Au loin, la brume se lève sur les hauts plateaux de la vallée du Rift. Entre les vignes, des femmes de tout âge circulent transportant des bacs de raisins sur leur tête: c'est jour de vendanges dans le seul vignoble kenyan, juché à plus de 2000 mètres d'altitude.

Bottes de cow-boys brunes, jean bleu, chemise à carreaux, barbe de trois jours et cheveux poivre et sel en bataille, James Farquharson supervise le tout.

Sa main plonge dans les bacs verts et agrippe quelques raisins au hasard. Il les porte à sa bouche et son regard s'illumine. «Ils sont bons», dit-il simplement.

Le vin, rouge, blanc et rosé, s'appelle Leleshwa. Il est produit, sous la direction de James, par la «Rift Valley Winery», possession du géant africain Kenya Nut, une société qui à l'origine produit des noix.

Le regard perdu dans ses vignes, James relate le parcours qui l'a mené jusqu'aux abords du lac Naivasha, situé à plus de 75 km au nord-ouest de Nairobi, et connu pour ses flamants roses et ses grandes exploitations horticoles.

Une enfance passée entre le Kenya, l'Écosse et l'Afrique du Sud où il fait des études en vinification. Un poste de direction au sein d'un des plus grands producteurs privés de vin sud-africain. Un travail stimulant, mais très administratif, se rappelle-t-il.

Puis, un riche entrepreneur kényan lui envoie un courriel à l'improviste: il cherche un spécialiste pour un projet audacieux: produire un vin de qualité au Kenya.

Cela fait plus de trois ans que James a accepté de relever le défi. «Je me suis dit que c'était l'occasion de me lancer dans une belle aventure, d'essayer quelque chose de différent», se remémore-t-il.

Sous l'impulsion du fondateur de Kenya Nut, Pius Mbugua Ngugi, l'expérience avait été tentée une première fois dans les années 90. Mais devant leur incapacité à produire un produit constant et de qualité, ils laissent tomber le projet momentanément.

Entre la situation géographique du vignoble et les conditions climatiques particulières au Kenya, les défis à relever sont multiples, explique James.

«Nous sommes pratiquement sur l'Équateur et à une très haute altitude. Cela rend la gestion de la croissance des vignes très différente de régions comme la France ou même l'Afrique du Sud», explique-t-il.

Il n'existe pratiquement aucune documentation sur la production de vin dans un tel contexte et, en l'absence d'une tradition viticole, James doit s'adapter et innover.

«Nous ne ferons jamais de +grand cru classé+ dans le style français», confie-t-il. «Nous tentons de demeurer simples, de respecter les bases fondamentales de la production du vin».
L'objectif est atteint si on s'en tient à l'avis de Marcus Mitchell, chef et directeur du restaurant Talisman, réputé à Nairobi.

«En ce qui concerne la fabrication, tout semble avoir été fait de la bonne façon», analyse-t-il. «C'est léger, c'est estival, c'est kényan», ajoute-t-il après en avoir pris une large gorgée.
La force principale du vin, c'est justement son caractère local, explique l'homme d'affaires Mbugua Ngugi. Le produit n'est pas soumis aux lourdes taxes d'importation qui affectent les vins étrangers, ce qui permet de le vendre à un prix très compétitif.

Le vin se compare avantageusement aux entrées de gamme chiliens ou sud-africains. De plus, ajoute-t-il, les touristes sont souvent enthousiastes à l'idée de goûter un produit du pays.
«Jusqu'à maintenant, les réactions ont été très bonnes. Le défi, c'est d'amener les gens à l'essayer», avance-t-il.

Le vin gagne aussi en popularité auprès de la classe moyenne qui est de plus en plus «ouverte à l'idée de payer pour des produits de qualité», explique le jeune dirigeant.
D'ici dix ans, ils espèrent faire passer la production de 80 000 à 3 millions de bouteilles annuellement, ajoute-t-il.

D'ici là, James savoure chacune des étapes de son projet kényan, confiant que son vignoble n'a pas encore dévoilé son plein potentiel.