Les chefs sont-ils les rock stars du XXIe siècle? Loin d'être confinés à leurs cuisines, ils sont désormais partout: télévision, radio, événements, réseaux sociaux... Est-ce le prix à payer dans le marché ultra compétitif d'aujourd'hui pour que les affaires roulent?

Mi-octobre. Le chef pâtissier Rémy Couture, propriétaire de la boutique Crémy sur le Plateau Mont-Royal, participe à l'émission Donut Showdown, présentée sur les ondes du réseau Food Network. Parmi les trois concurrents présents, c'est lui qui sera finalement sacré «roi des beignes» et repartira avec un chèque de 10 000$.

La nouvelle se répand vite sur les réseaux sociaux et fait jaser au Québec, où le chef est invité à commenter son expérience sur toutes les tribunes médiatiques. En l'espace de quelques jours, l'achalandage double en boutique. «C'est énorme! Je viens d'ailleurs d'engager deux pâtissiers pour répondre à la demande», confie M. Couture, qui possède aussi un camion de cuisine de rue, la Crémy Mobile.

Une anecdote qui illustre bien le pouvoir qu'ont la télévision et les réseaux sociaux en restauration aujourd'hui. D'ailleurs, Rémy Couture ne cache pas son désir d'avoir sa propre émission de télé un jour: «J'ai travaillé avec des chefs comme Daniel Vézina et Louis-François Marcotte, je les ai tous vus aller. La télévision, c'est un engrenage... Disons que ça facilite la vie!»

Survivre dans un monde compétitif

La télévision est-elle devenue un passage obligé pour les chefs? Pour Danny St Pierre, qui pilote depuis deux saisons Qu'est-ce qu'on mange pour souper? sur les ondes de Radio-Canada, pas de doute sur son utilité dans la bonne marche des affaires.

«Il y a une grosse différence entre les restaurants qui ont un chef médiatisé et ceux qui n'en ont pas. Avoir un chef à la télévision, ça aide. Ça fait partie du jeu, aujourd'hui», nous explique le chef, rencontré au restaurant Tapas24 en pleine préparation d'une soirée dégustation à quatre mains avec le réputé chef barcelonais Carles Abellan.

Aujourd'hui, les chefs n'ont plus le loisir de se concentrer seulement sur leur cuisine, constate Martin Juneau, qui a animé sa première émission de télévision, Les Prix Juneau, l'été dernier. «À la Montée de lait, j'étais tout le temps aux fourneaux. Quand le restaurant a fermé, non seulement je n'avais plus d'argent, mais je n'avais aucun réseau. Est-ce qu'un cuisinier doit sortir de sa cuisine? Je pense que oui.»

Il peut être tentant pour un chef de multiplier les projets à l'extérieur de sa cuisine pour se faire connaître. Mais il peut du même coup facilement perdre le contrôle et ne plus avoir le temps de s'occuper de son restaurant. N'est-ce pas là une lame à double tranchant?

Pour Antonio Park, être présent à tous les services à son restaurant Park demeure une priorité. Celui qui sera juge pour la deuxième saison de Chopped Canada a néanmoins accepté ce défi, car l'horaire de tournage lui permet de ne pas s'éloigner trop longtemps, et parce que le rôle de juge lui permet de partager avec de jeunes cuisiniers, un aspect de sa profession qui lui importe grandement.

La promo et le 2.0

Bref, le nerf de la guerre pour les chefs, c'est la promotion. En 2014, il semblerait qu'un chef ne puisse plus compter seulement sur la qualité de sa cuisine pour durer dans le temps. Il se doit d'établir sa «marque» s'il ne veut pas que son restaurant se vide au profit de la nouvelle saveur du mois.

«J'accepte des projets dans la mesure où c'est une visibilité, une publicité. Je pense que c'est bénéfique pour le restaurant. Je suis en quelque sorte le visage de l'entreprise», explique Martin Juneau.

«À l'ère du numérique, il faut que tu aies quelque chose à dire et une plateforme pour le faire. Il y a des restaurants qui font des bandes-annonces de films aujourd'hui pour annoncer leur nouveau menu! Ce n'est plus juste de la cuisine!», constate pour sa part Danny St Pierre.

Une promotion qui passe également énormément par les réseaux sociaux, un art qu'Antonio Park maîtrise particulièrement bien. Véritable hyperactif sur Twitter, il y partage ses menus et arrivages du jour, sans compter les photos des joueurs du CH, dont son bon ami P.K. Subban, lorsqu'ils viennent manger à son resto.

Une stratégie qui sert à le faire connaître, oui, mais qui poursuit aussi un but encore plus important, confie-t-il: «Un de mes buts dans la vie, c'est d'établir un "empire de chefs". Je veux aider de jeunes chefs à ouvrir leur propre restaurant et redonner du respect à cette profession. Car la réalité, c'est que les cuisiniers vivent généralement dans la pauvreté, travaillent beaucoup d'heures et sans compter que beaucoup sont sous l'emprise de l'alcool et de la drogue.»

Un phénomène souvent occulté par le phénomène des chefs superstars, mais qui demeure la réalité pour la majorité des jeunes cuistots qui rêvent d'avoir un jour, eux aussi, leur place au soleil.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Danny St Pierre

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Martin Juneau

Quelques chefs-vedettes québécois

Martin Picard

Restaurants: Au pied de cochon (2001), Cabane à sucre du Pied de cochon (2009).

Daniel Vézina

Restaurant: Laurie Raphaël (1991), Laurie Raphaël Montréal (2007)

Chuck Hughes

Restaurants: Garde Manger (2006), Le Bremner (2011)

Louis-François Marcotte

Restaurants: Cabine M (2011), La Tablée des Pionniers (2014), autrefois propriétaire des restaurants Simpléchic, le Local et le Hangar.

Danny St Pierre

Restaurants: Auguste (2008), Augustine (2012-2014), restaurant à venir à Montréal (printemps 2015)

Stefano Faita

Restaurants: Impasto (2013), Pizzeria Gema (2014)

Normand Laprise

Restaurants: Toqué! (1993), Brasserie T (2010)

Martin Juneau

Restaurants: La Montée de lait (2004-2011), Pastaga (depuis 2011), Sir Joseph (copropriétaire, depuis 2012), Gastrobar (copropriétaire, à venir)