Sophie Beugnot, psychologue intéressée par les allergies alimentaires, n'a rien trouvé sur le lien entre choc anaphylactique et choc post-traumatique en effectuant des recherches. Elle croit néanmoins, comme le Dr Boursiquot, qu'il existe bel et bien.

«Un choc anaphylactique est un événement où on est en danger de mort. C'est l'un des critères pour le trouble de stress post-traumatique.»

Le lien n'est pas direct. Le niveau d'anxiété de toutes les personnes qui vivent un choc anaphylactique ne grimpe pas forcément de manière dramatique. Or, l'impact psychologique des réactions allergiques graves a été jugé suffisamment sérieux pour que l'association Allergies Québec prenne des mesures.

«On a créé une banque avec une dizaine de psychologues intéressés par les allergies alimentaires et on a organisé une formation», signale Dominique Seigneur, directrice des communications et du développement de l'association qui informe et soutient les personnes allergiques. Sophie Beugnot faisait d'ailleurs partie du groupe de formateurs.

Retour à la normale

Sommeil perturbé, flash-back, peur d'une autre crise, crainte exacerbée d'être en contact avec l'aliment qui a déclenché la réaction en chaîne, la personne allergique peut se sentir bousculée de différentes façons après un choc anaphylactique. «Ça peut prendre un certain temps pour retrouver la confiance et revenir à la normale», estime Sophie Beugnot. Elle juge toutefois que ce retour «graduel» à la normalité devrait se faire «le plus rapidement possible».

La mère de Charles-Antoine Lambert évalue que son fils est demeuré «craintif» depuis son choc anaphylactique et ne croit pas qu'il retournera un jour dans la chaîne de restaurants où il a mangé ce soir-là. Le garçon a toutefois remangé la même chose. «Il n'a pas réagi, dit-elle. Ça l'a calmé.»

Afin de prévenir une nouvelle crise, des personnes allergiques en arrivent parfois à limiter de manière importante la variété d'aliments qu'ils ingèrent, sortent moins et ne mangent plus au restaurant. 

Ces réactions constituent des formes d'évitement qu'il convient de surveiller. «Les comportements hors de l'ordinaire, qui témoignent d'un stress élevé, sont des raisons de consulter [un psychologue]», dit Sophie Beugnot.

Les parents - et les proches en général - doivent aussi «gérer leur propre stress» face à l'allergie alimentaire, croit la psychologue. Elle souligne qu'il faut se méfier du réflexe «d'hypervigilance» qui incite certaines personnes à porter une attention exagérée aux moindres réactions de leur corps au cas où ce serait un symptôme de réaction allergique.

«Il faut apprendre à vivre avec le risque. Et c'est difficile, reconnaît-elle. Il faut se rappeler que les chocs anaphylactiques et les décès liés aux allergies alimentaires sont extrêmement rares. Une allergie alimentaire, c'est stressant, mais ça se gère. Une fois qu'on a mis en place des stratégies pour gérer le risque, le risque de décès, lui, est très faible.»

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Charles-Antoine Lambert est «craintif» depuis son choc anaphylactique, il y a deux ans. Sa mère ne croit pas qu'il retournera un jour dans la chaîne de restaurants où il a mangé ce soir-là.