La Californie brûle, mais en France, l'année restera plutôt dans les mémoires comme celle des gels tardifs.

Je vous parlais il y a peu de temps de l'effet millésime : comment la météo, chaque année, contribue à forger le caractère des vins. Bien sûr, mère Nature est imprévisible. Mais l'étude du climat fait ressortir certaines généralités. Dans les vignobles septentrionaux, le risque de gel est fréquent. Dans certaines régions de Californie ou d'Australie, la sécheresse est un problème récurrent. Le secteur de San Rafael, dans la région de Mendoza, en Argentine, est régulièrement frappé par la grêle.

Lorsqu'on connaît les risques, on peut mieux s'y préparer et chercher à en diminuer les impacts. À Chablis ou en Champagne, les vignerons surveillent la météo au printemps, et sont prêts à allumer des feux dans les vignobles ou à asperger les vignes d'eau (pour former une couche de glace qui les protégera d'un gel intense). À San Rafael, des filets pour protéger la vigne de la grêle font partie du paysage.

Mais les bouleversements climatiques récents viennent sérieusement changer la donne. Le réchauffement est une réalité : au Québec, on a gagné près d'un mois sur la saison de croissance au cours des 30 dernières années. À cela s'ajoutent des incidents de plus en plus imprévisibles : le gel, la grêle et les orages violents frappent de façon beaucoup plus irrégulière et là où l'on ne s'y attend pas toujours.

Cette année, le Languedoc, le Sud-Ouest et le sud de la vallée du Rhône aussi ont été fortement touchés par le gel, ce qui est beaucoup plus rare. Près de 80 % des vignes à Bordeaux ont été abîmées. Les gels du mois d'avril ont causé tellement de dégât que la production française de vin pour 2017 recule à des niveaux jamais vus depuis 1945.

En Californie, on est habitué à des chaleurs intenses dans certains secteurs, et la sécheresse est une cause de souci pour les vignerons. Mais l'imprévisibilité est ici aussi au rendez-vous : certaines régions ont connu leur année la plus pluvieuse ainsi que leur année la plus sèche au cours des trois dernières années.

J'étais à Napa et à Sonoma au début de septembre, et le mercure a grimpé à 45 ℃ : l'été le plus chaud enregistré à ce jour en Californie. Après l'un des hivers les plus pluvieux. L'hiver humide a permis la croissance de beaucoup de broussaille, qui a séché au cours de l'été chaud...

Les incendies sont fréquents là-bas, mais cette année, combinés à des vents très forts, ils se sont répandus à une vitesse qui a pris tout le monde par surprise. En termes de dégâts, ils se classent parmi les pires que la Californie ait jamais vus. Ils seront sûrement les pires à ce jour pour ce qui est du vignoble.

Plusieurs régions viticoles sont touchées, notamment dans les comtés de Mendocino, Lake, Napa et Sonoma. Au moment d'écrire ces lignes, les flammes font toujours rage, et les dégâts sont encore loin d'être évalués. Mais dans une région qui dépend très fortement du secteur viticole, quelles risquent d'être les conséquences ?

Plusieurs chais ont été complètement rasés, ce qui implique bien sûr la perte totale des vins qui y logeaient. Certains vignobles ont disparu. Les vignerons ont trouvé un peu de réconfort dans le fait que la plus grande partie de la vendange était déjà rentrée : selon les endroits, de 80 à 90 % des raisins étaient récoltés. Mais qu'en est-il des raisins qui restent sur la vigne, ou des jus qui sont dans les chais, exposés à de la fumée intense ?

Les effets de la fumée sur le raisin et sur le vin ne sont pas encore parfaitement compris. Il n'y a qu'une quinzaine d'années qu'on étudie le sujet de près, à la suite des incendies qui ont fait des ravages dans les vignobles d'Australie au début des années 2000. Les composés issus de la fumée qui peuvent affecter le goût du vin sont transmis au raisin par la cuticule. Et les raisins sont plus à même de les absorber à la fin de leur cycle de végétation : peu après la véraison (le moment où les fruits prennent de la couleur) et jusqu'à la vendange. Ils ont tendance à s'accumuler dans les peaux, et c'est lors des vinifications qu'ils sont libérés et peuvent conférer au vin des arômes de fumée, de cendre, et masquer les arômes de fruits.

La bonne nouvelle, c'est que les raisins déjà vendangés, et dont les jus sont entreposés en cuve ou en barriques, sont plus à l'abri. Ce qui est plus inquiétant pour plusieurs vignerons, c'est qu'ils ne sont pas là pour suivre les fermentations : les incendies les empêchent de regagner leurs chais.

Heureusement, les impacts de la fumée ne laissent pas de trace au cours de l'année suivante : ce ne sont que les raisins qui sont touchés, et non la vigne ni les sols. Par contre, les vignobles qui ont été brûlés devront être replantés, et ça, c'est un travail de longue haleine. Une vigne ne donne des fruits susceptibles de faire du bon vin qu'à partir de la troisième ou quatrième année. Et des vins profonds et complexes, ça, ça vient avec des vignes d'un âge certain.

Il est encore trop tôt pour connaître les impacts qu'ont eus ces incendies dévastateurs sur l'industrie viticole, et je crois qu'ils seront minimes sur les vins de 2017. Pour le moment, on doit espérer qu'il n'y aura pas plus de pertes humaines, et faire preuve de solidarité en achetant et en buvant du vin des régions touchées. Le vin est vecteur de convivialité, mais aussi d'humanisme.

Photo Philippe Desmazes, Archives Agence France-Presse

Cette année, en France, le Languedoc, le Sud-Ouest et le sud de la vallée du Rhône ont été fortement touchés par le gel, ce qui est plutôt rare.