Erik Guay avait 18 mois quand il a été initié au ski alpin sur les pentes du mont Tremblant. Dans sa jeunesse, il n'y a pas une piste ni un sous-bois caché qu'il n'a pas dévalé à pleine vitesse. Si la chic station des Laurentides a bien changé, Guay s'y sent encore chez lui. À l'occasion d'une rare visite de Guay au début janvier, La Presse a mis ses skis pour assister à un entraînement de l'un des meilleurs descendeurs sur le circuit de la Coupe du monde.

Le mont Tremblant est encore plongé dans le noir en ce matin frisquet du début janvier. Dans la maisonnette du club de compétition, quatre hommes enfilent leurs bottes de ski et se préparent à se rendre au sommet. Sur le versant nord, il y a un parcours de super-G à préparer pour un invité de marque. Ce n'est pas tous les jours qu'un champion de la Coupe du monde rend visite. Pour la première fois en cinq hivers, Erik Guay s'entraînera sur la montagne de son enfance.

Père d'un jeune skieur et ancien coureur, Luc Laliberté se souvient de l'époque où le petit Erik faisait la barbe aux plus vieux comme lui. «À 13 ans, il nous battait. On savait déjà qu'il allait être bon», dit-il, fier de lui prêter main-forte pour ce court retour à la maison.

Guay a profité d'une rare relâche dans le calendrier de la Coupe du monde pour effectuer ce voyage-éclair. Il avait espoir que sa fiancée Karen puisse donner naissance au premier enfant du couple avant son retour en Europe pour la deuxième moitié de saison.

Le quatuor est déjà à pied d'oeuvre sur la piste quand Erik se pointe à bord de son gros 4X4. Il est accompagné de Jonathan, un ami d'enfance qui tient une boutique de ski au village. Jonathan s'occupera des skis, des vêtements et, surtout, du cellulaire, dans l'attente de l'appel tant espéré de Karen.

Il n'est pas 7h30 quand on grimpe dans la télécabine. La préposée a reconnu Erik et, avant que les portes ne se referment, lui lance: «Je suis certaine que tu vas gagner une médaille aux Jeux olympiques!»

Il n'y échappera pas. Le skieur de 27 ans a beau préférer se concentrer sur les importantes courses à venir, les Jeux de Vancouver et Whistler de 2010 reviennent invariablement sur le tapis quand il rentre au pays.

«C'est sûr que j'y pense un peu, concédera Guay. C'est assez spécial comme événement. Peu d'athlètes peuvent vivre des Jeux olympiques chez eux, au sommet de leur carrière. En même temps, c'est une course en quatre ans. Je connais assez le ski... Il peut y avoir du vent, de la neige. Je ne m'arrête pas trop à ça. J'ai d'autres objectifs. Si c'est un désastre total, ce ne sera pas la fin du monde.»

* * *

Guay a été échaudé par sa première expérience olympique, à Turin, en 2006. Il s'attendait à un événement grandiose, il a été déçu par les murs en carton-pâte du village des athlètes de Sestrières, les routes non complétées et boueuses et la nourriture infecte de la cafeteria. «C'était de la grosse graisse, c'était dégueulasse. J'étais aux Jeux olympiques et c'était nul...»

Pour ajouter à sa déception, Guay avait dû rater la descente en raison d'une blessure à un genou subie quelques semaines plus tôt à l'entraînement. Il avait ensuite choisi de se faire anesthésier un genou afin de prendre le départ du super-G. Il avait fini quatrième, un résultat fantastique compte tenu des circonstances. «Normalement, j'aurais été satisfait, mais aux Jeux olympiques, c'est le top trois qui compte.»

Son séjour italien a aussi été assombri par un incident dont il n'avait jamais parlé jusque-là. À la recherche de solutions pour son genou, le Québécois avait consulté un médecin homéopathique autrichien que connaissait son entraîneur de l'époque, Burkhard Schaffer. Il logeait au même hôtel que Walter Mayer, un autre médecin autrichien qui avait fait les manchettes pendant les Jeux pour son rôle présumé dans une affaire de dopage sanguin dans les équipes autrichiennes de biathlon et de ski de fond.

La visite de Guay avait semé un vent de panique chez les dirigeants de l'équipe olympique canadienne. Ils craignaient que l'histoire ne soit ébruitée dans les médias et n'entache la réputation de l'équipe.

Guay avait dû s'expliquer auprès de sa fédération lors d'un appel-conférence auquel participait Ken Read, président de Canada Alpin à l'époque. «Je me suis obstiné longtemps avec Ken. Je lui disais que c'était stupide, que j'étais aux Jeux olympiques, que je me ferais tester garanti après la course... Il avait peur que ça paraisse mal pour l'équipe.»

À la fin de la saison, Schaffer, «le meilleur entraîneur de l'histoire de l'équipe canadienne» dixit Guay, a été congédié. Le Québécois est persuadé que le départ de son ancien mentor est directement lié à cette histoire.

Guay ne l'a pas digéré. On sent encore la rancune envers Read, qui a quitté son poste l'été dernier. «C'était con, dit-il. Ça m'a fait suer complètement et j'ai tout fait pour me retenir. J'avais juste envie de me lâcher dans les médias et de raconter la vraie histoire.»

* * *

Retour au sommet à Tremblant. Erik ne perd pas de temps. Déjà dans sa bulle, il s'élance pour une inspection. L'organisation est impressionnante pour un seul skieur et quatre petites manches d'entraînement: piste damée selon les recommandations d'Erik, filets de sécurité, système de chronométrage et bleu de méthylène pour bien marquer les variations de terrain.

On s'installe à mi-parcours en compagnie d'un groupe de jeunes compétiteurs. Guay s'amène comme une fusée dans son uniforme rouge et jaune. «Whoooom!» entend-on entre deux souffles du skieur.

Conrad Guay, le père d'Erik et son premier entraîneur, veille au grain. Il fait figure de légende à Mont-Tremblant. Directeur de l'école de ski pendant 15 ans, il a mené ses trois fils (Kristian, Erik et Stefan) jusque dans l'équipe canadienne. Il a aussi dirigé, à un moment ou l'autre de leur carrière, la plupart des Québécois actuellement en Coupe du monde, de Julien Cousineau à Jean-Philippe Roy en passant par Geneviève Simard et Anna Goodman.

On le dit dur et intransigeant, ce qu'il ne nie pas. «Je pense que c'était vrai», précise-t-il. Erik confirme que son père était plutôt sévère, mais qu'il s'est adouci avec le temps: «Le ski, il prend ça au sérieux, et l'entraînement, c'est l'entraînement.»

Et le moindre mètre de dénivelé doit être utilisé à son maximum. Ainsi, même dans la traverse qui le ramène au télésiège entre deux manches, Erik continue de s'appliquer. «Le ski, c'est comme le golf, il y a toujours quelque chose à travailler.»

Dans la chaise, Conrad Guay, un perfectionniste, indique néanmoins à son fils que ses virages dans la traverse ne ressemblaient pas exactement à ceux exécutés dans le parcours. «Je veux voir une belle courbe, régulière.»

M. Guay dit tirer ses succès des outils de communication qu'il a mis au point au cours de sa carrière de moniteur. «Ma formation est dans l'enseignement du ski», rappelle-t-il.

Même s'il n'était pas directement engagé dans le milieu de la compétition à ses débuts, il a toujours suivi les activités de la Coupe du monde. Alors que ses collègues entraîneurs se pâmaient devant les démonstrations de force et d'énergie, il préférait l'agilité et l'aisance sur deux planches. «C'est ce que j'ai toujours encouragé», dit celui qui privilégie une approche globale, axée sur les sensations.

Pas étonnant qu'Erik, un glisseur hors pair, dégage un tel calme sur des skis, même à 130 km/h. «Il ne panique pas facilement et il ne prend pas de risques. Ce n'est pas comme Stef, qui est plus casse-cou», souligne le paternel.

Curieusement, Erik s'est consacré aux épreuves de vitesse sur le tard. Jusqu'à 18 ans, il se concentrait sur le slalom et le slalom géant. « La descente, ça ne m'intéressait pas tellement, se souvient-il. J'aimais en regarder, mais je trouvais ça trop malade. Il y avait des chutes importantes, ça allait trop vite. »

Moins de 10 ans plus tard, Guay fait partie des meilleurs descendeurs de la planète. Il connaît les risques et admet parfois ressentir certaines craintes. «C'est sûr, surtout quand ça ne va pas bien, que tu n'es pas à l'aise», dit-il. Mais quand il est confiant, la vitesse est grisante et il en redemande.

* * *

Pour l'heure, Guay trouve que la naissance de son premier enfant ne vient pas assez vite. L'entrevue s'achève et le cellulaire n'a pas sonné. Son départ pour l'Europe est prévu dans trois jours. Il a beau s'être fait à l'idée il y a plusieurs mois, il n'arrive pas à s'y résoudre. Il repoussera son vol de quelques jours. La petite Logann est née le 8 janvier, sous les yeux d'un papa émerveillé.

..................................................................................

À un an des Jeux de Vancouver, quels sont les défis auxquels fait face le comité organisateur? Un reportage exclusif de notre envoyé spécial, Simon Drouin, à lire samedi.