Amputé de la jambe droite fin 2014 après un cancer des os, Jerris Madison, photographe de mode habitué aux looks glamour et aux semaines de la mode, essayait de s'habituer à porter «une broche de titane» toute sa vie.

Jusqu'à ce que les designers de la petite société canadienne Alleles, qui avaient repéré une photo de lui sur Instagram, lui envoient en 2016 un cache-prothèse «branché» à essayer.

«Quand j'ai ouvert la boîte, j'ai cru que c'était Noël», a raconté à l'AFP le photographe de 45 ans, basé à Los Angeles. «Avant, les gens me regardaient et savaient que j'étais amputé. J'étais gêné. Maintenant ils me voient comme de l'art ambulant. Ça m'a redonné confiance».

M. Madison n'est pas le seul à avoir vu son quotidien s'améliorer ces dernières années, grâce à de nouveaux produits à la fois chics et adaptés aux handicaps.

«Il y a un foisonnement de design à la fois très fonctionnel et esthétiquement désirable pour les gens ayant toutes sortes de handicaps», souligne Cara McCarty, commissaire d'une exposition au musée Cooper Hewitt du design à New York, qui présente jusqu'en septembre une vingtaine de produits emblématiques de cette évolution.

Outre les cache-prothèses d'Alleles aux allures de tatouages géants, vendus à partir de 375 dollars, l'exposition présente des baskets Nike FlyEase, conçues à la demande d'un étudiant atteint de paralysie cérébrale, qui s'enfilent comme des pantoufles grâce à une tirette ouvrant l'arrière.

Également une canne toute en finesse, poignée de couleur au choix, qui ne tombe plus quand on la pose contre un mur. Une prothèse auditive comme une grande boucle d'oreille. Un bracelet qui, couplé à une application GPS pour smartphone, indique le chemin par vibrations, idéal pour personnes malvoyantes ou malentendantes.

Ou encore un anorak, inclus dans une nouvelle ligne de vêtements pour enfants handicapés des magasins américains bon marché Target, qui s'enfile de multiples façons avec ses côtés ouvrables par bandes agrippantes.

«Pour tout le monde»

Pour beaucoup de ces produits, explique Caroline Baumann, directrice du musée, le pari est de séduire au-delà du public handicapé, grâce à leur praticité.

Quand les designers de Target ont conçu l'anorak, «ils pensaient à l'enfant autiste qui a des difficultés à enfiler sa veste, mais ce qu'ils ont vu c'est que toutes sortes de gens l'achètent: moi-même je voudrais cet anorak pour mon fils de trois ans, car c'est un combat quotidien de lui enfiler sa parka», dit-elle.

Même conviction chez Keith Kirkland, un ancien de chez Calvin Klein qui a co-conçu le bracelet GPS à vibrations Wayband commercialisé fin 2018.

Si le bracelet est testé avec des aveugles, dit-il, l'idée est qu'il puisse servir à «quiconque qui ne veut pas avoir à regarder son téléphone pour s'orienter».

Le prix -299 dollars- pourrait ainsi baisser, car «la raison pour laquelle ces produits sont chers, c'est qu'il faut amortir leurs coûts sur un petit marché», souligne M. Kirkland.

Ces créateurs tablent aussi sur le vieillissement attendu de la population, qui s'accompagne de multiples handicaps.

«Une personne sur trois à partir de 62 ans a des problèmes de vision et cette population doit doubler d'ici 2060», selon M. Kirkland, qui évalue le marché américain des produits technologiques pour malvoyants à quelque 2,8 milliards de dollars aujourd'hui.

Pour Matt Kroeker, dont la petite société canadienne Top & Derby a conçu la canne qui ne tombe pas, il faut créer «des produits que les gens aient envie d'utiliser», pas seulement fonctionnels.

«C'est comme les lunettes qui, jusqu'à la fin des années 1940, étaient purement utilitaires et sont devenues des accessoires de mode après», dit cet entrepreneur, qui a aussi lancé des chaussettes de contention très tendance.

Mais beaucoup de ces nouveaux produits restent encore introuvables en magasins, étant vendus uniquement en ligne.

«Le plus gros obstacle actuellement, c'est que les gens veulent ces produits, mais les sociétés qui peuvent les mettre sur le marché sont très réticentes», dit M. Kroeker. «Elles ont dans l'idée que les gens ne sont pas vraiment intéressés (...) On essaie de changer ça».

M. Madison espère «contribuer à changer les mentalités» en s'affichant avec ses cache-prothèses dernier cri.

«Il s'agit d'en finir avec les stigmates, ne plus avoir à cacher une prothèse auditive ou de jambe, et pouvoir dire simplement: «Je peux faire plus de choses avec cet accessoire»», dit Mme Baumann.