Notre journaliste a passé un an à l'Université Harvard grâce à une bourse de la fondation Nieman. Depuis le début de l'été, elle nous a présenté des chercheurs aux idées novatrices. La série se termine aujourd'hui avec Katie Hinde, une jeune professeure qui s'intéresse à l'un des plus grands mystères de la vie humaine, le lait maternel.

«Et si je tirais le lait des singes?»

Les mentors de Katie Hinde ont levé les sourcils lorsque la jeune étudiante à la maîtrise a décidé de changer le cap de ses études en biologie de l'évolution, un sous-champ de l'anthropologie, pour s'intéresser au lait maternel.

Fan des macaques depuis son adolescence, la jeune chercheuse originaire de l'État de Washington venait de passer quelques années à étudier l'évolution de ses singes favoris: leur naissance, leur croissance, leur reproduction. Quand elle a voulu étudier leur lait maternel, elle a été renversée. «Il n'y avait que deux études sur la production de lait par les primates non humains. C'est tout», se rappelle la jeune femme.

Des lacunes

Comment se pouvait-il qu'un phénomène aussi universel - touchant aussi tous les humains - fasse l'objet d'aussi peu de recherche? «Premièrement, tout ce qui touche la santé des femmes fait toujours l'objet de moins de recherche que ce qui touche la santé des hommes. Deuxièmement, l'allaitement a été mis de côté au profit du lait maternisé pendant plusieurs années et beaucoup de connaissances dans le domaine ont été mises de côté. Troisièmement, les premières recherches sur le sujet suggéraient que le lait maternel était le même, peu importe la situation de la mère, qu'elle soit en Zambie ou en Grande-Bretagne», note Katie Hinde.

C'est ce dernier point qui a attisé la curiosité de la chercheuse enthousiaste. «Cela semblait aller à l'encontre de tout ce que nous savons en biologie de l'évolution.»

Les recherches de Mme Hinde, devenue professeure adjointe à Harvard en 2011, ont démontré des lacunes majeures dans la connaissance antérieure. Grâce à des échantillons de lait maternel prélevés sur des vaches et sur des singes, Katie Hinde a démontré que non seulement les mères ne produisent pas toutes le même lait, mais qu'elles varient leur production en fonction du sexe de leur bébé. Le lait pour les petits mâles est plus riche, alors que pour les bébés femelles, il est plus dilué, mais aussi plus abondant. Selon Mme Hinde, cela suggère que le foetus envoie des signaux à sa mère avant même sa naissance, forçant cette dernière à s'adapter. Les résultats de la recherche ont vite fait le tour du monde.

Du lait maternisé adapté

«À terme, il sera peut-être possible de produire du lait maternisé plus adapté ainsi que de permettre de meilleurs mariages entre les banques de lait maternel et les poupons qui en ont besoin. Nous ne sommes pas encore rendus là, mais il faut déjà écarter l'idée qu'un seul lait maternisé fait l'affaire de tout le monde», plaide la jeune chercheuse.

À Harvard, Katie Hinde fait tourner les têtes. Star de la blogosphère et de la twittosphère (mammalssuck), la jeune femme dans la trentaine arbore aussi fièrement ses trois tatouages que ses idées féministes.

Plaider en faveur de la mère

«Par rapport à l'allaitement, beaucoup de gens plaident en faveur de l'enfant, mais peu le font en faveur de la mère. Et ça, ça ne fonctionne pas pour moi. Nous devons respecter la vie que mènent les mères et les décisions qu'elles prennent. Plusieurs doivent choisir entre un chèque de paye et l'allaitement», dit-elle, en rappelant qu'aux États-Unis, le congé de maternité est habituellement de quelques semaines. «C'est important de voir qu'il y a de grandes barrières à l'allaitement.»

Sa prochaine recherche s'intéressera au rôle du lait maternel sur le développement comportemental du bébé. «Des bébés singes, cela va sans dire, précise-t-elle en riant. Je ne fais pas de tests sur des humains.»