Un site internet conçu pour les femmes atteintes du cancer du sein leur permet d'échanger entre elles et de s'envoyer des câlins virtuels. Bienvenue dans l'ère du réconfort 2.0.

À première vue, l'architecture du site rappelle Facebook. Les membres ont un profil, accompagné d'une photo et d'une description. Il est possible d'écrire un statut, de commenter celui des autres, d'«aimer» une publication. Mais là s'arrêtent les ressemblances. Car chaque image et chaque message rappellent que les utilisatrices combattent un ennemi commun: le cancer du sein.Lancé en 2012, le réseau social My Breast Cancer Team (myBCTeam) réunit plus de 5000 femmes atteintes du cancer du sein ou en rémission.

MyBCTteam n'est pas l'oeuvre d'une femme atteinte du cancer, mais celle de deux professionnels du web de San Francisco. Mary Ray et Eric Peacock sont les cofondateurs de MyHealthTeams, une société qui crée des réseaux sociaux pour les personnes vivant avec une condition médicale chronique. MyAutismTeam a été le premier site du genre. Depuis, myBCTeam et myMSTeam, pour les personnes vivant avec la sclérose en plaques, se sont ajoutés.

En entrevue téléphonique, Mary Ray explique que la principale richesse de myBCTeam est de permettre aux femmes qui se ressemblent de dialoguer, ce que les groupes d'entraide traditionnels n'offrent pas toujours. «Une femme de 30 ans qui s'inquiète de l'effet de la chimiothérapie sur sa fertilité n'a pas les mêmes préoccupations qu'une femme de 65 ans», illustre-t-elle. En quelques clics, il est possible de trouver les membres qui répondent à des critères précis comme le type de cancer, l'âge, les traitements reçus, les effets secondaires ressentis, etc.

Le site internet répond aussi à un besoin pratique. «Si vous suivez votre septième traitement de chimiothérapie, vous n'avez peut-être pas l'énergie pour vous rendre à une rencontre face à face», note Mary Ray.

Et puisque le site est strictement réservé aux femmes souffrant d'un cancer du sein, les sujets plus tabous, comme la baisse de libido ou l'adaptation aux implants mammaires, peuvent être abordés sans gêne.

À portée de pixels

Autre particularité de myBCTeam: l'option hugs, qui permet d'envoyer des «câlins» à une utilisatrice. Les créateurs du site ont voulu traduire en pixels cet élan, devant l'annonce d'une mauvaise nouvelle, où la seule chose à faire est de prendre l'autre dans ses bras.

Claudette Reny, 68 ans, de Gatineau, est l'une des très rares membres québécoises de myBCTeam. En août, elle a appris qu'une tumeur avait été découverte dans son sein droit. Le choc a été brutal. «C'était l'enfer», laisse-t-elle tomber.

C'est en faisant des recherches sur l'internet que Mme Reny est tombée sur myBCTeam. Le site a eu l'effet d'une bouée de sauvetage. «Il y a eu une journée où ça n'allait vraiment pas, j'étais très déprimée. Je ne sais pas combien j'ai reçu de hugs.»

Depuis, elle consulte le réseau social chaque jour, questionne les autres utilisatrices, distribue à son tour des câlins. «Je parle à des dames du Texas, de la Californie. On ne se connaît pas, mais on se connaît. Je ne peux pas l'expliquer.»

À la Fondation québécoise du cancer, l'outil étonne, mais paraît globalement positif. «Réaliser que les femmes ont encore le goût de vivre est source d'espoir pour celles qui viennent de recevoir un diagnostic», souligne Nicole Morin, infirmière-conseil à la Fondation.

Dans une semaine, Mme Reny amorcera une radiothérapie. «J'ai beaucoup d'appréhension. Tout est nouveau, je ne sais pas à quoi m'attendre. Mais je peux m'exprimer avec elles, parce qu'elles sont déjà passées par là.»

Attention: fragiles

Nicole Morin exprime toutefois une réserve. «Une personne n'est pas un diagnostic, prévient-elle. Le cancer du sein est très complexe, il n'y a jamais deux situations pareilles.» Ce n'est pas parce que des membres affichent un «pedigree» semblable qu'elles vont réagir de la même façon aux traitements, en somme.

Autre bémol: myBCTeam ne doit pas être confondu avec un site d'information médicale. Malgré les bonnes intentions, le vécu ne suffit pas pour recommander une opération ou un médicament. «Il faut être prudent avec nos attentes, recommande Nicole Morin. Dans ce cas-là, c'est d'autant plus vrai, car les gens sont déstabilisés, donc plus vulnérables.»

Et la confidentialité?

MyBCTeam regorge de renseignements personnels sur ses membres. Des données délicates qui pourraient se révéler fort utiles pour une société pharmaceutique, par exemple. À ce sujet, Mary Ray est catégorique. «Nous ne fournissons aucune information personnelle à une tierce partie. Notre réseau social est basé sur la confiance, poursuit-elle. Si nous perdons cette confiance, nous perdons le site.»

Pour l'instant, myBCTeam est financé par des entrepreneurs philanthropes. Aucun d'eux n'est lié au monde pharmaceutique, précise la cofondatrice.

Ce qui ne l'empêche pas de voir grand pour sa société. Diabète, alzheimer et leucémie seront peut-être les prochaines maladies à être dotées de leur propre réseau social. L'objectif est ambitieux: gérer 50 réseaux sociaux spécialisés dans les deux prochaines années. «Ce que nous souhaitons à long terme, conclut Mary Ray, c'est que les docteurs prescrivent nos sites à leurs patients.»

My Breast Cancer Team: http://www.mybcteam.com

Montage fourni par MyHealthTeams

L'une des utilisatrices de myBCTeam a créé l'album photo My Scarf Fashion Show, qui la montre avec différents foulards colorés noués sur la tête.