Ubisoft affirme depuis des années vouloir faire éclater les frontières séparant le jeu vidéo des autres formes médiatiques. Cinéma, télé, imprimé, l'avenir de l'industrie passe par ce qu'elle appelle le «transmédia». Trois de ses créateurs montréalais viennent tout juste de donner vie à cette formule d'affaires, sous la forme d'un outil de production nouveau genre appelé Passenger.

Au-delà de la volonté de l'éditeur français de mélanger les genres médiatiques à sa guise, Passenger risque bien de cimenter le rôle central que joue son studio montréalais dans ses opérations internationales. D'autres studios d'Ubisoft dans le monde (il y en a en Bulgarie, en Inde et au Brésil, notamment) souhaiteraient déjà l'adopter pour leurs propres créations.

Passenger promet de révolutionner la façon dont Ubisoft conçoit ses produits. Christophe Grandjean et Pierre Blaizeau, qui en ont supervisé le développement, estiment qu'il peut réduire par 10 l'effort de création d'un environnement et des personnages nécessaires à tout jeu vidéo, ou à tout autre type d'oeuvre multimédia: frais de production, personnel requis, etc.

Ça tombe à point pour Ubisoft, car selon les analystes, pour survivre à une nouvelle génération de jeux vidéo bon marché, les grands éditeurs devront revoir le coût de développement et la façon dont ils vendent leurs produits. Ces nouveaux jeux, téléchargeables sur l'internet ou sur les nouvelles plateformes sociales et mobiles sont plus abordables, mais ce sont eux qui génèrent la plus forte croissance au chapitre des ventes, représentant environ le tiers des 74 milliards de dollars qu'empochera l'industrie en 2011, selon Gartner.

Un jeu, plusieurs plateformes

Comme d'autres grands éditeurs, Ubisoft a souffert de ce phénomène, ces dernières années. Il est donc plus que temps d'ajuster le tir, avertit Brian Blau, directeur de la recherche pour Gartner. «Si elle n'évolue pas plus rapidement, l'industrie du jeu vidéo connaîtra un sévère déclin dans sa capacité à innover.»

Jean Guesdon est responsable de tout ce qui touche à la populaire série Assassin's Creed, un jeu vidéo créé par Ubisoft Montréal qui se décline aussi, à ce jour, en bande dessinée et en au moins deux courts métrages. Son plus récent projet, Assassin's Creed: Embers, un film d'animation présenté au Festival du nouveau cinéma à mi-octobre, a vu le jour en six mois à peine, malgré une équipe réduite, grâce à Passenger.

À première vue, ce n'est qu'un moteur graphique comme il en existe ailleurs dans l'industrie. Il s'agit d'un outil logiciel générant les images d'un jeu vidéo, du décor général aux détails de chacun des personnages. Il est toutefois capable de reproduire les mêmes images pour d'autres contextes: bande dessinée, cinéma, télé, etc. C'est ce qui fait croire à M. Guesdon qu'Ubisoft Montréal tient peut-être la solution aux récents changements dans l'industrie.

«On récupère l'environnement graphique et l'ambiance d'un jeu et on peut l'adapter sur demande à un scénario différent, sans avoir à refaire tout le développement. On peut désormais faire fructifier des produits comme Assassin's Creed de plusieurs nouvelles façons, sur d'autres plateformes. Les tablettes numériques sont une des nouvelles avenues à explorer.»

Ubisoft appelle ça le «transmédia»: un produit est décliné sur différentes plateformes, interactives ou non. C'est la solution qu'Ubisoft oppose aux nouvelles technologies. Il est trop tôt pour savoir si ça fonctionnera. Si c'est le cas, elle positionnera Ubisoft Montréal aux avant-postes de cette nouvelle convergence.