Le gouvernement américain a réclamé vendredi des changements et une surveillance des pratiques commerciales d'Apple pour tous les contenus numériques après la condamnation du géant informatique américain pour entente sur le prix des livres électroniques.

Le groupe à la pomme avait été jugé coupable le mois dernier d'avoir orchestré fin 2009 et début 2010 un cartel illégal entre 5 grands éditeurs ayant permis d'augmenter les prix des livres électroniques aux États-Unis. Sa peine reste toutefois à déterminer, avec une première audience sur le sujet prévue le 9 août.

Les desiderata communiqués vendredi à la juge new-yorkaise Denise Cote par le département de la Justice (DoJ) débordent sur des contenus autres que les livres et s'attaquent ainsi potentiellement à la boutique en ligne de musique et vidéo iTunes.

Dans un document séparé également transmis vendredi à la justice, Apple a d'ailleurs dénoncé «une intrusion draconienne et punitive dans ses activités», selon lui «sans proportion» avec les faits reprochés. Les mesures proposées «affectent potentiellement les relations d'Apple avec des milliers de partenaires sur plusieurs marchés», dénonce-t-il.

Le DoJ veut interdire au groupe «de passer des accords avec des fournisseurs de livres électroniques, musique, films, séries télévisées ou d'autres contenus» s'ils sont «susceptibles d'augmenter les prix auxquels les concurrents d'Apple peuvent vendre» ces mêmes contenus, selon son communiqué.

Apple, qui entretient jusqu'ici le plus grand secret sur ses activités, devrait aussi se soumettre à la surveillance d'un expert indépendant. Ce dernier ferait des rapports trimestriels aux autorités et à la justice, et pourrait interroger «n'importe quel salarié d'Apple» et accéder à «n'importe quel document».

Étant donné la culture du secret chez Apple, «l'idée d'un surveillant est dure pour eux, mais il vont trouver un moyen de faire avec», estime Frank Gillett, un analyste du cabinet de recherche Forrester.

Ouvrir l'écosystème d'Apple

«D'un point de vue financier, cela peut affaiblir un peu Apple», juge pour sa part Robert Enderle, un expert du secteur technologique. «Apple a un écosystème très fermé, qui est en partie la manière dont ils gagnent de l'argent. Si on ouvre l'écosystème, on rend plus difficile pour Apple de gagner de l'argent.»

Pour lui toutefois, «l'important est qu'ils ne peuvent plus fixer les prix» des livres électroniques.

Concernant ces derniers, le DoJ réclame l'annulation des contrats avec les éditeurs qui ont valu au groupe sa condamnation et une interdiction pendant cinq ans de signer de nouveaux contrats qui gêneraient la concurrence sur les prix.

Il veut aussi l'obliger à laisser pendant deux ans les vendeurs concurrents de livres électroniques, à commencer par Amazon, inclure des liens vers leurs propres boutiques en ligne dans des applications pour la tablette iPad ou le smartphone iPhone. Le DoJ fait valoir que cela permettrait aux consommateurs de comparer plus facilement les prix. Ils pourraient aussi acheter leurs contenus ailleurs, sans verser à Apple sa commission habituelle de 30%.

«Fondamentalement, c'est leur dire d'abandonner les livres électroniques», juge Van Baker, un analyste de Gartner. Cela «porte un coup à une portion de l'activité d'Apple», selon l'expert, surpris d'une solution à son avis «plutôt dure».

Le DoJ argumente au contraire que ses exigences ne sont «pas trop dures», mais garantissent «d'arrêter les conduites anticoncurrentielles d'Apple, de restaurer la concurrence perdue, et d'empêcher des violations» similaires à l'avenir.

Il souligne en particulier qu'un dirigeant du groupe, Eddy Cue, a reconnu lors du procès que «dans ses récentes négociations avec plusieurs labels musicaux pour obtenir des contenus pour iTunes Radio, il a utilisé les mêmes tactiques de négociations que celles ayant facilité l'entente avec les éditeurs».

Le dernier mot reviendra à la juge Cote, qui peut modifier les propositions du DoJ.

Apple continue de dire qu'il n'a «pas enfreint la législation sur la concurrence». Il estime donc qu'aucune mesure limitant son activité n'est nécessaire, ou alors des actions beaucoup plus limitées.

Le groupe avait annoncé dès le jugement qu'il ferait appel. Même si le gouvernement n'en réclame pas, sa condamnation pourrait lui valoir des pénalités financières, dans le cadre de potentiels recours en nom collectif de consommateurs.