Chaque automne, elle touche de 2 à 3 % de la population canadienne. La dépression saisonnière n'a pourtant rien à voir avec l'approche de l'hiver. C'est un trouble affectif lié à la diminution du temps d'ensoleillement qui ronge le quotidien des gens atteints pendant les longs mois d'octobre à mars. La Presse+ se penche sur cette affection que l'on peut soigner, mais qui passe trop souvent sous le radar.

LE BON DIAGNOSTIC

Les différences peuvent être subtiles entre la dépression et la dépression saisonnière. Il faut donc connaître les particularités propres à cette dernière, les mêmes qui permettent aux médecins de bien la diagnostiquer et de proposer des traitements appropriés.

Au même moment de l'année

« Si on la compare à la dépression en général, elle arrive toujours au même moment de l'année et elle est récurrente, contrairement à une dépression majeure, qui peut se manifester à n'importe quel moment de l'année », distingue la Dre Mimi Israël, psychiatre et directrice du service de psychiatrie à l'Institut universitaire en santé mentale Douglas. Bien que la sévérité des dépressions, quel qu'en soit le type, peut être modulée par des facteurs personnels tel le stress, il ne faut pas confondre stresseurs d'automne et dépression. Un retour à l'école ou la fin d'un emploi saisonnier peut avoir un impact sur l'humeur sans pour autant annoncer une dépression saisonnière, que l'on appelle aussi « trouble affectif saisonnier ».

Être attentif à certains symptômes

Les symptômes de la dépression majeure ressemblent beaucoup à ceux de la dépression saisonnière, à quelques différences près. « De 70 % à 80 % des gens en dépression saisonnière dorment trop. Cette tendance à vouloir dormir est contraire à l'insomnie qui est fréquente en cas de dépression majeure. La dépression saisonnière s'accompagne aussi d'une prise de poids associée à l'augmentation de l'appétit. Les gens ont une envie de manger des féculents, des choses sucrées », décrit la Dre Israël. La spécialiste met en garde les personnes aux prises avec un trouble alimentaire, chez qui la dépression saisonnière peut déclencher des épisodes de boulimie.

Quand consulter ?

Pour la psychiatre, on pose rarement un diagnostic à moins que le fonctionnement de la personne soit atteint. « Il faut être très prudent. Une personne qui se reconnaît dans les symptômes de dépression saisonnière peut s'acheter une lampe de luminothérapie et commencer un traitement sans voir un médecin. Sauf qu'avant que l'intensité des symptômes en vienne à nuire au fonctionnement au quotidien, et ça peut aller jusqu'à des idées suicidaires, par exemple, il est essentiel de consulter un médecin. » En effet, il ne faut pas hésiter à consulter lorsque le moral n'y est plus. Les gens peuvent obtenir de l'aide de leur médecin, d'une ligne d'écoute, d'un organisme spécialisé ou par l'entremise d'un programme d'aide aux employés.

Avec ou sans médication ? 

Dans certains cas, la dépression saisonnière se manifeste de façon plus sévère. « Il y a de nombreuses théories sur la dépression saisonnière. Avec la diminution de l'intensité de la lumière à l'automne, on a remarqué des changements mesurables dans le système sérotoninergique. Si la luminothérapie n'a pas fait effet, il faut se tourner vers les antidépresseurs, qui touchent directement ce système », explique la Dre Israël.

Là pour rester

La plupart des gens qui ressentent les effets du trouble affectif saisonnier doivent accepter que cette vulnérabilité est là pour rester. La Dre Israël, qui traite beaucoup de patients pour la dépression saisonnière, se fait rassurante : « L'humain est complexe et tout ce qui nous arrive est une combinaison de nombreux facteurs, ajoute-t-elle. Les symptômes de la dépression saisonnière, tout comme notre bien-être, sont très influencés par le contexte et le stress. Par conséquent, d'une année à l'autre, l'intensité des symptômes peut varier », conclut la psychiatre.

DEMANDER DE L'AIDE

On associe à tort les symptômes à des épisodes de déprime en se disant que ça passera, même si les idées noires prennent de plus en plus de place. C'est avant de se perdre dans ce triste tourbillon qu'il faut agir.

Revivre est un organisme sans but lucratif qui vient en aide aux personnes souffrant de troubles anxieux, dépressifs ou bipolaires. La dépression saisonnière est un sujet bien connu pour ses intervenants. « Nous ne faisons pas de diagnostic, mais nous pouvons aider et accompagner les gens, en plus de les diriger vers les bonnes ressources », précise Jean-Rémy Provost, directeur général de Revivre.

QUAND TÉLÉPHONER ? 

« Pour 15 % des gens, le blues automnal se vit sans impacts et est de courte durée. C'est normal d'avoir de la difficulté à se lever en novembre, mais ce n'est pas assez pour interférer avec notre travail, par exemple. D'ailleurs, juste le fait de changer l'heure permet une amélioration. Par contre, dès que les symptômes interfèrent avec nos activités quotidiennes, c'est une autre histoire », souligne M. Provost. Il ne faut pas rester seul avec la dépression saisonnière, et des solutions existent.

UNE INTERVENTION CIBLÉE 

Pour les gens souffrant d'un trouble affectif saisonnier, Revivre propose deux types d'interventions. « Nous avons des groupes d'entraide avec une approche plus traditionnelle qui visent avant tout à briser l'isolement. Puis, un programme de 10 semaines appelé "Atelier d'autogestion de la dépression", à travers lequel nous aidons les gens à se constituer une boîte à outils pour mieux vivre au quotidien. La luminothérapie, les habitudes de vie, l'alimentation, etc. On aide les gens à mettre toutes les chances de leur côté », explique Jean-Rémy Provost.

SYMPTÔMES DE LA DÉPRESSION SAISONNIÈRE

• humeur dépressive présente presque toute la journée et presque tous les jours 

• diminution de l'intérêt et du plaisir pour les activités qui nous plaisent habituellement 

• augmentation de l'appétit (on note souvent une envie irrésistible de consommer des aliments sucrés ou contenant des hydrates de carbone) 

• augmentation du temps de sommeil, difficulté à sortir du lit le matin et baisse d'énergie 

• baisse de la concentration ou de l'aptitude à penser ou indécision 

• impression d'être au ralenti ou, au contraire, d'être agité 

• sentiment de culpabilité, de dévalorisation ou même, dans certains cas, apparition d'idées de mort ou de pensées suicidaires

Source : fiche La dépression saisonnière de Revivre, Association québécoise de soutien aux personnes souffrant de troubles anxieux, dépressifs ou bipolaires

ILS VIVENT AVEC LA DÉPRESSION SAISONNIÈRE

Ils vivent avec la dépression saisonnière depuis de nombreuses années. Pourtant, avec de l'aide et beaucoup de résilience, ils arrivent à surmonter le défi qu'elle impose. Lyne et Martin connaissent bien leurs limites et se sont outillés pour limiter l'impact que peut avoir le trouble affectif saisonnier sur leur vie.

LA FLORIDE COMME TRAITEMENT

Lyne est une jeune retraitée de 56 ans. C'est au début de la vingtaine qu'elle découvre qu'elle a un trouble affectif saisonnier. Au même moment, un nouvel emploi lui demande de passer beaucoup de temps à l'extérieur et les symptômes disparaissent d'eux-mêmes. Plusieurs années plus tard, une promotion lui impose de travailler à l'intérieur. « L'automne, l'hiver et une grande partie du printemps, c'était l'enfer. Mais sur le coup, je n'ai pas fait la relation avec la dépression saisonnière », explique celle qui a vécu une dépression majeure avant d'être aidée par une équipe de professionnels de la santé.

Tous les ans, lorsque arrive l'automne, qu'elle ne peut aller à l'extérieur et qu'elle profite moins de la lumière naturelle, Lyne se sent plus fragile. Depuis qu'elle est à la retraite, elle passe donc les quatre ou cinq mois d'hiver en Floride. « Je vis à la campagne, où nous nous sommes fait construire une maison pleine de lumière. Chaque année, je me dis que je pourrais rester ici au lieu d'aller au sud. Mais dès que c'est moche dehors, dès qu'il pleut, je ne peux que le constater : mon humeur est plus triste. Je crois vraiment que les périodes de ma vie où j'ai été très active et de longues heures à l'extérieur m'ont beaucoup aidée. Pour moi, la lumière naturelle est la meilleure solution », explique-t-elle.

ENTRE LES DEUX OREILLES 

Martin est à l'aube de la quarantaine, il est fondateur et éditeur en chef d'Entre les deux oreilles. Il s'agit d'un projet web personnel qui vise à lutter contre les tabous et les préjugés envers la maladie mentale. Il vit avec la dépression saisonnière depuis 20 ans. « Il a fallu plusieurs années avant qu'un médecin me diagnostique enfin et mette en place un plan de traitement. »

Il consulte mensuellement un psychiatre pour garder le cap et ajuster au besoin la médication et le traitement : « Celui-ci est composé essentiellement de doses d'anxiolytiques et de périodes de luminothérapie progressive. Au départ, à la suite de l'établissement du diagnostic, mon traitement était centré autour des antidépresseurs en période automnale et hivernale. Au fil des années, les antidépresseurs ont été remplacés par la luminothérapie, traitement plus efficace et sans effets secondaires dans mon cas. »

La récurrence de la dépression saisonnière se fait sentir chez Martin. Il appréhende toujours la fin de l'été et la diminution des heures d'exposition à la lumière. Pour lui, c'est la période la plus difficile de l'année.