Chaque jour, Facebook encourage ses utilisateurs à reprendre contact avec des amis qui ont passé l'arme à gauche. Déstabilisant, mais inévitable: une armée de fantômes hantent les réseaux sociaux. Et ses rangs ne peuvent que continuer à grossir. Des millions de gens mènent leur vie sur la Toile. Pourtant, rares sont ceux qui se sont demandé ce qu'il adviendra de leur identité virtuelle - et de leur patrimoine numérique - après l'ultime déconnexion.

Sébastien avait 234 amis Facebook. Comme des millions d'utilisateurs de ce populaire réseau social, il leur confiait régulièrement ses états d'âme. Les plus récents statuts publiés sur sa page évoquent son amour de la musique, son admiration pour Julian Assange, sa rancoeur envers Jean Charest.

Rien, dans tout ça, ne laissait présager son tout dernier message: «J'ai eu beaucoup de plaisir à vous connaître. XXX»

Ce statut en forme d'adieu, Sébastien l'a publié le 16 décembre, à 1h14 du matin. Ses amis ont paniqué. Une jeune femme rongée par l'inquiétude a joint Simon, le frère de Sébastien. Simon a alors remué ciel et terre pour le retrouver.

Il était trop tard. Cette nuit-là, le Montréalais de 35 ans a mis fin à ses jours. Et a rejoint l'armée des fantômes de Facebook.

Sébastien est mort, mais il continue d'exister sur le réseau social. Ses 234 amis reçoivent à tout bout de champ des messages automatisés qui les encouragent à reprendre contact avec lui. Le jour de son anniversaire, ils seront sommés de ne pas l'oublier.

Chaque fois que la photo de Sébastien surgira d'outre-tombe pour apparaître sur leur page Facebook, ils trouveront cela bizarre. Peut-être légèrement traumatisant.

«Ça manque de sensibilité. Ces technologies ont été créées par des gens dans la vingtaine ou dans la trentaine, qui ne pensent pas vraiment à la mort», se désole Adele McAlear, spécialiste montréalaise des médias sociaux.

Peu à peu, toutefois, la réalité de la mort s'impose. Les rangs des fantômes virtuels grossissent à mesure que les internautes prennent de l'âge. On estime que, des 500 millions d'utilisateurs Facebook dans le monde, 1,5 million sont morts l'an dernier. Cela fait trois à la minute.

Bien sûr, Facebook peut effacer le compte d'un défunt à la demande de sa famille. Mais l'exercice n'est pas simple. «Facebook n'est pas reconnu pour son service à la clientèle. Ça peut prendre des mois pour faire fermer un compte», dit Mme McAlear.

Bien des gens ne se donnent pas cette peine. D'autres n'y pensent pas. D'autres encore hésitent à le faire parce que les pages de leurs proches disparus sont devenues, en quelque sorte, des sanctuaires en ligne.

Un lieu de mémoire en ligne

Coup sur coup, Véronique Côté a perdu sa soeur et son père, tous deux emportés par le cancer. De temps à autre, elle leur écrit un mot dans leur page Facebook. «Ça me fait du bien. C'est difficile à expliquer, mais ça me semble être un lien plus tangible que si je parlais dans le vide ou que je faisais une prière.»

Le père de Véronique, Pierre Côté, hante les pages Facebook des journalistes de La Presse depuis sa mort, en mars 2010. Il y a été photographe pendant près de 40 ans. Un homme doux, adoré de ses collègues. Et de sa famille, bien sûr.

«Quand il est mort, j'ai expliqué à ma fille de 3 ans que son grand-papa serait toujours présent dans sa tête et dans son coeur, raconte Véronique. Cet été, elle m'a demandé: «Il est où, déjà, grand-papa? Dans mon nombril?» Cela aurait tellement fait rire mon père que j'ai eu envie de le lui raconter sur sa page.»

La soeur de Véronique, Marie-Pierre, s'est éteinte à 32 ans. «Facebook, c'est vraiment de son temps. De nombreux amis lui écrivent régulièrement pour lui souhaiter bon anniversaire, lui dire qu'ils s'ennuient d'elle ou lui raconter des anecdotes.»

Véronique songe maintenant à transformer les pages de son père et de sa soeur en lieux de mémoire. Facebook offre ce service depuis le massacre de Virginia Tech, en 2007. Le réseau social voulait ainsi répondre aux demandes des étudiants qui cherchaient une façon d'honorer leurs amis tombés sous les balles du tueur.

Sur ces pages commémoratives, les défunts continueront à recevoir des messages d'amis endeuillés. Toutefois, leurs statuts seront effacés, et ils seront exclus des programmes visant à créer des liens entre les utilisateurs. Alors seulement, ils cesseront de hanter le cyberespace.

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Un coffre-fort en ligne

Jeremy Toeman était à bord d'un avion secoué par les turbulences quand il a eu une révélation. « Je me suis demandé ce qui arriverait si je mourais. J'ai réalisé que personne n'avait accès à mes mots de passe. Tous mes avoirs numériques seraient bloqués à jamais dans le cyberespace », explique l'entrepreneur californien d'origine montréalaise. C'est ainsi qu'est né Legacy Locker, une sorte de coffre-fort virtuel qui entrepose les données confidentielles en ligne. Le jour venu, elles sont transmises par courriel aux légataires désignés. Des milliers de clients ont payé 300$ pour ce service. Sans être pressés d'être satisfaits...