Une association entre la prise d'antalgiques - en particulier l'aspirine et l'ibuprofène - par la femme enceinte et la survenue de problèmes de reproduction chez son enfant mâle est suggérée pour la première fois dans une étude menée sur des Danoises.

«Cette étude porte sur des associations et non pas une relation de cause à effet», a souligné le Dr Bernard Jégou, biologiste à l'Inserm, qui a complété côté français cette étude, publiée cette semaine dans la revue européenne Human reproduction.

Alors que depuis une cinquantaine d'années l'infertilité masculine est en hausse, des chercheurs danois ont établi que les femmes enceintes prenant des antalgiques font courir des risques accrus de cryptorchidie (mauvaise descente des testicules) à leur enfant, surtout si elles en prennent plusieurs types à la fois.

La cryptorchidie est un facteur d'infertilité, voire de cancer du testicule à l'âge adulte.

En Europe et aux Etats-Unis, plus d'une femme enceinte sur deux prend des antalgiques légers, le plus souvent du paracétamol. La consommation est particulièrement élevée au Danemark où la cryptorchidie atteint un record, avec 8,5% de cas en 1997-2001.

Une équipe de chercheurs, conduite par Henrik Leffers, du Rigshospitalet à Copenhague, a suivi plus de 800 femmes enceintes. Elles ont été interrogées sur leur consommation d'antalgiques et leur bébé mâle a été examiné à la naissance.

Celles qui utilisaient plus d'un antalgique à la fois multipliaient par sept le risque de cryptorchidie.

Le deuxième trimestre de la grossesse était le plus sensible.

Pris individuellement, l'ibuprofène et l'aspirine quadruplaient alors le risque de cryptorchidie, le paracétamol montrant une tendance similaire mais non significative. Utiliser plus d'un antalgique multipliait encore le risque, et davantage si on les prenait simultanément pendant plus de 2 semaines.

Une autre étude danoise, publiée dans la revue Epidemiology et portant sur des garçons nés entre 1996 et 2002, dont 980 souffraient de cryptorchidie, a donné des résultats convergents, avec une augmentation du risque après prise de paracétamol pendant plus de 4 semaines durant le 2ème trimestre de la grossesse.

«Deux études indépendantes dont les signaux d'alerte convergent, cela interpelle», a noté le Dr Jégou.

Dans le cadre de la même étude, des toxicologues danois ont confirmé sur des rats que l'exposition au paracétamol de la mère réduisait chez le raton la distance entre l'anus et les organes génitaux, probable indice d'une production insuffisante de testostérone lors de la formation des organes sexuels mâles.

L'équipe de Bernard Jégou a quant à elle disséqué les testicules du foetus de rat et noté que l'ajout de paracétamol et d'aspirine au milieu de culture réduisait les niveaux de testostérone d'environ 50%. Ces résultats tracent «une piste possible», selon le biologiste.

Pour le Dr Leffers, «l'utilisation d'antalgiques légers constitue de loin la plus grande source d'exposition aux perturbateurs endocriniens chez les femmes enceintes».

«Un comprimé de 500 mg de paracétamol présente davantage d'effet perturbateur endocrinien que l'exposition combinée à dix des perturbateurs les plus puissants pendant toute la grossesse», affirme-t-il.

Les chercheurs français et danois estiment que de nouvelles études sur le sujet sont indispensables et que les femmes enceintes devraient être engagées à réduire leur utilisation d'antalgiques, même si, dit le Dr Jégou, «le Danemark ce n'est pas la France».