«Le terroir, c'est la seule réponse à la mondialisation», lance Jean-Michel Deiss devant ses vignes de la colline de l'Altenberg à Bergheim (Haut-Rhin). Face à la concurrence féroce des Rieslings du Nouveau Monde, de plus en plus de viticulteurs alsaciens font le même constat.

Spécificité du vignoble alsacien héritée du passé allemand, la tradition des vins «monocépage» - Riesling, Gewürztraminer, ou Pinot gris - domine sur les coteaux du piémont des Vosges. Mais Jean-Michel Deiss, qui aime à comparer les variétés de raisins aux lettres d'un alphabet, veut avant tout faire parler la terre.

Quand, il y a 20 ans, il a décidé «sur une pulsion» de rompre un tabou en plantant pêle-mêle 13 cépages différents - du Riesling au Chasselas rose - sur les pentes argilo-calcaro-gréseuses de l'Altenberg, ses confrères ne l'ont d'abord pas pris au sérieux.

À l'incompréhension ont succédé les jalousies et les ennuis judiciaires. «J'ai appris ce que pouvaient être la haine, l'envie de meurtre des voisins», raconte le sexagénaire aux boucles grises et barbe de trois jours.

Car Jean-Michel Deiss enfreignait la législation des Grands crus d'Alsace, qui exigeait alors une mention obligatoire du type de raisin utilisé. C'est en invoquant l'Europe à la barre qu'il échappe à une condamnation: pour Bruxelles, cette mention est facultative. Et en 2005, il obtient même une réforme qui abolit l'obligation.

Une soixantaine de kilomètres plus au sud de Bergheim, sur les pentes volcaniques abruptes du Grand cru Rangen, Jean-Léon Schoech s'est, lui aussi, lancé dès 2001 dans l'expérience de «complantation» de plusieurs cépages sur une même parcelle. L'idée lui est venue lors d'une dégustation à l'aveugle de vins issus du même sol: «On avait du mal à les identifier. Le terroir était plus fort, très marqué», raconte-t-il.

Autant d'expériences qui restent encore marginales en Alsace, et que certains viticulteurs n'hésitent pas à qualifier «d'extrémistes».

Le Riesling à la mode

Indiquer le cépage d'un vin permet «de donner des clés au consommateur», justifie Jean-Louis Vézien, directeur du Comité interprofessionnel des vins d'Alsace (CIVA). Selon lui, «supprimer cette référence est même dangereux, car on risque d'aggraver l'incertitude sur l'équilibre des vins».

Une étude réalisée fin 2009 pour le CIVA constatait qu'à l'échelle planétaire, le Riesling bénéficiait d'un effet de mode, tiré par une forte demande en Amérique du Nord depuis le début des années 2000.

«À l'international, on le voit, les gens demandent du Riesling», confirme Jean-Baptiste Adam, vigneron à Ammerschwihr, pour qui «c'est le cépage qui va monter, et peut-être même détrôner les Chardonnay par son côté pur, très cristallin».

Mais les Rieslings alsaciens subissent de plein fouet la concurrence des Rieslings allemands, et encore plus violemment celle de Rieslings produits à bas coûts par les «wineries» américaines ou australiennes, selon l'étude. Ces dernières adaptent rapidement leurs productions à la demande des marchés. La Nouvelle-Zélande, elle aussi, a plus que doublé ses surfaces de Riesling en quelques années.

Pour y résister, l'étude recommandait de «mettre en valeur la région et le terroir comme signaux de qualité et d'origine différenciatrice du vin: Riesling d'Alsace».

Le problème, remarque Jean-Michel Deiss, c'est que le Riesling n'est pas le même d'un village à l'autre. Alors qu'en communiquant sur le terroir on mise sur «la seule chose qui a une valeur économique: l'identité. Tu produis quelque chose qu'on ne peut pas produire ailleurs».

Si tous ses voisins ne se sont pas convertis à la complantation, beaucoup ont compris cette leçon-là. Et désormais, le vignoble alsacien prépare une nouvelle réforme de ses terroirs: quelque 120 demandes de classement de parcelles en «Premiers crus» sont en préparation.

L'idée, indique-t-on à l'Association des viticulteurs alsaciens (AVA), est de «valoriser les terroirs sur lesquels les vignerons se sont investis pour créer de la qualité».

Mais que l'on choisisse de communiquer sur le cépage ou sur le terroir pour s'affirmer n'est peut-être pas le plus important, remarque Jean-Pierre Rietsch, viticulteur à Mittelbergheim. «L'essentiel, c'est avant tout de faire un vin de vigneron: c'est lui qui, par son travail, fait la différence».