Somnoler pendant ses heures de travail peut être mal perçu. Sauf lorsque c'est votre employeur qui vous encourage à piquer un petit roupillon ou à faire un temps d'arrêt dans un «Fat Boy». Pour votre bien-être, vous dira-t-il. Mais surtout parce qu'il s'est rendu compte qu'après, vous étiez plus productif!

«Je m'attends à ce que les salles de repos soient bientôt aussi universelles que les salles de conférence», prédit Arianna Huffington dans son essai The Sleep Revolution.

Depuis qu'elle a perdu connaissance d'épuisement, l'éditrice et conférencière américaine martèle sur toutes les tribunes que notre manque de sommeil menace à la fois notre santé et notre productivité. En 2011, elle a prêché par l'exemple en aménageant une salle de repos (nap room) pour les employés de la rédaction new-yorkaise du Huffington Post - qui peuvent y somnoler pendant environ 15 minutes.

La salle de rédaction de Toronto lui a emboîté le pas quelques mois plus tard, aménageant elle aussi une nap room. Des aires de repos semblables pourraient être offertes dans les nouveaux locaux des quelque 20 employés montréalais du HuffPost, qui déménageront à l'automne, selon l'éditeur québécois Patrick White. Voilà ce qu'on pourrait appeler l'effet domino.

D'autres entreprises américaines ont fait le pari qu'une petite sieste pouvait donner un nouveau souffle à leurs employés et accroître leur productivité: c'est le cas de Ben & Jerry's, Zappos et Nike. Un mouvement amorcé il y a quelques années dans la Silicon Valley où des sociétés comme Google, Amazon, Hubspot ou Hootsuite ont créé des aires de jeux et de repos pour leurs employés.

Les technos à l'avant-garde

Au Québec, les entreprises d'arts et de technologie ont elles aussi été à l'avant-garde de l'organisation du travail et de l'aménagement des lieux de réflexion. Pensez à Nurun ou à Sid Lee dans la Cité du multimédia, ou encore à Ubisoft, qui aujourd'hui rénove ses bureaux en prenant soin d'ajouter des aires de détente.

Mais aujourd'hui, l'exemple le plus frappant de ces espaces de travail non conventionnels est incarné par Shopify. Les bureaux montréalais de cette entreprise qui a conçu une plateforme logicielle pour des boutiques en ligne offrent une multitude de « recoins » où leurs 50 ingénieurs, programmeurs et designers - munis d'un portable - peuvent travailler, se restaurer, jouer au ping-pong ou se reposer.

«Nous n'avons pas de salle de repos comme tel, nous explique le coordonnateur du bureau Austin Dains, mais il y a plusieurs endroits où les employés peuvent se détendre et oui, parfois, s'assoupir.» Outre les nombreux fauteuils et banquettes, on pense aux petits salons ou cubicules où l'on peut s'asseoir dans l'obscurité ou alors à la «Light Room», où l'on peut s'installer sur un pouf.

C'est là qu'aime se trouver Cynthia Savard-Saucier, directrice du design chez Shopify. «C'est rare que les gens s'endorment, mais tous les jours, il y a des moments où on se repose, on médite ou on ferme les yeux», dit-elle.

«Moi, je viens ici parfois quand je sais que ma journée va se terminer plus tard. Je prends un petit moment l'après-midi, je mets mes écouteurs et je m'arrête.»

Est-ce mal vu de croiser quelqu'un qui sommeille? «Non, répond Cynthia Savard-Saucier. Mais les gens ne dorment pas profondément. Ils prennent une pause ou réfléchissent à un problème. La flexibilité de nos horaires fait en sorte que si on est vraiment trop fatigué un matin, on va dormir chez soi et venir travailler après au lieu de se pointer de bonne heure et d'être inefficace et improductif.»

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

PricewaterhouseCoopers a mis en place une série de mesures favorisant la «mobilité» et le «bien-être» de ses employés, qui ont la liberté de travailler de l'extérieur du bureau, mais aussi d'ajuster leur horaire de travail en fonction de leur situation personnelle.

Une question de flexibilité

Ces horaires flexibles gagnent en popularité, notamment auprès d'entreprises multinationales. C'est le cas de la firme PricewaterhouseCoopers (PwC), qui a mis en place une série de mesures favorisant la «mobilité» et le «bien-être» de ses employés, qui ont la liberté de travailler de l'extérieur du bureau, mais aussi d'ajuster leur horaire de travail en fonction de leur situation personnelle.

«On prône l'autoresponsabilisation, nous dit la directrice du capital humain de PwC, Isabelle Léger. Parfois, les employés vont décider de travailler de chez eux ou d'ailleurs.»

«On a créé des espaces de travail collaboratifs plus informels, avec des divans ou des poufs et où les gens peuvent se parler, mais aussi se détendre, lire une revue, faire autre chose.»

PwC a de plus mis à la disposition de ses employés une salle de repos avec un lit. «C'est une pièce qui peut permettre à une jeune mère de tirer son lait, à un employé musulman de faire ses prières, à quelqu'un qui souffre d'une migraine de s'allonger ou plus simplement à un employé de prendre quelques minutes pour se reposer», dit Isabelle Léger.

Là encore, on peut parler d'un effet domino puisque ce sont les bureaux américains de PwC qui ont mis sur pied les premières salles de repos. Une initiative suivie par le bureau de Toronto - qui compte une pièce avec des fauteuils bulles. Selon Mme Léger, la salle de repos est toujours occupée. Est-ce mal vu de s'y rendre? «De moins en moins», répond-elle prudemment.

Une ruse pour étirer les heures?

On pourrait croire que l'aménagement de ces salles de repos est une façon de garder ses employés plus longtemps au bureau. Mais ça ne semble pas être le cas de Shopify ou de PwC. «Notre philosophie est de travailler au moins cinq heures [dans une journée de huit heures], nous dit Austin Daines. C'est rare que les gens veillent au bureau. Ceux qui partent plus tard ont souvent commencé leur journée plus tard.»

Même son de cloche chez PwC. «C'est sûr qu'il y a des rushes où les employés vont faire des heures supplémentaires, reconnaît Isabelle Léger. Ces jours-là, ils auront peut-être besoin de temps de repos, mais l'idée générale est d'offrir des conditions de travail qui augmentent l'efficacité et la productivité des employés dans les heures de travail normalement prévues.»

Si un employeur offre des espaces de relaxation ou des salles de repos, c'est qu'il doit en tirer profit, non? 

«Nous voulons que les employés puissent se concentrer sur ce qu'ils ont à faire», mentionne Austin Dains, coordonnateur chez Shopify.

«C'est pour ça qu'on leur offre le petit-déjeuner et le lunch, qu'on met à leur disposition un environnement de travail agréable, des espaces de repos, des horaires flexibles, poursuit M. Dains. À la fin, oui, l'employeur est gagnant.»

La prédiction d'Arianna Huffington se réalisera-t-elle? Le tabou de l'employé qui sommeille pendant ses heures de travail est tenace. Mais de plus en plus d'entreprises sont prêtes à y voir un investissement, surtout dans les milieux où les attentes à l'égard des employés sont élevées. «C'est sûr que nos employés sont hyper qualifiés, ils travaillent bien, ils sont performants et passionnés, donc on veut aussi les ménager», dit Austin Dains.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

L'entreprise PricewaterhouseCoopers a mis à la disposition de ses employés une salle de repos avec un lit.